Voici l’Agneau de Dieu

Frères et sœurs, sommes-nous prêts à vivre comme des agneaux ? D’emblée, nous serions tentés de répondre par la négative, tant nous savons que notre société nous pousse plutôt à nous comporter comme des loups. « L’homme est un loup pour l’homme » a déclaré Plaute, repris par nombre de penseurs. Or Jésus a dit à ses disciples : « Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. » (Lc 10,3) Lui-même a été appelé par Jean le Baptiste « l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde ». Ce « titre » est tellement important que nous le redisons lors de chaque eucharistie, et nous le disons même trois fois de suite : « Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde, prends pitié de nous et donne-nous la paix ». Il renvoie à l’agneau pascal, qui évoque la libération d’Egypte. Le Fils de Dieu s’est incarné sous la forme d’un agneau pour nous libérer du mal et en particulier du mal volontaire, qui s’appelle le péché. Alors pourquoi le mal et le péché persistent-ils ? Parce que nous refusons de prendre le remède qu’il nous a prescrit. Un chirurgien ne peut enlever une tumeur en nous contre notre gré. Acceptons-nous de laisser le Christ nous guérir en suivant le chemin qu’il nous a prescrit, qui consiste à devenir nous-mêmes des agneaux ? Pour que nous puissions répondre en toute connaissance de cause, nous allons réfléchir sur le sens de l’image employée par Jean. Que représente un agneau ? D’abord, il symbolise l’obéissance. Ensuite, il représente le sacrifice.

 

Pour commencer, l’agneau symbolise l’obéissance. On dit de quelqu’un qu’il est « docile comme un agneau ». Dans l’esprit de nos contemporains, l’obéissance n’a pas bonne presse parce qu’elle est comprise comme un manque de liberté et de responsabilité personnelles. On préfère l’homme révolté, pour reprendre l’expression de Camus. Mais ne nous trompons pas, c’est contre le mal et contre le péché que nous devons nous révolter, et cela passe par l’obéissance à celui qui a vaincu le mal.

Il importe de souligner que l’obéissance n’est pas la naïveté. Le Christ a dit : « Soyez rusés comme les serpents, et candides comme les colombes. » (Mt 10,16) Autrement dit, nous avons des ennemis dont nous devons nous méfier : Satan, la chair et le monde. Une vraie obéissance exige une grande vigilance. Jésus lui-même s’est montré adroit comme les serpents, notamment lorsqu’il a déjoué les pièges que lui tendaient ses adversaires.

L’obéissance procède de l’écoute (comme le rappelle l’étymologie latine : ob/audire). Ecouter qui ? D’abord la Parole de Dieu. C’est elle qui nous indique Sa volonté. Comme tout bon Juif, et mieux encore, Jésus connaissait par cœur les Écritures. C’est en les scrutant qu’il a dû comprendre petit à petit, dans son humanité, le dessein de son Père. Sans cesse, il les a citées afin de nous faire comprendre qu’il n’agissait pas selon ses caprices, mais selon ce dessein : « Celui qui vient de Dieu écoute les paroles de Dieu. » (Jn 8,47)

Obéir à la Parole de Dieu est nécessaire, mais pas suffisant. Dans certaines situations, cette Parole ne peut nous éclairer. Il nous faut aussi écouter l’Esprit Saint pour lui être dociles. C’est ce que Jésus a dit à Nicodème : « Le vent souffle où il veut : tu entends le bruit qu’il fait, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi de tout homme qui est né du souffle de l’Esprit . » (Jn 3,8) Jésus lui-même lui a été parfaitement docile. Après son baptême, par exemple, c’est par l’Esprit qu’il a été conduit – saint Marc (1,12) écrit même « poussé » – au désert.

 

En plus de l’obéissance, l’agneau symbolise le sacrifice (du latin sacrum facere, « rendre sacré »). Pour la Pâques, en particulier, tous les Juifs immolaient un agneau, selon l’ordre de Dieu à Moïse. Soulignons d’abord que Dieu n’agrée pas tous les sacrifices. Il n’agrée que ceux qui sont demandés par sa Parole ou par son Esprit. Cette seconde phase de notre réflexion est donc en pleine continuité avec la première. La Bible montre que les hommes ont parfois offert des sacrifices qui ont déplu à Dieu. En particulier, certains rois impies, tel Acaz au temps d’Isaïe, ont immolé leur propre fils. Par ailleurs, si Dieu a d’abord accepté les sacrifices d’animaux, Il a ensuite dit à son peuple, par les prophètes, qu’Il n’en voulait plus. L’histoire de l’Église montre que les chrétiens aussi ont parfois offert des sacrifices qui n’étaient pas voulus par Dieu : le dolorisme est une déviation par laquelle on croyait que plus on souffrait, plus on se rendait agréable à Dieu…

Jésus, lui, a offert à son Père le plus beau de tous les sacrifices : il s’est offert lui-même. Le premier temps de son sacrifice, c’est l’Incarnation : « En entrant dans le monde, le Christ dit, d’après le Psaume : Tu n’as pas voulu de sacrifices ni d’offrandes, mais tu m’as fait un corps. Tu n’as pas accepté les holocaustes ni les expiations pour le péché ; alors, je t’ai dit : Me voici, mon Dieu, je suis venu pour faire ta volonté. » (He 10,5‑7) Pour nous sauver, le Fils de Dieu est « sorti » du sein de la Trinité pour « planter sa tente parmi nous » (Jn 1,14). Il est devenu l’Emmanuel, Dieu-avec-nous, comme nous l’avons célébré à Noël. Dans son exhortation La joie de l’Évangile, le Pape François nous appelle à sortir nous aussi de notre confort et de nos habitudes pour aller rejoindre ceux qui sont à la périphérie de l’Église. Comme Dieu est avec nous, nous devons être avec nos frères, particulièrement ceux qui sont le plus loin.

Après l’Incarnation, il y a un second temps dans le sacrifice du Christ : la Rédemption, qui est passée par la Croix. Le Fils de Dieu ne s’est pas contenté de partager notre condition humaine « en toute chose, excepté le péché » (prière eucharistique n°4), il a souffert pour nous. Après avoir annoncé à son Messie qu’il serait « la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre » (1° lect.), le Seigneur décrit ses souffrances: « comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche. […] Broyé par la souffrance, il a plu au Seigneur. Mais, s’il fait de sa vie un sacrifice d’expiation, il verra sa descendance, il prolongera ses jours : par lui s’accomplira la volonté du Seigneur. » (Is 53,7.10) C’est pourquoi nous aussi, si nous voulons participer à la Rédemption du monde et en bénéficier nous-mêmes, nous devons accepter de porter la Croix. Cela ne signifie pas que nous devons être tristes, au contraire. Comme l’écrit saint Paul aux Colossiens : « Je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous, car ce qu’il reste à souffrir des épreuves du Christ, je l’accomplis dans ma propre chair, pour son corps qui est l’Église. » (Col 1, 24)

 

Ainsi, alors qu’il est aussi « le Fils de Dieu » (2nd titre que Jean lui attribue), le Christ n’a pas profité de sa puissance pour être un loup pour nous, mais il a choisi au contraire d’être l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. Il a été un agneau rusé comme un serpent pour déjouer les pièges des loups, et candide comme une colombe pour obéir à la Parole et à l’Esprit de Dieu. Son obéissance s’est concrétisée dans son sacrifice. Celui-ci a commencé par son Incarnation, et s’est achevé par sa mort sur la Croix. Devant un tel sacrifice, comment pourrions-nous ne pas nous offrir à notre tour ? Saint Paul nous y invite : « Je vous exhorte, mes frères, par la tendresse de Dieu, à lui offrir votre personne et votre vie en sacrifice saint, capable de plaire à Dieu : c’est là pour vous l’adoration véritable. » (Rm 12,1) Cette semaine, demandons au Seigneur de nous aider à être à son écoute afin de lui obéir avec joie en nous offrant en sacrifice.

P. Arnaud