Mon âme exalte le Seigneur

« Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur ». Frères et sœurs, vivons-nous dans l’action de grâce ? Nous demandons beaucoup de choses au Seigneur, et nous avons raison, car nous sommes pauvres et fragiles, et Lui-même nous invite à agir ainsi. Le Notre Père, la prière chrétienne par excellence que le Christ nous a enseignée, est ainsi constituée de 7 demandes. Mais s’il est important de présenter nos demandes à Dieu, nous ne devons pas oublier de Lui rendre grâce. Une des premières choses qu’on enseigne à un enfant, c’est à dire « s’il te plaît », mais aussi « merci ». Alors, disons-nous souvent merci au Seigneur ? Cette fête de l’Assomption est particulièrement adaptée pour le faire. La Vierge Marie nous montre en effet l’exemple. Le Magnificat, que nous venons d’entendre, est le plus bel hymne d’action de grâce exprimé par une créature. Certes, Marie l’a dit ou chanté au moment où elle était devant sa cousine Elizabeth, peu de temps après avoir appris qu’elle deviendrait la Mère du Sauveur. Mais on peut dire que c’est tout au long de sa vie qu’elle a dû le chanter dans son cœur[i]. Au moment où elle a été emportée au Ciel pour rejoindre son Fils et son Créateur, comment ne pas imaginer qu’elle a chanté le Magnificat avec tout son cœur, avec les mêmes mots ou avec d’autres semblables ? Alors, comme elle, puisons à une triple source, d’où jaillira continuellement notre action de grâce : l’Espérance, la Foi et la Charité.

 

En premier lieu, puisons à la source de l’Espérance. Un jour, nous pourrons rejoindre la Vierge auprès de son Fils dans le Ciel. Comme l’écrit saint Paul, « le Christ est ressuscité d’entre les morts, pour être parmi les morts le premier ressuscité » (2° lect.). Cela signifie non seulement que notre âme est éternelle, comme les Egyptiens le croyaient bien avant nous, mais aussi notre corps. Certes, contrairement à Jésus et Marie qui n’ont pas connu le péché, notre corps terrestre connaîtra la corruption, et nous devrons assumer la souffrance de nous en séparer. C’est d’ailleurs parce que ce moment, qui correspondra à notre rencontre avec Dieu et à notre jugement particulier, sera décisif, que nous prions la Vierge, dans le Je vous salue Marie, de prier pour nous maintenant et à l’heure de notre mort. Ces 2 moments sont intrinsèquement liés : c’est maintenant que nous préparons l’heure de notre mort, maintenant que le Seigneur nous appelle à lui livrer notre vie pour qu’Il puisse la sauver entièrement. C’est le sens même du mot Assomption, qui vient d’assumere en latin : prendre auprès de soi, assumer. Le Seigneur a tout assumé de notre vie, « il a vécu notre condition d’hommes en toute chose, excepté le péché » (prière eucharistique n°4).  Comme le disaient les Pères de l’Eglise, « ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé ». Cela signifie que nous devons accepter d’être en vérité devant le Seigneur. N’y a t-il pas tant de traits de ma personnalité, d’actes que j’ai posés ou que je pose encore, que je préfèrerais cacher à mes propres yeux et aux yeux de Dieu ? Mais c’est justement cela en moi que Jésus désire assumer pour le sauver, pourvu que j’accepte de le lui livrer.

Notre société souffre d’un terrible manque d’Espérance. Pour beaucoup, la mort est la fin de tout et c’est pourquoi d’une part on la craint tellement (les réactions face à la pandémie l’attestent), et d’autre part on cherche à profiter au mieux de la vie présente en évitant à tout prix la souffrance. En tant que Chrétiens, nous avons reçu la grâce immense d’un but pour nos existences. Sénèque disait qu’ « il n’y a pas de bon vent pour celui qui ne sait pas où il va ». J’ose ajouter que pour nous, il n’y a pas de mauvais vent, car un bon marin sait se diriger dans la bonne direction quelle que soit la direction où il souffle. C’est ainsi que Paul a pu affirmer que « tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rm 8,28).

 

En second lieu, Marie nous soutient chaque jour dans le combat de la Foi. La perspective de la résurrection a beau susciter en nous l’Espérance, elle ne supprime pas les difficultés du présent. Mais la Vierge ne se contente pas de nous attendre tranquillement dans le Ciel, elle est la première en chemin qui nous accompagne vers le Ciel. Au pied de la Croix, elle a accepté comme fils le disciple que Jésus aimait. Ce disciple, c’est chacun d’entre nous, si nous le voulons bien. Marie est notre Mère qui nous enfante à la vie divine. Elle est la femme de l’Apocalypse que Jean décrit comme « torturée par les douleurs de l’enfantement » (1° lect.). En plus de ces douleurs dues à nos péchés, qui nous font résister à notre enfantement à la vie divine, Marie doit aussi affronter le Dragon, que l’Écriture appelle aussi « l’antique serpent »[ii]. De grands peintres comme Caravage l’ont représentée en train de le fouler au pied, sans effort apparent[iii]. Le démon n’a aucune prise sur Marie. C’est  la raison pour laquelle il cherche à dévorer l’enfant et non la femme (1° lect.) Quelle image parlante, quand on voit le sort qui réservé aux plus petits aujourd’hui !  On protège les bébés phoques mais on est sans pitié pour ceux et celles qui sont dans le sein de leur mère, et qu’on veut pouvoir éliminer de plus en plus tard, au-delà de 14 semaines dans certains pays, une barbarie que certains appellent « le progrès » !

Si la Vierge Marie peut ainsi dominer l’esprit du mal, c’est parce qu’elle est pleine de grâce, remplie de l’Esprit de Dieu[iv]. Pour notre Foi, la domination de Marie sur le diable est un soutien précieux. En cette période sombre où le mal va si mal, et lorsque nous-mêmes sommes dans l’épreuve, suivons le conseil de saint Bernard : « Que se lèvent les vents des tentations, que surgissent les écueils de l’adversité : regarde l’étoile, invoque Marie ». Elle-même a connu beaucoup d’épreuves sur la terre[v], elle nous aidera par son intercession, et le simple fait de contempler son visage nous aidera.

 

En troisième lieu, ainsi confortés dans l’Espérance et affermis dans le combat de la Foi, nous ne pouvons que grandir dans l’Amour. La Vierge Marie, dans le Magnificat, exprime d’abord à Dieu sa reconnaissance pour ce qu’Il a fait pour elle (« mon Sauveur … s’est penché sur son humble servante… le Puissant fit pour moi des merveilles ») mais elle n’oublie pas ce qu’Il a fait pour les autres (« sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent » et toute la suite). Et sa présence même auprès de sa cousine, vers laquelle elle est venue pour partager sa joie et pour aider dans sa grossesse, témoigne aussi de sa charité.

Toute sa vie, Marie a été attentive au bien de ceux qu’elle a côtoyés. A Cana, c’est elle qui prévient Jésus : « ils n’ont plus de vin ». C’est aussi parce qu’elle est pleine d’amour que Marie a accepté de prendre pour fils Jean au pied de la croix, et chacun d’entre nous au moment de notre baptême. Sur les icônes de la Dormition, on voit toujours les apôtres rassemblés autour d’elle, une façon de signifier que tous ses enfants pourront être glorifiés avec elle.

 

Frères et sœurs, avec la Vierge Marie, exaltons le Seigneur et exultons en Dieu notre Sauveur. Sa présence dans la maison de Zacharie a entraîné l’exultation d’Elisabeth, une pauvre du Seigneur, mais aussi des deux enfants qui étaient dans leurs entrailles. Soyons pauvres nous aussi, ressemblons à des enfants et rendons grâce à Celui qui veut nous assumer dès maintenant et qui, au dernier jour, nous rassemblera tous dans sa gloire auprès de Lui, avec notre Mère et tous les saints.

[i] « Tout est grâce », a dit la petite Thérèse : Marie a vécu chaque instant de son existence avec cette conviction profonde.

 

[ii] Ex : Ap 12,9. Grignion de Montfort écrit: « L’antique serpent appréhende plus Marie, non seulement que tous les anges et les hommes, mais, en un sens, que Dieu même. Ce n’est pas que la puissance de Dieu ne soit infiniment plus grande que celle de la Sainte Vierge, puisque les perfections de Marie sont limitées, mais c’est surtout parce que Satan, étant orgueilleux, souffre infiniment plus d’être vaincu et puni par une petite et humble servante de Dieu, et son humilité l’humilie plus que le pouvoir divin ».

 

[iii] Dans La Madone des palefreniers, par exemple, peinte entre 1605 et 1606 et conservé à la galerie Borghèse de Rome.

 

[iv] Dans les peintures qui la montrent foulant le serpent à ses pieds, elle ne semble pas lutter. En terrassant le dragon, Saint Michel est actif, brandit la lance ou l’épée. Notre-Dame, au contraire, se tient sur le serpent comme s’il n’était pas là. Elle lui ôte jusqu’au prestige du combat.

 

[v] N’oublions pas son exemple : elle-même a souffert durant sa vie terrestre. En particulier, lorsque Joseph et elle retrouvent le Jésus de 12 ans qui était resté au Temple, elle lui dit : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme nous avons souffert en te cherchant, ton père et moi ! ». La foi de Marie était sans faute, mais non sans ténèbres.  Pas plus que Joseph, elle ne comprit la réponse de son fils. Mais, souligne saint Luc, elle « gardait dans son cœur tous ces événements ».