L’eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante

Frères et sœurs, sommes-nous de bons missionnaires ? Aujourd’hui comme aux premiers siècles, l’Eglise en a besoin. Dans notre monde comme il y a 2000 ans, beaucoup d’hommes et de femmes ont soif de Dieu, mais ne peuvent étancher leur soif. C’est notre rôle, en tant que baptisés, de les y aider. Comment ? Dans l’évangile de ce dimanche, Jésus nous répond. Dans son dialogue avec  la Samaritaine, il nous propose un « RITE » missionnaire, qui comprend les trois grandes étapes de toute mission. D’abord, entrer en Relation ; ensuite, aider l’autre à s’Interroger sur son existence ; enfin, Témoigner de notre Foi… Tout cela pour Evangéliser, sous la conduite de l’Esprit Saint !

 

Pour commencer toute mission, il faut entrer en Relation. Saint Jean écrit dans sa première lettre : Dieu nous a aimés le premier (Jn 4,19). C’est Dieu qui a fait le premier pas vers l’homme, non l’inverse[i]. Comme Saint Paul l’écrit aux Romains (2° lect.): « La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs. » (Rm 5,8) Ici, Jésus entre en relation avec une personne avec laquelle il aurait été politiquement correct de n’avoir aucune relation. D’abord, c’est une femme, et un homme n’aborde pas une femme aussi simplement dans la société de l’époque. Qui plus est, c’est une Samaritaine, et les Juifs – pour des raisons à la fois historiques et religieuses – ne veulent rien avoir en commun avec son peuple. Pourtant, Jésus aborde cette femme, et loin de lui parler de haut, il lui demande humblement un service : « Donne-moi à boire. » Demander un service, c’est reconnaître qu’on a besoin de l’autre, c’est donc reconnaître sa dignité. L’humilité de Jésus n’est pas feinte : il est « fatigué par la route », ce qui nous rappelle qu’  « il a vécu notre condition d´homme en toute chose, excepté le péché » (prière euch. N°4)[ii].

Notre société souffre de deux fléaux, l’individualisme et le communautarisme, qui nous poussent à voir l’autre personne ou l’autre communauté (religieuse, sociale, politique…) comme inutile, voire comme un ennemi. Même dans l’Eglise, nous pouvons être tentés d’éviter les relations avec ceux qui ne nous ressemblent pas. C’est pourquoi notre thème d’année est : « A la rencontre de l’Autre ».

 

La relation une fois établie, elle pourrait demeurer superficielle. Mais le Seigneur nous invite à aller plus loin, et à pousser l’autre à s’Interroger sur le sens de son existence. Pour cela, il faut d’abord qu’il prenne conscience de la vanité de sa vie.  « Vanité des vanités, dit Qohélet ; vanité des vanités, tout est vanité. » (Qo 1,2) Cette parole est celle d’un sage, Qohélet appelé aussi l’Ecclésiaste, qui a su observer le monde en profondeur. Si ce livre a été intégré par les Juifs dans le canon des Ecritures, c’est pour mettre en relief que sans Dieu, la vie n’a pas de sens. Notre désir est infini, mais se heurte aux limites de notre condition humaine.

Jésus cherche à ce que la Samaritaine prenne conscience de son insatisfaction. Il ne la juge pas, il lui manifeste seulement qu’il la connaît (« tu as eu 5 maris »). Elle se sent reconnue et aimée. Il l’invite alors à passer d’une soif de plaisirs terrestres (dont la cruche est le symbole) à une soif de l’Esprit Saint (symbolisé par l’eau vive). Les 5 maris de la femme (en lesquels certains ont vu les 5 livres du Pentateuque, qui étaient reçus des Samaritains et formaient leur loi comme celle des Juifs ; d’autres les 5 sens) témoignent que la première soif ne peut jamais être totalement assouvie. Seul le Christ, le véritable « mari » de notre âme, peut nous combler. Le fait que la Samaritaine abandonne sa cruche pour revenir au village manifeste qu’elle a compris le message.

Cette femme ressemble étonnamment à tant de personnes de notre société qui se séparent de leurs conjoints parce qu’ils éprouvent vite de la déception face à leurs imperfections. Ils sont en recherche d’une perfection qu’ils ne pourront trouver que dans le Christ. Notre rôle de chrétiens est de les aider d’abord à s’interroger sur le sens de leur existence, avant de témoigner de la Bonne Nouvelle.

Ce qu’il fait avec la Samaritaine, Jésus le fait également avec ses disciples. Alors qu’ils s’étonnent qu’il ne mange pas, se demandant si quelqu’un lui aurait apporté à manger, il leur déclare : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre ». Il les appelle ainsi à passer d’une faim corporelle à une faim spirituelle, celle de faire la volonté de Dieu. C’est ce que nous demandons dans chaque Notre Père : « Que ta volonté soit faite », demandant seulement ensuite : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ». C’est ce que le Christ nous avait déjà rappelé lors du 1° dimanche de Carême: « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »

 

Il ne suffit pas de susciter le désir de Dieu, il faut encore l’assouvir. C’est l’étape du témoignage de notre Foi. Autrement, on en reste à l’action des sectes. Dans le désert, Dieu a étanché la soif de son peuple. Le rocher sur lequel Moïse a frappé avec son bâton, et dont de l’eau a jailli (1° lect.), c’est le symbole du Christ (cf 1Co 10,4) qui a été transpercé sur la Croix et dont de l’eau et du sang ont jailli du côté, préfigurations du baptême et de l’eucharistie.

Jésus ne s’est pas contenté de susciter le désir de Dieu chez la Samaritaine. Il l’a ensuite assouvi en l’enseignant. D’abord, il parle clairement, sans tomber dans un syncrétisme politiquement correct : « Vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous adorons, nous, celui que nous connaissons, car le salut vient des Juifs ». Ensuite, il manifeste que cette vérité n’est pas synonyme d’étroitesse d’esprit et d’exclusion, au contraire : « l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père ». Jésus ne s’est pas contenté de ces quelques paroles ; ensuite, il a poursuivi sa catéchèse en restant deux jours entiers auprès des Samaritains que la femme avait attirés jusqu’à lui. Celle qu’il avait commencé à évangéliser est devenue très vite elle-même missionnaire. C’est ainsi que sa foi a mûri : alors qu’elle s’adresse à ses concitoyens sous forme interrogative (« ne serait-il pas le Christ ? »), on peut penser qu’elle  fait partie ensuite de ceux qui affirment clairement : « nous-mêmes, nous l’avons entendu, et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde. » Notre foi n’est pas individuelle, elle se partage et grandit en Eglise.

 

Frères et sœurs, cherchons à ressembler à la Samaritaine. Nous aussi, nous sommes en recherche, nous éprouvons des désirs d’infini, que seul Dieu, avec le Fils et l’Esprit Saint, peut assouvir. Mais mettons nous aussi dans la peau de Jésus. Sur la croix, il a dit : « J’ai soif » (Jn 19,28). Il a soif de la soif de l’homme, de son amour. Voilà pourquoi nous devons être missionnaires. Bien que la Samaritaine était une femme « de mauvaise vie » et qu’elle voulait rester cachée (d’où sa venue à la 6ème heure), elle a eu l’audace d’aller à la rencontre des autres. Cette semaine, sachons entrer en Relation avec des non- (ou mal-) croyants de notre entourage. Poussons-les avec délicatesse à s’Interroger sur le sens de leurs vies. Témoignons de notre Foi par nos vies et par nos paroles. Alors, nous évangéliserons nos frères, l’eau vive de l’Esprit coulera en eux et nous  comme d’une source jaillissante pour la vie éternelle, et nous adorerons Dieu en esprit en en vérité.

[i] Alors qu’Adam et Eve avaient péché et se cachaient, honteux de leur nudité, Il est venu jusqu’à eux pour les couvrir de peaux de bête et pour leur promettre la venue d’un Sauveur (Gn 3). Puis, lorsque les Hébreux étaient esclaves de Pharaon, c’est lui qui prit l’initiative de leur envoyer Moïse. Plus tard encore, le Fils de Dieu s’incarna sans que nous ayons mérité une telle grâce…

[ii] Ce sont nos propres fatigues que Jésus a assumées. C’est pourquoi nous aussi devons assumer les peines et les fatigues, « les joies et les espoirs, les angoisses et les tristesses des hommes de ce temps » (Vatican II, Gaudium et Spes).