N’ayez pas peur
De quoi avons-nous peur, frères et sœurs ? Ici, la peur qu’éprouvent les disciples est tellement grande qu’elle leur fait « pousser des cris ». D’où vient-elle ? Du fait qu’ils voient Jésus venir vers eux sur la mer, tel un fantôme. Cette vision survient vers la fin d’une nuit où ils se sont probablement sentis abandonnés par leur Maître, alors que leur barque était à une bonne distance de la terre, battue par les vagues car le vent leur était contraire. Ce sentiment d’abandon a dû être d’autant plus dur à supporter qu’il est survenu juste après la multiplication des pains, où les disciples ont dû se sentir « au septième ciel », tant Jésus a manifesté sa puissance divine. La « chute » a été brutale… D’autant plus brutale que Jésus les a obligés à monter dans la barque ! Eux qui connaissaient bien la nature avaient certainement prévu cette tempête en observant le ciel, et ceux qui étaient pêcheurs parmi eux savaient ce qu’elle signifiait sur le lac, et surtout de nuit ! Voilà donc une épreuve incompréhensible à première vue, puisqu’elle était prévisible mais que c’est le Seigneur lui-même qui semble l’avoir voulue pour ses disciples ! C’est précisément dans ces circonstances que Jésus manifeste à nouveau sa puissance : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! » leur dit-il en marchant sur l’eau. En utilisant l’expression « C’est moi » (ego eimi), il se révèle comme Dieu l‘avait fait à Moïse au buisson ardent. En multipliant les pains, Jésus s’est révélé comme le Créateur, mais il est aussi le Rédempteur, qui nous sauve de la mort et des forces du mal, qui sont ici symbolisées par la mer déchaînée et par la nuit. Il veut nous sauver, mais pas sans nous : il nous demande la foi, qui nous permet de passer de la peur à l’adoration, du sentiment d’être abandonné par Dieu à la certitude de sa présence : « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! » disent les disciples à Jésus en se prosternant devant lui, après qu’il soit monté dans la barque avec Pierre, qui symbolisent pour leur part l’Église et le Pape. Pierre a été sauvé, alors que sa foi était fragile. Cet évènement signifie que nous-mêmes, nous pouvons être sauvés, à condition que nous ayons la foi, même petite. Un jour, nous parviendrons avec le Christ sur l’autre rive, celle du Paradis, où nous vivrons dans une lumière sans fin. Et ce jour viendra bientôt, car nous sommes « vers la fin de la nuit »… Comment vivre notre foi de manière à être sauvés ? Avec le prophète Elie et les disciples, suivons 3 étapes. Premièrement, nous devons nous « jeter à l’eau », c’est-à-dire accepter de prendre des risques. Deuxièmement, nous devons persévérer. Troisièmement, nous devons saisir les mains tendues, c’est-à-dire accueillir les grâces que le Seigneur nous offre.
Avoir la foi signifie d’abord se « jeter à l’eau », comme l’a fait Pierre, c’est-à-dire accepter de prendre des risques. L’homme a peur de l’inconnu, comme l’enfant a peur du noir. Le père des croyants, Abraham, a accepté de quitter son pays (la Mésopotamie riche et prospère) et sa parenté pour un pays inconnu, avec pour seule assurance la promesse reçue de Dieu (Gn 12[i]). Le prophète Elie a accepté de quitter sa ville de Tishbé en Galaad pour « s’établir près du torrent de Kérith, qui se jette dans le Jourdain. Les corbeaux lui apportaient du pain et de la viande, matin et soir, et le prophète buvait au torrent » (1R 17,5-6) Ensuite, c’est à une veuve de Sarepta qu’il a demandé de faire un grand acte de foi, lui demandant en pleine période de famine de lui apporter de l’eau et une petite galette : « N’aie pas peur, va, cuis-moi une petite galette et apporte-la moi ; ensuite tu en feras pour toi et ton fils. Car ainsi parle le Seigneur, Dieu d’Israël : Jarre de farine point ne s’épuisera, vase d’huile point ne se videra, jusqu’au jour où le Seigneur donnera la pluie pour arroser la terre. » (1R 17,13-15) Plus tard, Elie a eu encore assez de foi pour défier les 450 prophètes de Baal et les 400 prophètes d’Ashera, dans une ordalie célèbre où Dieu, à son appel, a manifesté sa puissance (1R 18).
Après s’être jeté à l’eau, il faut persévérer dans la confiance. Le Seigneur Jésus a mis en garde ses disciples contre le découragement, d’abord dans la parabole du semeur, où il explique que « celui qui a reçu la semence sur un sol pierreux, c’est celui qui entend la Parole et la reçoit aussitôt avec joie ; mais il n’a pas de racines en lui, il est l’homme d’un moment : quand vient la détresse ou la persécution à cause de la Parole, il trébuche aussitôt. » (Mt 13,20-21) Annonçant à ses disciples les persécutions à venir, il a dit également : « C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie. » Pierre a commencé à « s’enfoncer » dans la peur, au propre et au figuré, parce que « voyant la force du vent » il a cessé de regarder son Maître. De même, Elie, après avoir eu assez de foi pour défier les faux prophètes sur le mont Carmel, a commencé à sombrer dans la peur en apprenant que la reine Jézabel le recherchait pour le mettre à mort. Il s’enfonça tellement qu’il en vint à demander à Dieu la mort (1R 19,4). (Lc 21,19) Paul a sans doute été lui aussi tenté par une forme de découragement envers ses frères juifs pour lesquels il éprouvait « une grande tristesse, une douleur incessante » (2° lect.), parce que beaucoup refusaient de croire à la bonne nouvelle.
Et si nous sommes tentés de ne pas persévérer dans notre foi et de sombrer dans la peur ou le découragement comme Elie, Pierre ou Paul ? Le Seigneur nous révèle qu’il ne nous abandonnera pas. A ses trois amis, il a tendu une main secourable. A Elie, par l’intermédiaire d’un ange, Il a donné deux fois une mystérieuse « galette cuite sur des pierres brûlantes » (1R 19,6), dans laquelle on peut reconnaître une figure de l’eucharistie. « Fortifié par cette nourriture, Elie marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu » (1R 19,8) où il a rencontré le Seigneur dans « le murmure d’une brise légère » (1° lect.) Il a sorti Pierre de l’eau et il a révélé à Paul que finalement « tout Israël sera sauvé. Car les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance[ii]. » (Rm 11,25.29) Notons que si le Seigneur est venu en aide à Elie, Pierre et Paul, ceux-ci n’ont pas été inactifs, le premier acceptant d’obéir à l’ange et de repartir vers l’Horeb (alors qu’il aurait pu rester prostré dans sa « dépression »), le second criant vers Jésus pour être sauvé et le troisième ne cessant d’annoncer l’évangile en premier à ses frères juifs dans toutes les villes où il arrivait.
Ainsi, frères et sœurs, n’ayons pas peur, quelles que soient les tempêtes qui nous assaillent. C’est le message central que le pape François a martelé aux jeunes lors de la messe finale des JMJ de Lisbonne. « Jésus est la lumière qui ne se couche jamais et qui brille même dans la nuit » leur a-t-il dit. Les tempêtes dans la nuit ont été nombreuses depuis 2000 ans mais aucune n’a pu faire chavirer la barque de l’Eglise. Mais les tempêtes ne concernent pas seulement les chrétiens, et celles qui surviennent dans notre monde aujourd’hui peuvent faire périr ou au moins épouvanter beaucoup de nos frères et sœurs qui n’ont pas reçu la grâce de la foi. Alors, rejoignons-les avec le Christ … Dans les icônes orientales, on voit le Ressuscité debout sur les portes de l’enfer qui tend la main à Adam et Eve pour les en sortir, comme il a tendu la main à Pierre. Lorsque nous serons éprouvés et près de « sombrer », saisissons la main que le Christ ne manquera pas de nous tendre. Mais tendons aussi la nôtre à ceux qui n’auront pas le « réflexe » de crier vers lui comme nous. Aidons-les à sortir de leur épreuve par notre amour et notre compassion, et invitons-les dans la barque de nos vies, en espérant qu’ils souhaiteront un jour embarquer sur le navire de l’Eglise, qui vogue vers le Paradis !
P. Arnaud
[i] « Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront ; celui qui te maudira, je le réprouverai. En toi seront bénies toutes les familles de la terre. » (v. 2-3)
[ii] « Une partie d’Israël s’est endurcie jusqu’à ce que soit entrée la totalité des païens, et ainsi tout Israël sera sauvé. […] Car les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance. » (Rm 11,25.29)