Si tu le veux, tu peux observer les commandements

Frères et sœurs, sommes-nous libres ? Au niveau extérieur, nous paraissons libres, car aucun d’entre nous ne vit en prison, et nous pouvons – et même nous devons – faire beaucoup de choix chaque jour. Plus profondément, cependant, nous pouvons être esclaves : de notre haine, de nos désirs impurs, de nos mensonges… Dans le désert du Sinaï, Dieu a commencé par libérer son peuple du joug des égyptiens. Ensuite, Il a voulu le libérer d’un second joug beaucoup plus lourd à porter, celui du péché. Dans ce but, Il lui a donné la loi ancienne, centrée sur les 10 commandements. Certes, cette loi était bonne, mais elle n’était pas définitive : elle était destinée à donner un commencement de liberté. La liberté plénière, seul le Christ peut nous la donner, car il est l’homme libre par excellence. En montant sur la montagne près du lac de Galilée, il a donné aux disciples une loi nouvelle, centrée sur les béatitudes. Ce faisant, il n’a pas aboli la loi de Moïse : « je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. » Après avoir commencé à entendre la portée de la loi nouvelle dimanche dernier – « vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde » – nous allons en saisir aujourd’hui toute la radicalité. A la place de notre mépris ou haine de l’autre, Jésus nous invite à l’amour fraternel. A la place de notre concupiscence, il nous invite à la pureté. A la place de nos mensonges, il nous invite à la vérité. Méditons sur ces 3 points, éclairés par les paroles et les exemples du Christ mais aussi de saint Jean-Paul II, qui fut un excellent professeur de morale.

 

Pour commencer, l’homme est parfois esclave de son mépris ou de sa haine des autres. Cet esclavage, poussé jusqu’à son paroxysme, peut aller jusqu’au meurtre. Ainsi, j’élimine celui qui contrecarre mes plans ou mon bien-être.  Alors que le 5ème commandement interdisait le meurtre, Jésus va jusqu’à la racine du mal : il interdit de se mettre en colère, d’insulter et de maudire. Plus encore : il ne s’agit pas seulement d’être en règle par rapport à la Loi, ancienne ou nouvelle, il s’agit de vivre en frères. Aussi, ajoute Jésus, « lorsque tu vas présenter ton offrande sur l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande ». Même si je n’ai rien à me reprocher, si mon frère a quelque chose contre moi, je vais aller me réconcilier avec lui. Alors que le diable est parfois appelé l’Accusateur dans la Bible, l’Esprit Saint nous invite à pardonner. Un jour, le pape Jean-Paul II avait dit : « pas de paix sans justice, et pas de justice sans pardon ». La fraternité est à ce prix, dans le couple, dans la famille, dans la société. Et soyons lucides : parce qu’il nous arrive à tous d’enfreindre la Loi de Dieu, nous avons tous besoin d’être pardonnés, à un moment ou un autre.

 

Ensuite, l’homme est parfois esclave de sa concupiscence, de son désir de l’autre. Cet esclavage, dans certaines situations, peut aller jusqu’à l’adultère, mettant en danger les familles, bases de la société. Alors que le 6ème commandement interdisait l’adultère, Jésus va à nouveau jusqu’à la racine du mal : il interdit le mauvais regard. Pour éviter les tentations-mêmes, Jésus ajoute : « Si ton œil droit ou ta main droite entraînent ta chute, arrache-les et jette-les loin de toi : car c’est ton intérêt de perdre un de tes membres, et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne ». Certes, cette exhortation n’est pas à prendre au premier degré, comme Origène qui s’était châtré après l’avoir lu. Cependant, elle doit susciter en nous une grande vigilance, particulièrement dans notre société qui nous matraque d’images érotiques ou pornographiques. La meilleure protection est le « jeûne du regard », auquel le pape Jean-Paul II avait exhorté tous les chrétiens.

 

Troisièmement, l’homme est parfois esclave de ses mensonges. Au lieu de se soumettre humblement à la vérité, il cherche à la cacher ou à la transformer à son profit. Alors que le 8ème commandement interdisait le faux serment, Jésus interdit tout serment. Pourquoi ? Parce que toute parole doit être vraie et pouvoir inspirer confiance : « Quand vous dites ‘oui’, que ce soit un ‘oui’, quand vous dites ‘non’, que ce soit un ‘non’. Tout ce qui est en plus vient du Mauvais. » Le serpent de la Genèse a su tromper Eve par des paroles mensongères. Aujourd’hui encore, notre société nous invite à la défiance. Plutôt que de faire confiance aux paroles de l’autre, on préfère rédiger des contrats avec de multiples alinéas pour être sûrs de ne pas se faire tromper. Nous avons ainsi fragilisé une autre base de notre société, qui ne peut bien fonctionner que sur la confiance. Ce n’est plus seulement la Parole de Dieu qui est remise en question, c’est la Parole tout court. Or les parents savent à quel point il est essentiel que leurs enfants puissent leur faire confiance et se fier à leurs paroles pour pouvoir grandir. Ils doivent « tenir parole ». Le mensonge peut tuer, comme la tragédie de Racine, Phèdre, le met crûment en lumière. Le pape Jean-Paul II, qui avait connu le nazisme puis le communisme, savait à quel point le mensonge faisait partie intégrante de ces systèmes totalitaires.

 

Ainsi, frères et sœurs, la Loi nouvelle de l’évangile, qui resplendit particulièrement dans les Béatitudes, est source de liberté. En les  vivant parfaitement, le Christ s’est révélé comme l’Homme libre par excellence. Il n’a pas méprisé ou haï aucun de ses frères : sur la croix, il a dit : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font.» (Lc 23,34) Il n’a pas eu de désir impur sur les femmes : il les a regardées comme ses sœurs, filles de Dieu comme lui. Il n’a pas eu une parole double : même au moment de sa Passion, il n’a pas renié ce qu’il avait déclaré au grand nombre auparavant. C’est ainsi qu’il n’a pas aboli mais accompli la Loi. Ce qui était ébauché par la Loi de Moïse, il l’a mené jusqu’à son terme. Bien qu’il ait été soumis aux multiples lois de la vie humaine, et qu’il ait été tenté comme nous, il n’a pas péché. Il nous montre ainsi que paradoxalement, plus nous sommes serviteurs – on pourrait même dire esclaves – du Seigneur, comme lui-même a été soumis (amoureusement) à son Père, plus nous sommes libres. Parce que nous ne sommes plus alors soumis aux mauvais désirs, nous sommes capables d’accomplir le bien et ainsi de nous accomplir nous-mêmes. Ainsi, alors que l’évangile et les Béatitudes en particulier semblent sources de folie à certains, ils sont la véritable sagesse[i]. La radicalité que le Christ nous propose est attrayante, beaucoup plus que celle que les terroristes recherchent pour fuir notre société qu’ils haïssent, en partie à raison, parce qu’elle asservit l’homme à ses plus bas instincts : la violence, la pornographie, la consommation effrénée… Les réseaux sociaux servent à beaucoup aujourd’hui à insulter ou calomnier autrui, à assouvir leurs pulsions malsaines et à répandre des fake news. Ceux qui croient être libres d’agir ainsi parce qu’ils sont protégés par l’anonymat de leur écran se trompent. Sommes-nous prêts à choisir une autre voie, celle de la liberté ? « Si tu le veux, tu peux observer les commandements, il dépend de ton choix de rester fidèle…La vie et la mort sont proposées aux hommes » (1° lect.). Choisissons la vie, pratiquons la Loi nouvelle. Vivons  dans l’amour fraternel, la pureté et la vérité, alors nous donnerons à ceux qui veulent fuir les faux-semblants de notre société un idéal qui fera grandir non seulement la liberté, mais aussi l’égalité (de dignité) et la fraternité.

[i] Comme l’écrit saint Paul aux corinthiens : « ce n’est pas la sagesse de ce monde, la sagesse de ceux qui dominent le monde et qui déjà se détruisent. […] Mais ce que nous proclamons, c’est, comme dit l’Écriture : ce que personne n’avait vu de ses yeux ni entendu de ses oreilles, ce que le cœur de l’homme n’avait pas imaginé, ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu » (2° lect.).