Sommes-nous ressuscités ?

Frères et sœurs, le jour de Pâques, nous avons entendu saint Paul nous dire : « vous êtes ressuscités avec le Christ ». Vivons-nous vraiment comme des ressuscités ? Saint Paul évoquait notre identité profonde de chrétiens, d’hommes et de femmes unis au Ressuscité, mais sommes-nous fidèles à notre vocation ? « Chrétien, deviens ce que tu es » disait saint Augustin. Comme les arbres produisent leurs fruits au printemps ou en été après avoir été élagués en automne, le temps pascal marque une sorte de plénitude, qui peut nous aider à parvenir à notre propre accomplissement. Cependant, 3 maux nous empêchent de vivre pleinement comme des ressuscités : le péché, l’ignorance, et la peur de souffrir. C’est pourquoi les lectures de ce dimanche nous invitent à suivre les 3 voies que les mystiques ont mises en lumière : voie purgative, voie illuminative, voie unitive.

 

Pour commencer, la voie purgative consiste à nous détourner du péché. St Pierre exhorte ainsi le peuple : « Convertissez-vous donc et tournez-vous vers Dieu pour que vos péchés soient effacés. » (1° lect.)  St Jean, lui, écrit : « Mes petits enfants, je vous écris pour que vous évitiez le péché » (2° lect.). Et Jésus conclut son discours aux disciples en les invitant à proclamer la conversion « en son nom, pour le pardon des péchés, à toutes les nations ».  Cet appel à la conversion, au début du temps pascal, peut nous surprendre, alors qu’il était déjà lancé le 1er jour du Carême : « convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle ». En fait, la conversion, qui consiste à se détourner des idoles pour se tourner vers Dieu, est une exigence de chaque jour, mais elle peut être entreprise à différents niveaux. Pendant l’Avent, nous nous sommes tournés progressivement vers l’Enfant de la crèche, en cultivant en nous l’esprit d’enfance et l’Espérance. Pendant le Carême, nous nous sommes tournés progressivement vers le Serviteur souffrant, en cultivant en nous le sens du sacrifice et de la pénitence. Pendant le temps pascal, nous sommes invités à nous tourner vers le Vivant qui donne l’Esprit, en cultivant en nous le dynamisme de la vie.

Pour nous convertir, nous devons d’abord reconnaître que nous sommes pécheurs. Ce n’est pas si facile, comme l’a souligné saint Jean[i] : « Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dénoncées » (Jn 3,20). C’est pourquoi Jésus est parfois assez « dur », notamment avec les Pharisiens ou avec ses disciples. A ceux d’Emmaüs, après les avoir écoutés, il a dit : « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! » (Lc 24,25). Mais nous n’avons pas à avoir peur : « La paix soit avec vous ! », sa 1ère parole à ses disciples rassemblés le soir du même jour, est une façon de leur exprimer son pardon. St Jean écrit aussi : « si l’un de nous vient à pécher, nous avons un défenseur devant le Père : Jésus Christ, le Juste » (2° lect.). St Pierre commence lui aussi par des paroles qui peuvent paraître dures pour ceux qui l’écoutent : « Vous avez renié le Saint et le Juste, et vous avez demandé qu’on vous accorde la grâce d’un meurtrier. Vous avez tué le Prince de la vie… » Mais pour adoucir ses paroles, et se souvenant de celles de Jésus sur la croix : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font », il ajoute : « je sais bien que vous avez agi dans l’ignorance, vous et vos chefs. » (1° lect.) Nous reconnaître pécheurs n’est possible que parce que nous croyons à la Miséricorde du Seigneur.

 

Le péché est une forme d’ignorance, mais toute ignorance n’est pas peccamineuse. Parfois, nous ne comprenons pas le sens des événements, même si nous avons le cœur pur. C’est pourquoi nous devons laisser le Seigneur nous instruire avec sa Parole. C’est le sens de la voie illuminative. Sa Parole nous éclaire à la fois sur Dieu et sur nous-mêmes. Il n’y a pas d’événements bruts ou objectifs, tout est question d’interprétation. Le mot événement (« ex-venire » en latin = venir d’ailleurs) suggère une certaine transcendance, une altérité radicale, imprévue, non maîtrisable. Les disciples d’Emmaüs ont reçu la nouvelle de la résurrection de Jésus, mais c’est pour eux un évènement « insensé », c’est-à-dire qui ne fait pas sens. Il faut que Jésus partant de Moïse et de tous les Prophètes, leur interprète, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait[ii] (Lc 24,27) pour que leur intelligence s’éclaire et que leur cœur devienne brûlant. Le même soir, avec les apôtres, Jésus agit de la même manière : « il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures ». L’écoute ou la lecture priante de la bible sont donc pour nous le moyen de comprendre le sens de nos existences. Il nous faut la « ruminer », à l’image de Marie, « qui conservait toutes ces choses en son cœur ». C’est ainsi que les évènements peuvent devenir nos « maîtres intérieurs », selon l’expression du philosophe Emmanuel Mounier.

 

Le Seigneur nous invite à nous convertir, à nous instruire mais aussi à surmonter notre peur de souffrir. C’est le sens de la voie unitive. Même si notre cœur est pur et même si nous comprenons le sens de ce que le Seigneur nous demande, nous pouvons avoir peur d’accomplir sa volonté. Jésus lui-même a connu ce sentiment, en particulier à Gethsémani où il a transpiré du sang. Mais il a su surmonter son angoisse : « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. » (Lc 22,42)[iii] Ses disciples, eux, ont tous refusé la souffrance, à commencer par Pierre qui avait pourtant déclaré qu’il était prêt à mourir pour son Maître. A ceux d’Emmaüs, Jésus a demandé : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » (Lc 24,26) « Il fallait », non au sens où Jésus n’aurait pas été libre, mais c’est la logique de l’amour, qui se prouve par-dessus tout dans la souffrance. Il dit aussi aux apôtres : «Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait et qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour… »[iv]. C’est pourquoi Jésus se manifeste à ses disciples en leur montrant ses mains et ses pieds, sur lesquels sont inscrites les traces de sa Passion, et il les invite à le toucher. Une des épreuves majeures que représente la pandémie, depuis plus d’un an, est l’impossibilité de nous toucher. Ce sens est pourtant fondamental, comme le français le laisse entendre avec l’expression «  se laisser toucher »… La religion chrétienne est celle de l’incarnation. C’est dans notre corps que nous ressusciterons, c’est dans notre corps aussi que nous pouvons nous unir au Christ. Et l’amour donne la force et même la joie de souffrir pour l’autre : « Maintenant je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous ; ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son corps qui est l’Église. » (Col 1,24)

 

Ainsi, frères et sœurs, pour que nous puissions vivre comme des ressuscités, le Seigneur nous appelle à nous convertir, à nous instruire et parfois à souffrir. Les apôtres ont eu du mal à accepter aussi bien la Passion que la Résurrection. Pourquoi cette difficulté à accueillir les grands évènements qui constituent la Bonne Nouvelle ? La Passion heurte notre volonté parce que nous ne voulons pas souffrir. La Résurrection heurte notre intelligence : comment ce qui est mort peut-il revivre, n’est-il pas plus raisonnable de croire que la poussière retournera à la poussière (Gn 3,19), et que notre âme seule survivra, comme l’estimaient les sages grecs (cf Ac 17,32) ? Cette semaine, convertissons-nous en faisant notre examen de conscience et en recevant le sacrement du pardon. Instruisons-nous en méditant les Ecritures. Et accomplissons coûte que coûte la volonté du Seigneur, même lorsqu’il nous faudra souffrir. C’est ainsi que nous connaîtrons comme les apôtres une joie immense, celle qui habite au cœur des ressuscités. AMEN.

P. Arnaud

[i] « Et le Jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dénoncées » (Jn 3,19 20)

 

[ii] La loi de Moïse, les prophètes et les psaumes (qui représentent ici tous les livres de sagesse) constituent l’ensemble de l’Ancien Testament. Certes, les références directes au messie n’y  sont pas très nombreuses, mais c’est à la fois par elles et par les allusions indirectes que l’on peut y trouver une préfiguration de la vie de Jésus. C’est pourquoi nous entendons tous les dimanches, en dehors du temps pascal, une lecture tirée de l’Ancien Testament pour éclairer l’évangile. Le lien entre les deux n’est pas toujours évident, et c’est le rôle du prédicateur d’ouvrir l’esprit des fidèles à l’intelligence des Ecritures, à la suite du Christ qu’il représente.

 

[iii] L’auteur de l’épître aux Hébreux va jusqu’à écrire que c’est par ses souffrances que Jésus a appris l’obéissance et a été conduit à sa perfection (He 5,7 9) !

 

[iv] Il leur avait annoncé sa mort et sa résurrection 3 fois avant qu’elles n’arrivent, mais ils n’avaient pas pu le comprendre. Souvenons-nous de Pierre, qui s’était écrié après la première annonce : « Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas. » (Mt 16,22) Et Jésus avait dû répondre encore plus vivement : « Passe derrière moi, Satan, tu es un obstacle sur ma route ; tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » (v.23) Et il avait ensuite déclaré, à l’intention de ses disciples : « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. » (v.24)