Ma maison s’appellera maison de prière pour tous les peuples

Frères et sœurs, partageons-nous le désir de Dieu ? Son désir, c’est que « tous les hommes soient sauvés et arrivent à connaître pleinement la vérité. » (1 Tm 2,4). Bien avant saint Paul, les prophètes l’avaient déjà révélé, en particulier Isaïe : « ma maison s’appellera ‘Maison de prière pour tous les peuples’ » (1° lect.) En cette période de matérialisme et de relativisme, nous pourrions être tentés de considérer d’une part que seule la misère matérielle doit être combattue (d’où les efforts de solidarité envers le Liban par exemple) et que d’autre part chacun doit être laissé « tranquille » avec « sa » vérité (« à chacun sa route »). Certes, les gestes de solidarité (qui concernent les ressources matérielles mais impliquent aussi la fraternité humaine) sont importants, et certes, le prosélytisme et les guerres de religion qui l’ont accompagné doivent être évités à tout prix. Pour autant, nous ne pouvons nous contenter de la solidarité matérielle et humaine. En effet, l’homme a un corps mais aussi une âme, une vie sur la terre mais aussi une vie au-delà de la mort. Il doit donc être sauvé, non seulement de la misère matérielle mais aussi de la misère spirituelle. Et le seul qui puisse nous sauver, c’est le Christ : « il n’y a qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes : un homme, le Christ Jésus » (1 Tm 2,5) S’il répond à la Cananéenne qui le supplie de guérir sa fille qu’il n’a été « envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël », c’est parce qu’il respecte le dessein de son Père, qui s’inscrit dans le temps, conscient que la mission des disciples après lui sera justement d’aller dans le monde entier proclamer la Bonne Nouvelle à toute la création. (Mc 16,15) Mais ici, comme un peu plus tôt avec le centurion romain qui lui a demandé de guérir son serviteur malade (Mt 8,5-13), Jésus fait une exception pour préfigurer cette mission qui sera celle de son Corps ecclésial. Prenons exemple sur cette Cananéenne, que Jésus non seulement a exaucée mais aussi félicitée avec une admiration perceptible : « Femme, grande est ta foi, que tout se passe pour toi comme tu le veux ! » Ne demandons pas seulement au Seigneur la guérison physique d’un tel ou d’une telle (même si ce peut être une belle prière de notre part) mais demandons-lui aussi le salut d’un tel ou d’une telle (la même personne peut-être ?), qu’elle soit chrétienne ou non, comme cette femme qui demande à Jésus que sa fille soit délivrée du démon qui la tourmente. Il y a tant de démons qui cherchent à nous tourmenter, et certains y parviennent très bien ! A l’image de la Cananéenne, que notre prière soit motivée par la charité, avec une foi persévérante et dans l’humilité.

 

Premièrement, sa prière est fondée sur la charité. Elle ne prie pas pour elle-même, mais pour sa fille, qui est tourmentée par un démon. Elle ressemble au centurion romain qui vient voir Jésus pour lui demander de guérir son serviteur.

Parfois, notre prière est égoïste, que nous demandions quelque chose pour nous ou pour les autres. Par exemple, nous prions pour notre réussite à un examen ou dans notre carrière, ou pour celle de nos enfants, mais sans nous demander en quoi cette réussite pourra servir au bien des autres.

Ici, les disciples font preuve d’égoïsme eux aussi. Eux aussi s’approchent pour lui faire une demande: « Renvoie-la, car elle nous poursuit de ses cris ! » S’ils prient Jésus, c’est seulement pour être débarrassés de la Cananéenne et retrouver leur tranquillité.

 

Deuxièmement, sa prière est pleine de foi. Elle reconnaît en Jésus non seulement le « fils de David », mais même le « Seigneur », et elle le prie avec persévérance, alors que sa réponse semble négative : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. » La persévérance est une composante essentielle de la foi, dont la racine est celle du mot « rocher », comme le mot « amen » nous le rappelle. La foi ne se laisse pas détruire par les contrariétés. Souvenons-nous de la parole de Jésus : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. » (Mt 7,7) ou encore la parabole de la veuve importune (Lc 18,1-8). Parfois, le Seigneur nous fait attendre, et parfois même il nous exauce en plusieurs étapes, comme l’aveugle de Bethsaïde, qu’il guérit en deux temps (Mc 8,22-26).

 

Troisièmement, sa prière est profondément humble. Alors que Jésus lui dit qu’« il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens », elle ne s’offusque pas, au contraire. Les Juifs considéraient les païens comme des chiens, qui rôdaient dans les rues à la recherche de restes de nourriture, au lieu de pouvoir se nourrir de la parole de Dieu, souvent qualifiée de « pain de Dieu », la nourriture substantielle par excellence. Jésus adoucit l’expression avec un mot plus rare traduit par « petits chiens », qui peut renvoyer par exemple à celui qui a accompagné Tobie dans son aventure. Quoi qu’il en soit, sa parole pourrait sembler dure. La réponse de la Cananéenne est magnifique : « Oui, Seigneur ; mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » Non seulement elle accepte d’être considérée comme un petit chien, mais elle renchérit sur la parole de Jésus, appelant les Juifs ses « maîtres ».

 

Ainsi, frères et sœurs, comme cette femme a obtenu le salut pour sa fille, nous pouvons l’obtenir nous aussi pour certains. Saint Paul, après sa conversion, s’est fait « tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns. » (1 Co 9,22). Certes, il fut l’apôtre des nations, mais toujours « dans l’espoir de rendre jaloux mes frères selon la chair, et d’en sauver quelques-uns » (2° lect.) Autrement dit, nous devons chercher à sauver notre prochain, c’est-à-dire celui dont nous nous faisons proche. Saint Dominique passait ses nuits à prier : « que vont devenir les pécheurs ? » Plus près de nous, la petite Thérèse, sitôt après sa transformation de la nuit de Noël 1886, pria pour la conversion de Pranzini, un assassin qui avait été condamné à mort. Elle persévéra plusieurs mois dans sa prière, en offrant des petits sacrifices, et elle eut finalement la joie immense de se voir exaucée le jour même de l’exécution, lorsque Pranzini demanda à embrasser le crucifix. Et nous, pour qui allons-nous demander le salut ? Tant de personnes se perdent autour de nous, tant d’hommes et de femmes sont tourmentés par des démons ! Cette semaine, allons à la conquête des âmes, conscients que nous-mêmes ne pouvons rien, mais que le Seigneur peut et veut agir à travers nous. Et s’il nous semble que le Seigneur ne nous exauce pas, ne perdons pas l’Espérance et prenons exemple sur l’apôtre des nations, qui souffrit jusqu’au bout de l’incrédulité de beaucoup de ses frères juifs. « Jadis, en effet, vous avez refusé de croire en Dieu, et maintenant, par suite de leur refus de croire, vous avez obtenu miséricorde ; de même, maintenant, ce sont eux qui ont refusé de croire, par suite de la miséricorde que vous avez obtenue, mais c’est pour qu’ils obtiennent miséricorde, eux aussi. Dieu, en effet, a enfermé tous les hommes dans le refus de croire pour faire à tous miséricorde » (2° lect) !