Le Défenseur

Frères et sœurs, comment nous défendre du mal ? Nous sommes des êtres fragiles, et depuis notre naissance, nous avons eu besoin d’être protégés. Par nos parents et nos grands frères et grandes sœurs, d’abord. Par nos amis, nos relations, notre avocat ensuite… Il arrive cependant que nous nous sentions seuls et impuissants pour faire face à une épreuve. Dans certains cas, le Christ lui-même semble absent, ou en train de dormir (Mt 8,24) … Mais il nous rassure aujourd’hui : il nous a envoyé « un autre Défenseur » (une des traductions du mot Παράκλητον) « qui sera pour toujours avec nous : l’Esprit de vérité ». Contre qui ou contre quoi l’Esprit Saint nous défend-il ? Contre 3 adversaires redoutables, que la Tradition a mis en lumière : le diable, la chair, et le monde.

 

Premièrement, l’Esprit nous défend face au diable (diabolos, celui qui divise) et aux démons. Le premier effet de l’évangélisation des Samaritains par Philippe, c’est que « beaucoup de possédés étaient délivrés des esprits impurs, qui sortaient en poussant de grands cris » (1° lect.) Jésus avait dit à ses disciples : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps. » (Mt 10,28) Parmi ses noms divers, notons qu’il y a Satan (l’adversaire), mais aussi « l’accusateur » (Ap 12,10)[i] et « le père du mensonge » (Jn 8,44)[ii]. Satan cherche sans cesse à nous culpabiliser, à nous faire éprouver du remords, afin de nous désespérer du pardon de Dieu. Plusieurs saints ont évoqué le terrible combat qu’ils eurent à mener contre lui sur ce plan. Antoine du désert, Ignace de Loyola, François de Sales… craignirent pendant un temps qu’ils seraient damnés. Mais le Saint Esprit leur vint en aide car il est pour nous un « Consolateur » et un « Avocat » (autres traductions du mot Παράκλητον). Comment peut-il nous consoler et manifester le meilleur de ce qu’il y a en nous ? Parce qu’en lui, « amour et vérité se rencontrent » (ps 84). La vérité, c’est que nous sommes pécheurs, mais aussi que Dieu est infiniment miséricordieux : « si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur, et il connaît toutes choses » (1Jn 3,20). Après qu’ils ont chuté et éprouvé la honte d’être nus, « le Seigneur Dieu fit à l’homme et à sa femme des tuniques de peau et les en revêtit » (Gn 3,21). Lorsque Noé fit preuve de faiblesse et s’enivra, son fils Cham vit que son père était nu lui aussi et au lieu de vite le couvrir comme le Seigneur, « il en informa ses deux frères qui étaient dehors ». Au contraire, « Sem et Japhet prirent le manteau, le placèrent sur leurs épaules à tous deux et, marchant à reculons, ils en couvrirent leur père qui était nu. » (Gn 9,22). Si le Saint-Esprit nous éclaire sur nos péchés, notamment dans l’examen de conscience, ce n’est pas pour nous mettre à nu et nous humilier, mais pour nous « couvrir » du pardon de Dieu, librement demandé et reçu.

 

Deuxièmement, l’Esprit nous défend face à la chair. Ce terme ne signifie pas le corps, qui est bon parce que créé par Dieu, mais toutes les tendances égoïstes qui nous éloignent du Seigneur : « haines, rivalité, jalousie, emportements, intrigues, divisions… » (Ga 5,19‑21) Celui qui se laisse conduire par ces passions en est esclave : « les tendances de la chair s’opposent à l’Esprit, et les tendances de l’Esprit s’opposent à la chair. En effet, il y a là un affrontement qui vous empêche de faire tout ce que vous voudriez. » (Ga 5,17) Mais « voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi. » (Ga 5,22‑23) Paul ajoute : « ceux qui sont au Christ Jésus ont crucifié en eux la chair, avec ses passions et ses convoitises. Puisque l’Esprit nous fait vivre, marchons sous la conduite de l’Esprit. » (Ga 5,24‑25)

Saint Augustin a fait l’expérience de l’esclavage de la chair, et de sa libération par l’Esprit associé à la Parole de Dieu. Dans ses Confessions (ch. 8), il décrit la torture qu’il éprouvait lorsque deux volontés se disputaient son cœur, l’une charnelle, l’autre spirituelle. Il en fut délivré lorsqu’il ouvrit la Bible et tomba sur une exhortation de saint Paul : « Revêtez-vous du Seigneur Jésus Christ ; ne vous abandonnez pas aux préoccupations de la chair pour en satisfaire les convoitises. » (Rm 13,14)

 

Troisièmement, l’Esprit nous défend face au monde. Ce terme ne signifie pas la création, qui est très bonne (Gn 1,31) mais les personnes ou structures qui, en elle, s’opposent au dessein de Dieu. Avant d’envoyer ses disciples en mission, Jésus s’était présenté lui-même comme leur Défenseur : « On portera la main sur vous et l’on vous persécutera … Ne vous préoccupez pas de votre défense. C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister ni s’opposer. » (Lc 21,12‑15) Cette fois, lors de son dernier repas avec eux, il présente comme un autre Défenseur l’Esprit de Vérité, lui que « le monde ne peut recevoir, car il ne le voit pas et ne le connaît pas ». C’est l’Esprit Saint qui nous donne le langage et la sagesse du Christ, nous défendant ainsi des adversaires.

Dans sa première lettre, saint Pierre exhorte les premiers chrétiens, qui expérimentent les persécutions annoncées par le Christ : « Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous » et aussi : « Ayez une conscience droite, afin que vos adversaires soient pris de honte sur le point même où ils disent du mal de vous pour la bonne conduite que vous avez dans le Christ. » (2° lect.) Si Pierre les exhorte à ne pas craindre leurs adversaires, c’est parce que lui ou les autres apôtres ont certainement imposé les mains sur eux, comme ils l’ont fait pour les Samaritains que Philippe avait évangélisés : en effet, « l’Esprit n’était encore descendu sur aucun d’entre eux : ils étaient seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus. Alors Pierre et Jean leur imposèrent les mains, et ils reçurent l’Esprit Saint » (1° lect.) Il s’agit là de « l’ancêtre » du sacrement de confirmation, par lequel nous recevons la force de vivre et de témoigner de notre foi en toute circonstance.

 

Ainsi, l’Esprit Saint est le meilleur des généraux, car il nous défend de nos pires ennemis, ceux qui peuvent faire périr notre âme : le diable, la chair, et le monde. Alors, comment bénéficier de son aide ? Jésus nous répond clairement : c’est en gardant ses commandements. « Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements. Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous ». Et réciproquement ensuite : « Celui qui reçoit mes commandements et les garde, c’est celui-là qui m’aime ». On peut donc dire avec saint Augustin : « aime et fais ce qu’il te plaît » parce que le joug du Christ (ses commandements), quand nous le portons avec l’Esprit Saint, est léger (Mt 11,30). Ainsi, garder les commandements du Christ est à la fois simple, car ils nous correspondent parfaitement, et difficile, car nos ennemis cherchent sans cesse à nous en détourner. Mais certaines guerres ne se remportent qu’après de nombreuses batailles. Le combat spirituel est « violent comme le combat d’hommes » (Rimbaud), mais chaque victoire remportée est source à la fois de joie et de force nouvelle. S’il nous arrive d’être vaincus, ne désespérons jamais, ne nous replions pas sur nos remords, mais jetons-nous dans les bras de l’Esprit de Vérité, notre Défenseur, notre Consolateur et notre Avocat !

P. Arnaud

[i]« Il est rejeté, l’accusateur de nos frères, lui qui les accusait, jour et nuit, devant notre Dieu. »

[ii] « Depuis le commencement, il a été un meurtrier. Il ne s’est pas tenu dans la vérité, parce qu’il n’y a pas en lui de vérité. Quand il dit le mensonge, il le tire de lui-même, parce qu’il est menteur et père du mensonge. »