Le mal est vaincu, réjouissons-nous !

Frères et sœurs, sommes-nous dans la joie, comme l’Eglise nous y invite particulièrement en ce dimanche de Laetare ? Le prince de ce monde, Jésus nous l’a révélé, c’est Satan, le diable, qui effectue partout son œuvre de destruction et de division, jusque dans le Temple, le lieu le plus sacré de la rencontre avec Dieu, comme nous l’avons vu dimanche dernier. Alors, pourquoi nous réjouir ? Parce que le Christ a vaincu Satan et toute forme de mal, non seulement pendant ses 40 jours au désert (cf 1er dimanche de Carême), mais aussi et surtout sur la Croix, comme il l’annonce à Nicodème dans l’évangile d’aujourd’hui. Et nous aussi, nous pouvons vaincre Satan et le mal. Comment ?  Nous devons franchir deux étapes. La première est d’accepter de regarder le mal en face, ce qui implique de reconnaître que nous sommes pécheurs. La seconde est de croire au Christ, ce qui implique de nous unir à celui dont la miséricorde est infinie.

 

Pour commencer, nous devons accepter de regarder le mal en face. Nous ne devons pas faire les autruches en enfouissant nos têtes dans le sable[i]. Jésus dit dans l’évangile : « la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises.». Le mal effraie l’homme et en même temps le fascine. Dans le mythe de la caverne, Platon a montré cet attachement des hommes aux ténèbres…  Alors que seule une vie dans la lumière de l’amour et de la vérité peut nous rendre heureux, nous pouvons choisir les ténèbres de l’endurcissement du cœur, comme Pharaon qui refusa obstinément d’écouter Dieu.

Ce n’est qu’après son exode à Babylone que le peuple hébreu a pris conscience de son péché, reconnaissant que son épreuve était liée à ses nombreuses infidélités à l’Alliance avec Dieu (1° lect.) Sa souffrance lui est apparue comme l’ultime remède du Seigneur face à son endurcissement. De même, contempler le Christ en croix ne va pas de soi puisque c’est le signe de notre péché. Il a fallu attendre le 4ème siècle pour que les chrétiens le représentent ainsi, après l’avoir peint d’abord sous la forme d’un jeune berger ou d’un poisson, comme dans les catacombes. En ce moment, l’Eglise fait un gros travail sur elle-même pour reconnaître le mal qui l’a « salie » à travers certains de ses représentants. Déjà le 12 mars 2000, dans une célébration qui avait marqué son pontificat, le pape Jean-Paul II avait demandé pardon pour  les péchés commis par les chrétiens au long de l’histoire, notamment l’attitude de certains envers les juifs, les hérétiques, les femmes et les peuples indigènes[ii].

Reconnaître que nous sommes pécheurs demande une certaine humilité, et une certaine confiance (i.e. foi) en Dieu. Si nous craignons celui-ci comme un Juge cruel, il est sûr que nous nierons nos péchés. Nous parvenons ainsi à notre 2nde étape.

 

Reconnaître que nous sommes malades ne suffit pas, il faut aussi faire appel au médecin. Autrement dit, il faut croire au Christ[iii]. Dans l’évangile d’aujourd’hui, le mot « croire » apparaît 4 fois. En particulier, saint Jean écrit : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle ». La foi implique non seulement une adhésion intellectuelle à certaines vérités, mais surtout un attachement à une Personne, le Christ. Notre tentation est de penser, comme le moine Pélage au IV° siècle,  que nous pouvons nous sauver par nos propres mérites. Or saint Paul est clair : « C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, et par le moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu.» (2° lect.)

Le mal peut être puissant, mais la bonne nouvelle est qu’il peut toujours être vaincu, guéri. Notre foi n’est pas manichéenne[iv]. Le mal n’est qu’une absence de bien, comme l’ombre n’apparaît que s’il y a du soleil ou comme les parasites qui ne peuvent prospérer que sur des plantes ou des animaux sains. Satan n’est qu’une créature. Et Celui qui l’a créé est Tout-Puissant d’Amour, « riche en miséricorde » (2°lect.), toujours prêt à pardonner. S’Il a puni parfois, notamment en permettant l’exil de son peuple à Babylone, c’était pour l’aider à ouvrir les yeux sur son péché, nous l’avons vu. Mais ensuite, Il lui envoya un sauveur, un messie. Il « inspira Cyrus, roi de Perse », qui appela les Israélites à retourner à Jérusalem pour y bâtir un nouveau Temple. Quel paradoxe, un païen qui sauve le peuple élu en l’invitant à être fidèle à ses lois et à son culte !

Nicodème a du mal à voir en Jésus le nouveau Messie, tout aussi inattendu que Cyrus car il ne vient pas de Jérusalem et de l’ « intelligentsia » juive. En tant que Pharisien, il fait partie des chefs du peuple et jouit d’un grand prestige. Lorsqu’il va rencontrer Jésus pour la première fois, c’est de nuit, car sa foi est encore bien fragile. C’est pourquoi Jésus lui dit : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle ». En évoquant cet évènement de l’exode, il annonce sa propre mort. Dans le désert, ceux qui avaient été mordus par des serpents pouvaient être sauvés en regardant un serpent de bronze perché sur un mat. Ce qui les sauvait, ce n’était pas le serpent lui-même, symbole du mal qui les avait touchés, c’était la foi qu’ils avaient en la parole de Dieu et de son messager, Moïse. Les serpents « brûlants » (symboles des passions qui les enfiévraient et leur faisaient regretter l’esclavage en Egypte) avaient été transformés en un objet de métal, inoffensif. De même avec le Christ en croix : ce qui nous sauve, ce n’est pas le crucifix lui-même, symbole du mal qui peut nous détruire, c’est notre foi en celui qui a vaincu la haine par l’amour : « celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché des hommes, afin que, grâce à lui, nous soyons identifiés à la justice de Dieu. » (2 Co 5,21) Sur la croix resplendit la miséricorde du Seigneur, i.e. son amour qui pardonne, qui guérit… De fait, c’est après la mort de Jésus que Nicodème aura le courage d’aller au grand jour réclamer son corps à Pilate.

Cela signifie-t-il que nous sommes tous sauvés et guéris du péché ? Non, car un malade ne guérit que s’il accepte de prendre le remède préconisé par le médecin. Dans le désert, certains avaient refusé de regarder vers le serpent d’airain, par manque de foi. De même, nous pouvons refuser de nous laisser sauver par le Christ. Lui-même l’a dit clairement à Nicodème : « Celui qui croit en lui échappe au Jugement, celui qui ne veut pas croire est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. » Ce n’est pas Dieu qui nous jugera, c’est nous-mêmes qui nous jugeons si nous refusons de croire dans la miséricorde du Seigneur qui resplendit sur le Christ en croix. A la question d’Hamlet, to be or not to be, nous pourrions en ajouter une autre aussi essentielle : croire ou ne pas croire ?

 

Ainsi, frères et sœurs, le mal peut être vaincu, à condition que nous acceptions de le regarder en face, et que nous mettions notre foi en celui dont la miséricorde pour nous est infinie. L’Eglise nous propose une aide pour franchir ces 2 étapes : le sacrement de réconciliation. Dans un premier temps, l’examen de conscience et la confession nous permettent de faire la lumière sur nos péchés. Dans un second temps, l’absolution et la pénitence que nous offre le prêtre nous permettent de recevoir la miséricorde du Seigneur et de mener une vie nouvelle, unis au Christ ressuscité. D’ici Pâques, allons recevoir cette magnifique grâce. Nous goûterons ainsi la joie d’être tant aimés de Dieu et nous agirons selon la vérité afin que nos œuvres soient reconnues comme des œuvres de Dieu.

P. Arnaud

[i] J’emploie cette expression parlante, même si l’on sait qu’elle est fausse car en face du danger, les autruches prennent la fuite avec leurs grandes pattes.

[ii] « Nommer le mal, le regarder en face, croire que tout pouvoir de nuire peut lui être enlevé fait partie de l’expérience du salut chrétien. C’est ce qu’a voulu faire Nelson Mandela en sortant de prison, avec la commission Vérité et Réconciliation pour sortir de l’apartheid. C’est ce que veut faire encore le Rwanda avec le génocide de 1994 qui a fait un million de morts. C’est ce que les Alliés ont voulu faire à Nuremberg avec le procès des chefs nazis responsables de la ‘solution finale’. C’est ce que veut faire l’Église catholique en France comme ailleurs pour guérir les blessures des affaires de pédocriminalité et empêcher que cela revienne. C’est l’apaisement que cherche le Président Macron en reconnaissant la torture pratiquée par l’armée française pendant la guerre d’Algérie (on souhaiterait la réciproque du côté algérien…). C’est ce qu’a exprimé le Pape François avec sa visite en Irak ce week-end, célébrant la messe à Mossoul au milieu d’une église réduite à des ruines par la folie de Daesh… »       http://lhomeliedudimanche.unblog.fr/

[iii] « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. » (Mt 9,12)

[iv] Du prophète Mani qui croyait qu’un dieu du mal combattait un dieu du bien.