Il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit
Frères et sœurs, sommes-nous obéissants ? A notre époque, l’obéissance a mauvaise presse. Elle est souvent perçue négativement, comme un manque de liberté, et synonyme de faiblesse, de pusillanimité, voire même de lâcheté. On lui préfère la révolte et la rébellion, qu’on présente comme synonymes de courage, alors qu’elles sont souvent le fruit de l’orgueil. En réalité, l’obéissance à Dieu est le signe d’une grande liberté intérieure. Il faut ne pas être esclave de ses peurs et de ses désirs pour écouter Dieu et le suivre. L’obéissance est une vertu qui demande une grande force intérieure et doit souvent s’accompagner de courage. D’après son étymologie latine (ob-audire), elle provient d’un cœur qui sait écouter et mettre en pratique, expérimentant ainsi la béatitude proclamée par le Christ : « Heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » (Lc 11,28) L’évangile de ce dimanche nous présente un homme qui a su vivre pleinement l’obéissance : saint Joseph. Grâce à elle, il a su être un bon fils, un bon époux, et un bon père.

Pour commencer, Joseph a été un bon fils. Dans l’évangile, l’ange l’appelle « fils de David ». Certes, ce titre est une façon de nous faire comprendre que Jésus est lui aussi un descendant de David, réalisant ainsi la promesse qui avait été faite au roi que son trône serait stable pour toujours (2S7,16). Mais cette appellation signifie davantage, si on sait que David se caractérise par sa crainte de Dieu et sa piété, et qu’on lui attribue tous les psaumes, même si on sait qu’il ne les a pas tous composés. Or, la crainte et la piété, les 2 premiers dons de l’Esprit Saint, signifient une vie entièrement tournée vers le Seigneur, à son écoute. David, excepté lorsqu’il pécha, n’entreprit rien sans demander d’abord l’avis du Seigneur. De même, Joseph est un homme obéissant, un vrai fils de Dieu. 4 fois de suite, on le voit obéir à l’ange sans retard.
Pourquoi le Seigneur s’adresse-t-il à Joseph à travers des songes ? Notons d’abord qu’Il peut nous parler de multiples manières : lorsque nous sommes éveillés, ce peut être à travers un ange cf Marie), un prophète (cf le roi Acaz, à qui Isaïe est envoyé), l’apparition d’un saint ou du Seigneur lui-même (cf sainte Thérèse d’Avila), ou tout simplement notre conscience… Mais le Seigneur utilise volontiers les songes (cf les patriarches Jacob puis Joseph, le prophète Daniel…) parce que dans le sommeil, l’homme baisse sa garde (c’est pourquoi beaucoup souffrent d’insomnies) et Il peut nous parler plus facilement et plus profondément. C’est aussi une manière de signifier qu’Il nous rejoint dans notre nuit, lorsque nous sommes dans l’incompréhension ou la souffrance.
Pour mettre en lumière l’obéissance de Joseph, observons le contre-exemple de son ancêtre, le roi Acaz. Du temps d’Isaïe, au VIII° s. av. JC, devant la menace d’une invasion de la Syrie et de la Samarie, il refuse d’écouter la voix de Dieu qui l’invite, par la voix du prophète, à ne pas avoir peur et à demander un signe pour être réconforté. « Non, je n’en demanderai pas, je ne mettrai pas le Seigneur à l’épreuve.» Sa réponse ressemble à de l’humilité, mais elle cache en réalité un manque de foi. Acaz a déjà décidé de ne pas faire confiance au Seigneur, mais plutôt à une autre puissance étrangère, celle de l’Assyrie. Il a foi non en Dieu, mais en la politique. Résultat : très peu de temps après les paroles d’Isaïe, les deux royaumes de Syrie et de Samarie ont été complètement écrasés par l’empire assyrien, leurs richesses emmenées à Ninive et leurs populations déplacées. Et alors que Juda avait passé une alliance avec l’Assyrie, il a dû en subir la domination un peu plus tard lui aussi.

Ensuite, Joseph a été un bon époux. Il aime tellement Marie qu’il décide « de la répudier en secret », alors qu’il aurait pu la dénoncer publiquement, ce qui aurait pu lui valoir la lapidation. Par ailleurs, sa décision reflète sans doute son humilité si on admet qu’il connaît la vérité, soit par la bouche de Marie, soit par sa connaissance des Écritures et du prophète Isaïe, qui avait annoncé des siècles plus tôt : « Voici que la vierge est enceinte, elle enfantera un fils, qu’elle appellera Emmanuel » (Is 7,14). Quel que soit le motif de son acte, Joseph a dû beaucoup souffrir en décidant de renoncer à Marie, qu’il aimait profondément.
Mais dès que l’ange lui annonce que « l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint », il la prend « chez lui ». Nous pouvons imaginer sa joie et sa reconnaissance immenses, et en même temps son appréhension devant la mission unique qu’il va devoir accomplir. Les évangiles ne nous disent rien sur ses relations avec Marie, mais on peut les imaginer. Comme ils ont dû s’aimer ! L’amour entre deux êtres est d’autant plus fort qu’il est habité par l’amour de Dieu. En tout cas, Joseph a eu pour Marie un amour protecteur, et nous pouvons imaginer à quel point elle a dû apprécier sa présence en allant à Bethléem pour le recensement, ou en Egypte lorsqu’il fallut fuir…

Enfin, Joseph a été un bon père. Père non pas biologique, mais adoptif. Notons que n’importe quel père, comme lui, doit être accueilli dans la relation au départ fusionnelle entre la maman et son enfant. Quel est le rôle d’un père ? Essentiellement, il doit aider l’enfant à découvrir sa vocation et à se préparer pour l’accomplir. C’est pourquoi c’est son rôle de donner à l’enfant son nom, comme l’ange le dit à Joseph : « tu lui donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés ». D’emblée, Joseph sait quelle sera la mission de son fils, et il l’aidera à s’y préparer, notamment en lui enseignant la torah (c’est le rôle du père, chez les Juifs). Il va aussi lui apprendre à être charpentier. N’oublions pas que chez les Juifs, les activités manuelles et spirituelles vont de pair. Le vrai sage n’est pas celui qui sait beaucoup de choses, mais celui qui sait se servir de ce qu’il a appris pour transformer le monde par son travail. Beaucoup d’illustres rabbins exerçaient des professions manuelles. Chez nous en France, héritiers des Grecs chez qui c’étaient les esclaves qui s’en chargeaient, nous avons malheureusement trop dénigré ces professions. Saint Benoît, au début du Moyen Age, avait révolutionné la société avec sa devise : « ora et labora ». Grâce à lui, des générations de moines ont transformé l’Europe en une terre riche et fertile.
Là encore, quel contraste avec le roi Acaz, qui immola son fils par le feu afin de s’attirer la bienveillance divine (2R 16,3) !

Pour conclure, on peut dire que Joseph a été un bon époux et un bon père parce qu’il a d’abord été un bon fils. C’est en obéissant au Père qu’il a pu être juste vis-à-vis de Marie, de Jésus, mais aussi de tous ceux qu’il a rencontrés. Dans notre société, la paternité, la conjugalité et la filiation sont malades. La crise de la paternité s’est exprimée lorsqu’on a coupé la tête du roi, en 1793, mais plus profondément depuis par le rejet de toute forme d’autorité. La crise de la conjugalité s’exprime sans cesse à travers les nombreux divorces, mais aussi à travers le refus et la peur de s’engager dans le mariage. La crise de la filiation s’exprime dans les dérives autour de la PMA et la GPA, à travers lesquels on tend à créer des êtres humains en les privant des racines auxquelles ils ont droit. Saint Joseph, priez pour nous, afin que nous apprenions à obéir toujours mieux au Seigneur. C’est ainsi que nous serons de bons pères et mères, de bons époux, mais surtout de vrais fils et filles de Dieu.

P. Arnaud