Soyons toujours dans la joie !

Sommes-nous dans la joie, frères et sœurs ? En ce 3ème dimanche de l’Avent, appelé traditionnellement de Gaudete et marqué par le rose liturgique (mélange du rouge du martyre et du blanc de la pureté), l’Église nous invite à rayonner de joie. Qu’est-ce que la joie ? C’est le sentiment que nous éprouvons lorsque nous possédons ce que nous désirons. Si nous ne désirons que des réalités passagères et superficielles, nos joies seront passagères et superficielles. Le Seul qui puisse assouvir nos désirs toujours renaissants, et ainsi nous combler de joie, c’est le Seigneur. C’est Lui que nous désirons, au plus profond de notre cœur. Eh bien, il est venu, il reviendra à la fin des temps, et il vient à nous chaque jour… La joie est à la fois un don de Dieu, le deuxième fruit de l’Esprit Saint (après la charité, cf Ga 5,22), et un commandement, que saint Paul donne aux Philippiens alors qu’il subit l’épreuve de la prison : « soyez toujours dans la joie » (2° lect.). Qu’est-ce qui pourrait alors nous empêcher d’éprouver une joie profonde ? Ce sont nos péchés, qui nous empêchent d’accueillir en nous le Trois-fois-Saint. C’est pourquoi l’Église nous exhorte, par la bouche de saint Jean Baptiste, à nous convertir. Cet appel à la conversion débouche sur un triple baptême, source de joie : dans l’eau d’abord, dans l’esprit ensuite, dans le feu enfin.

 

Pour commencer, nous devons reconnaître que nous sommes pécheurs et faire pénitence. C’est l’objet du baptême dans l’eau que Jean proposait. Même si nous ne sommes plus appelés, en tant que chrétiens, à recevoir physiquement ce baptême, nous devons sans cesse y revenir spirituellement, notamment à travers notre examen de conscience. Et la reconnaissance de nos péchés doit nous pousser à poser la même question que celle qui était posée à Jean : « Que devons-nous faire ? » (3 fois dans la péricope d’aujourd’hui). Jean Baptiste nous exhorte à vivre dans la justice. La justice consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû. Aux foules qui viennent se faire baptiser, Jean demande : « Celui qui a deux vêtements, qu’il partage avec celui qui n’en a pas ; et celui qui a de quoi manger, qu’il fasse de même ! » Lorsque nous aidons les SDF et les autres personnes qui vivent dans la misère, nous n’accomplissons pas des actes de charité, mais tout simplement de justice… Après avoir énoncé la règle qui s’applique à tous, Jean exhorte chacun à vivre selon son devoir d’état. Ceux qui sont les moins aimés, et qui peuvent le plus facilement profiter de leur situation au détriment des autres, viennent eux-aussi à lui. Aux publicains qui collectent les impôts, il dit : « N’exigez rien de plus que ce qui vous est fixé. » Et aux soldats : « Ne faites ni violence ni tort à personne ; et contentez-vous de votre solde. »

Cette dernière exhortation résonne de façon particulière dans notre société de consommation où l’on nous pousse à désirer toujours plus, et où l’on crée sans cesse de nouveaux produits mais aussi dans le même temps beaucoup d’insatisfactions. « Contentez-vous de votre solde » renvoie à la sobriété heureuse à laquelle le pape François nous invite. Sœur Emmanuelle, dans son bidonville du Caire, avait bien remarqué qu’elle y trouvait plus de joie que dans nos sociétés matérialistes.

 

La justice est une première source de joie, mais elle ne comble pas tous nos désirs. Le jeune homme riche (Mt 19) agissait selon la justice de la loi de Moïse, mais il est parti tout triste lorsque Jésus l’a invité à tout quitter pour le suivre. Pour parvenir à une joie plus profonde, il nous faut gravir une marche supplémentaire, celle de la charité[i]. C’est pourquoi, après le baptême dans l’eau, nous devons recevoir le baptême dans l’Esprit, celui que le Christ seul peut donner et que nous avons reçu pour entrer dans l’Eglise. Jean l’indique en affirmant d’abord qu’il n’est pas le Messie, celui que le peuple attend. Lui peut appeler à la justice, une des quatre vertus cardinales que même les païens doivent acquérir, mais seul le second peut appeler à la charité, vertu théologale, c’est-à-dire venant de Dieu et conduisant à Dieu. Seuls le Christ et l’Esprit Saint peuvent nous donner de passer de la justice, qui consiste à donner à autrui ce qui lui est dû, à la charité, qui consiste à aimer autrui à la manière de Dieu. Alors que Jean déclare : « Celui qui a deux vêtements, qu’il partage avec celui qui n’en a pas », Jésus dira : « A celui qui te prend ton manteau, laisse prendre aussi ta tunique. » (Lc 6,29)

 

Pour parvenir au sommet de la joie, nous devons franchir une ultime étape et recevoir un 3ème baptême : celui dans le feu. Jean proclame que le Christ baptisera « dans l’Esprit Saint et dans le feu ». On parle en français de baptême du feu pour signifier le passage par une grande épreuve. Jésus lui-même l’a reçu : « Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli ! » (Lc 12,50) s’exclame-t-il en évoquant sa Passion et sa mort qui approchent[ii]. Et tous ses amis doivent passer par l’épreuve, comme nous le rappelle la première lecture du jour de la Toussaint : les élus « viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. » (Ap 7,14) Non seulement nous ne devons donc pas avoir peur des épreuves, ou chercher à les fuir, nous devons les affronter avec joie : « exultez de joie, même s’il faut que vous soyez affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves ; elles vérifieront la valeur de votre foi qui a bien plus de prix que l’or – cet or voué à disparaître et pourtant vérifié par le feu. » (1 P 1,6‑7) C’est au milieu de la fournaise dans laquelle ils avaient été jetés qu’Ananias, Azarias et Misaël ont chanté leur fameux cantique de louange (Dn 3). Et c’est alors qu’il souffrait terriblement des yeux au point d’être devenu quasiment aveugle que François d’Assise a conçu son cantique des créatures. A frère Léon qui l’interrogea sur la joie parfaite, il répondit : « Au-dessus de toutes les grâces et dons de l’Esprit Saint que le Christ accorde à ses amis, il y a celui de se vaincre soi-même, et de supporter volontiers pour l’amour du Christ les peines, les injures, les opprobres et les incommodités ; car de tous les autres dons de Dieu nous ne pouvons nous glorifier, puisqu’ils ne viennent pas de nous, mais de Dieu, selon que dit l’apôtre : ‘Qu’as-tu que tu ne l’aies reçu de Dieu ? Et si tu l’as reçu de lui, pourquoi t’en glorifies-tu comme si tu l’avais de toi-même ? ’ (1 Co 4,7). Mais dans la croix de la tribulation et de l’affliction, nous pouvons nous glorifier parce que cela est à nous, c’est pourquoi l’Apôtre dit : ‘Je ne veux point me glorifier si ce n’est dans la croix de Notre Seigneur Jésus Christ ’ (Ga 6,14). » N’oublions pas la dernière béatitude : « Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! » (Mt 5,11-12)

 

Ainsi, frères et sœurs, le Seigneur nous invite à la joie, Il nous la commande et Il nous la donne. Pour que nous sachions accueillir ce don et réaliser ce commandement, il y a un triple baptême à recevoir : dans l’eau, dans l’Esprit, et dans le feu. Jean Baptiste n’a pas seulement fait pénitence, il a aussi accueilli en lui l’Esprit Saint et il est mort martyr. C’est pourquoi il a été comblé de joie, comme il en a témoigné lui-même (Jn 3,29). Nous-mêmes, agissons avec justice selon notre devoir d’état, aimons Dieu et notre prochain comme nous-mêmes, et acceptons les épreuves auxquelles nous sommes confrontés comme autant d’occasions d’être plus unis au Christ. Alors, comme Edith Piaf, nous verrons la vie en rose !

P. Arnaud

[i] Un homme a particulièrement bien mis en lumière la distinction entre justice et charité : le bienheureux Frédéric Ozanam. Il disait : « Que la charité fasse ce que la justice seule ne saurait faire ». Dans les années 1830, devançant largement les propos de Karl Marx, il affirme : « Il y a beaucoup d’hommes qui ont trop et qui veulent avoir encore; il y en a beaucoup plus d’autres qui n’ont pas assez… Entre ces deux classes d’hommes, une lutte se prépare. » Et il ajoute : « Je voudrais enserrer le monde entier dans un réseau de charité. »

 

[ii] Jésus est l’homme le plus joyeux que la terre ait porté. Après le retour de mission des 72 disciples, dans l’un des rares moments où il nous est donné d’entendre sa prière à son Père, il exulte de joie sous l’action de l’Esprit Saint, et il dit : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits.» (Lc 10,21) Et au moment de la dernière Cène, alors qu’il sait qu’il va bientôt entrer dans sa Passion, il dit à ses apôtres : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que vous soyez comblés de joie. » (Jn 15,11)