Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus

Frères et sœurs, sommes-nous prêts à participer aux noces de Dieu avec son peuple ? Pendant les mariages auxquels nous avons participé, nous avons pu nous réjouir dans une ambiance fraternelle et festive, mais ce n’était qu’un pâle avant-goût de la joie du mariage avec le Seigneur. Isaïe nous décrit l’ambiance : « Le Seigneur de l’univers préparera pour tous les peuples, sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés. Il fera disparaître la mort pour toujours. Le Seigneur Dieu essuiera les larmes sur tous les visages » (1° lect.) Qui d’entre nous n’accepterait pas immédiatement l’invitation à un tel événement ? Eh bien, le Christ nous révèle aujourd’hui que beaucoup d’entre nous la refusent de fait. En plus de cette joie des noces, il évoque aussi « les ténèbres du dehors, là où il y aura des pleurs et des grincements de dents » et il ajoute : « beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. » Cette double vision du paradis et de l’enfer n’est pas une invention du Moyen-âge pour des foules incultes, elle est un choix que le Seigneur offre à notre liberté. Certes, la parabole de ce dimanche revêt une signification d’abord historique (la Parole de Dieu annoncée d’abord aux Juifs puis aux païens, avec la possibilité pour tous de la refuser), mais aussi spirituelle, pour chacun d’entre nous. Nous pouvons vivre ici-bas de telle façon que nous soyons unis au Seigneur et goûtions la joie de cette union. Ou nous pouvons refuser ses grâces et vivre une sorte d’enfer (dont nous avons une vision en ouvrant notre télévision chaque jour). Méditons sur les 3 conditions pour vivre la joie des noces.

 

Pour commencer, nous devons entrer dans la salle de noce. Il s’agit d’un symbole de l’Eglise, et plus encore de la messe, qui est un festin se rapportant au passé (avec la dernière Cène), au présent, (puisque nous nous nourrissons ensemble du pain de la Parole et de l’eucharistie) et à l’avenir (avec le festin eschatologique). Or, deux raisons peuvent expliquer que certains refusent d’entrer : l’indifférence, et l’hostilité.  Pour commencer, l’homme peut faire preuve d’indifférence. Les premiers invités à la noce « n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent, l’un à son champ, l’autre à son commerce ». Ils sont trop occupés à gérer leurs propres affaires. Cette indifférence par rapport à Dieu, autre facette de la préoccupation pour les choses matérielles, est très actuelle. Parmi les chrétiens eux-mêmes, combien – prétextant qu’ils n’ont pas le temps – rejettent les invitations du Christ à prier, à servir, à se former, à participer à la messe… ? Pourtant, « le monde est en feu », comme le disait déjà sainte Thérèse d’Avila (dont c’est la fête aujourd’hui) au XVI° siècle (ce qui nous permet à la fois de relativiser les événements actuels et de nous sortir de nos torpeurs).

En plus de l’indifférence, une deuxième raison de refuser les appels de Dieu est l’hostilité. Dans l’évangile, certains des invités à la noce « empoignèrent les serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent ». Manifestement, ils détestent ce roi qui les a invités. Jésus a fait face à l’hostilité dès le début de son ministère. Et depuis 2000 ans, combien de chrétiens ont été persécutés, et combien sont morts martyrs ? A chaque fois que nous refusons un commandement du Christ (comme celui de pardonner) ou que nous sommes hostiles à notre prochain, nous devenons nous-mêmes ses persécuteurs.

 

Rentrer dans la salle est nécessaire pour participer aux noces, mais pas suffisant. Il faut aussi revêtir le vêtement de noce. Notons qu’aucun des invités n’a pu revenir chez lui se préparer, ce qui signifie que ce vêtement leur a été sans doute offert par le roi lui-même à leur arrivée. Ce vêtement, c’est le Christ lui-même, comme l’écrira saint Paul aux Galates : « vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ » (Ga 3,27). Aujourd’hui, on discute beaucoup de la question de l’habillement à l’école, et beaucoup prônent un retour de l’uniforme, qui permettrait d’éviter les discriminations par la richesse ou par la religion. Pour entrer dans une synagogue, on doit porter la kippa. Pour entrer dans une mosquée, on doit enlever ses chaussures. Pour entrer dans une église, rien n’est demandé de particulier pour la tenue extérieure (du moment qu’elle est décente) mais nous devons revêtir notre cœur du Christ lui-même. Ce vêtement-là n’est pas visible extérieurement (même s’il est symbolisé par l’aube portée par les ministres de l’autel) mais souvenons-nous que « les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur » (1S 16,7) et ne peut être trompé.

Que signifie revêtir le Christ ? Il s’agit de nous unir intimement à lui, à l’image de Paul qui a écrit : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. » (Ga 2,20) Pour vivre cette union, il est nécessaire de vivre dans l’amour, puisque Dieu est Amour. Mais cet amour-là n’est pas celui des romans à l’eau de rose, c’est celui décrit par l’Apôtre : « L’amour prend patience ; l’amour rend service ; l’amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas … il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout. » (1 Co 13, 4‑7) Trois mots (dont le premier et le dernier) de cette belle liste se rejoignent : patienter, supporter et endurer. Ils rejoignent le témoignage de Paul sur sa propre vie : « Je sais vivre de peu, je sais aussi être dans l’abondance. J’ai été formé à tout et pour tout : à être rassasié et à souffrir la faim, à être dans l’abondance et dans les privations. Je peux tout en celui qui me donne la force. » (2° lect.) Nous vivons une période très difficile, marquée en particulier par les problèmes environnementaux et par les guerres, et nous pourrions être tentés de baisser les bras. Le Seigneur nous appelle au contraire à être forts, de sa propre force, car c’est seulement ainsi que nous pourrons être artisans de justice et de paix.

 

Si nous sommes lucides, nous prenons conscience qu’aucun d’entre nous ne porte toujours le vêtement de noce. Tous, il nous arrive de le refuser, c’est-à-dire de refuser d’aimer. Alors, est-ce qu’il nous est impossible de participer aux noces de Dieu avec son peuple ? Heureusement, il nous reste une planche de secours : l’humilité. L’homme qui va être jeté dans les ténèbres du dehors non seulement ne porte pas le vêtement de noce, mais en plus ne répond rien au roi qui l’interroge. Si seulement il avait confessé son indignité, nul doute que le roi aurait fait preuve de miséricorde. Mais parce qu’il refuse celle-ci, la justice s’applique. Il va en enfer parce qu’il l’a choisi, il s’est enfermé en lui-même. C’est pourquoi plusieurs fois durant la messe, nous reconnaissons notre indignité : « Prends pitié de moi », au début de la célébration, « je ne suis pas digne de te recevoir », avant la communion… L’Eglise n’est pas un club de « purs » (le Seigneur y invite « les mauvais comme les bons ») mais le rassemblement de tous ceux et celles qui acceptent humblement de reconnaître qu’ils ont besoin d’être sauvés, et qui revêtent le Christ comme Sauveur.

 

Ainsi, frères et sœurs, n’oublions pas que « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,4) et participent à ses noces avec nous. Mais Il nous laisse libres, et nous pouvons refuser ses appels. « Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus », et nous savons que l’Eglise invisible ne recoupe pas parfaitement celle qui est visible. Alors, ne soyons ni indifférents ni durs de cœur, et vivons dans l’amour et l’humilité. C’est ainsi que dès ici-bas, nous pourrons commencer à goûter la joie des noces de Dieu avec nous !

P. Arnaud