Si tu le veux, tu peux me purifier

Frères et sœurs, voulons-nous être purifiés ? Si la lèpre est une maladie terrible, qui touche encore environ 200 000 personnes chaque année dans le monde, elle symbolise la maladie la plus grave, qui nous concerne tous : le péché. Comme la lèpre détruit et défigure les corps, le péché détruit et défigure les âmes. Comme la lèpre rend insensible et ouvre ainsi à tous les dangers, le péché endort la conscience et réduit la capacité de résistance au mal. Comme une petite blessure de lépreux dégénère vite en ulcère, les petits péchés en engendrent de plus grands. La Bonne Nouvelle est que, comme le remède existe aujourd’hui pour la maladie, le Christ est venu nous apporter le remède contre le péché. Comme les vaccins contre le Covid nécessitent 2 injections, nous allons voir à travers l’évangile que 2 étapes sont nécessaires pour guérir complètement: d’abord une foi audacieuse et humble, qui rencontre la miséricorde du Seigneur ; ensuite l’obéissance.

 

Pour commencer, admirons la foi audacieuse et humble du lépreux. Il est atteint du mal le plus terrible pour l’époque. Le livre du Lévitique lui consacre 2 chapitres entiers : « Le lépreux portera des vêtements déchirés et les cheveux en désordre, il se couvrira le haut du visage jusqu’aux lèvres, et il criera : “Impur ! Impur !” » (1° lect.)[i]. Aussi, le lépreux souffre d’une exclusion totale. Non seulement il souffre physiquement, puisque sa chair se décompose, mais en plus  il est exclu de la communauté des hommes et il ne peut pas participer au culte divin à la synagogue. Pire encore, sa maladie est considérée comme une punition du Seigneur[ii]. Mais Job, sur lequel nous nous étions penchés dimanche dernier, était juste… En tout cas, le lépreux peut se sentir abandonné à la fois des hommes mais aussi de Dieu.

En venant trouver Jésus, le lépreux de l’évangile brave l’interdit de la Loi et il sait que Jésus devrait le repousser. Mais son audace jaillit d’une foi profonde : il tombe aux genoux de Jésus parce qu’il a reconnu en lui son Seigneur. Sa foi est humble : il n’exige rien, mais il « supplie » : « Si tu le veux, tu peux me purifier. » Il nous rappelle Naaman le Syrien. Ce grand général était venu trouver le prophète Elisée pour être guéri, mais quand celui-ci « envoya un messager lui dire : “Va te baigner sept fois dans le Jourdain, et ta chair redeviendra nette, tu seras purifié”,  Naaman se mit en colère», estimant qu’un tel acte était trop facile et pas digne de lui (2 R 5, 10‑11). Heureusement, ses serviteurs intervinrent et l’incitèrent à accomplir cet acte de foi humble, et il fut ainsi purifié.

Admirons maintenant la miséricorde de Jésus. Pour obéir à la Loi, il aurait dû repousser le lépreux. Mais il est « saisi de pitié » : en grec, l’expression signifie qu’il est pris aux entrailles, comme une mère vis à vis de son enfant parti au loin (Is 49,15)[iii]. Jésus souffre de toutes nos souffrances, il refuse toutes nos exclusions. C’est pourquoi il étend la main et le touche : « Je le veux, sois purifié. » Et au lieu que ce soit Jésus qui contracte la maladie, c’est le lépreux qui est guéri. C’est la vie qui a été la plus forte, la plus contagieuse.

Après Jésus, plusieurs saints ont fait preuve de la même miséricorde vis-à-vis des lépreux. François d’Assise, pour commencer, alors qu’il aidait volontiers les pauvres, fuyait à la vue des lépreux en se bouchant le nez. Ils étaient la parfaite antithèse du jeune homme, soigneux de sa personne et adulé de tous. Mais lorsqu’il en rencontra un dans la campagne d’Assise, après sa conversion, il décida non seulement de ne pas fuir, mais même de s’approcher et de l’embrasser ! Ce fut une étape fondamentale dans son itinéraire : « en m’en allant de chez eux, ce qui me semblait amer fut changé pour moi en douceur de l’âme et du corps ; et après cela, je ne restai que peu de temps et je sortis du siècle ». Ensuite, François alla souvent soigner les lépreux de la région. Plus rien ne lui faisait peur.

De même, Damien n’eut pas peur d’aller s’occuper des lépreux d’Honolulu qui étaient parqués dans l’île de Molokai. Alors qu’ils vivaient comme des bêtes sauvages, il les aida à rétablir leur dignité d’hommes, avec une vie à la fois sociale et religieuse. Il contracta lui-même la maladie, et dut en souffrir jusqu’à sa mort 4 ans plus tard en 1889, à l’âge de 49 ans. Comme François, Damien a été purifié par le Christ de la lèpre de l’égoïsme et a tout fait pour que ses frères le soient aussi.

Lorsque nous allons recevoir le sacrement de la réconciliation, nous demandons au Christ, avec une foi audacieuse (qui nous fait aller à la rencontre du prêtre) et humble (qui nous permet de nous mettre « à nu » devant lui), de nous purifier.

 

Grâce à sa foi audacieuse et humble, et surtout grâce à la miséricorde du Christ, le lépreux de l’évangile a été guéri de sa lèpre. Mais a-t-il été guéri du péché ? Il semble que non, car il a refusé la seconde étape de la guérison, qui passe par l’obéissance au Seigneur. En effet, Jésus le renvoya avec cet avertissement sévère : « Attention, ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre ». Pourquoi ce commandement ? C’est le fameux secret messianique, qui apparaît à 10 reprises dans l’évangile de Marc. Jésus sait que ses miracles vont être mal interprétés, et qu’il sera considéré par les gens comme un guérisseur et comme un messie glorieux, et non comme le serviteur souffrant qui va se révéler petit à petit. Jésus ajouta : « Et donne pour ta purification ce que Moïse prescrit dans la Loi : ta guérison sera pour les gens un témoignage. » D’une part, il s’inscrivait là dans la loi de Moïse, montrant qu’il n’est pas venu pour l’abolir, mais pour l’accomplir (Mt 5,17). D’autre part, il envoyait un message aux prêtres, seuls habilités à réintégrer les lépreux dans la société: seul le messie était annoncé comme capable de purifier les lépreux[iv].

Malgré l’interdiction de Jésus, l’homme guéri « se mit à proclamer et à répandre la nouvelle, de sorte qu’il n’était plus possible à Jésus d’entrer ouvertement dans une ville. Il était obligé d’éviter les lieux habités, mais de partout on venait à lui. » Finalement, ce n’est plus le lépreux qui doit vivre à l’écart, c’est Jésus lui-même. Cela signifie que le second a pris sur lui le péché du premier. C’est ce que Jean Baptiste avait déclaré en voyant Jésus venir à lui : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29), et c’est ce que nous redisons lors de chaque eucharistie. Le Christ enlève nos péchés en les prenant sur lui[v]. Pour le moment, Jésus est un personnage si populaire que les foules viennent à lui de partout mais plus tard, il sera humilié comme les lépreux, sa chair sera déchirée par la flagellation et il sera crucifié en dehors de la ville…

 

Alors, frères et sœurs, voulons-nous être guéris de la lèpre du péché ? Pendant le Carême qui approche, pourquoi ne pas redire chaque jour, humblement mais avec une confiance audacieuse: « Si tu le veux, tu peux me purifier » ? Laissons-le nous toucher lors de chaque sacrement, en particulier l’eucharistie et la réconciliation. Mais en plus de ces moments de grâce, acceptons de lui obéir en toute circonstance, même et surtout lorsque nous sommes portés à ne pas le faire[vi]. C’est ainsi qu’il nous purifiera entièrement, et nous pourrons alors goûter la béatitude : « heureux les cœurs purs, ils verront Dieu » !

P. Arnaud

[i] Les mots « purifier » et « purification » reviennent 4 fois dans l’évangile aussi. La pureté, à laquelle les Pharisiens sont très sensibles, est une condition sine qua non pour entrer en relation avec Dieu.

[ii] C’est ainsi que Myriam, la sœur de Moïse, était devenue lépreuse après avoir jalousé son frère. De même Guéhazi, le serviteur d’Elisée devint lépreux à cause de sa cupidité  (2 R 5,27).

[iii] Ou encore comme le père qui voit revenir son enfant prodigue (Lc 15,20).

[iv] C’est pourquoi Jésus pourra dire aux envoyés de Jean, qui demande s’il est bien le messie : « Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés … » (Lc 7,22) Il pourra dire aussi au moment du dernier repas : « Si je n’étais pas venu, si je ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas eu de péché, mais à présent leur péché est sans excuse. » (Jn 15,22)

[v] Saint Paul put ainsi écrire : « Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché des hommes, afin que, grâce à lui, nous soyons identifiés à la justice de Dieu. » (2 Co 5,21)

[vi] Samuel avait dit à Saul, qui avait désobéi à Dieu pour faire un immense sacrifice : « l’obéissance vaut mieux que le sacrifice, la docilité vaut mieux que la graisse des béliers » (1S 15,22).