Venez à l’écart et reposez-vous un peu

 

Frères et sœurs, savons-nous nous reposer ? En cette période estivale, beaucoup d’entre nous ont l’occasion de prendre des vacances. Il s’agit là d’un temps très précieux pour pouvoir nous poser, dans le rythme souvent effréné de nos existences. Nous connaissons tous des proches ou des collègues qui ont subi un burn out, et peut-être l’avons-nous expérimenté nous-mêmes. Le danger est d’autant plus fort pour nous, chrétiens, que le Seigneur nous invite à aider et servir les autres. Entre la paresse du riche qui ne fait rien pour aider le pauvre Lazare qui gît à son portail, et l’activisme de Marthe qui s’agite pour servir Jésus et les autres convives en perdant de vue l’essentiel, il y a une ligne de crête pas facile à suivre. Parfois, notre fatigue provient non d’un excès d’activités, mais d’un manque de motivation pour exercer les nôtres. Cependant, même si nous aimons ce que nous faisons, il arrive un moment où la fatigue nous saisit. Jésus lui-même a connu ce sentiment (Jn 4,6[i]). Dans l’évangile de ce dimanche, ce sont surtout les apôtres qui sont concernés car ils reviennent de leur première mission. Ils ont chassé les démons, guéri les malades, annoncé la Bonne nouvelle… Jésus, qui est le bon berger, connaît bien ses brebis et il sait qu’elles ont besoin de se ressourcer. C’est d’autant plus nécessaire qu’ils ont connu du succès et que « ceux qui arrivaient et ceux qui partaient étaient nombreux, et l’on n’avait même pas le temps de manger. » C’est pourquoi  il leur dit : « Venez à l’écart dans un endroit désert et reposez-vous un peu »Comment permettre à ses disciples de se reposer ? Jésus va s’occuper de leur âme, de leur esprit, et de leur corps. Pour leur âme, il les invite à faire le bilan de leurs expériences. Pour leur esprit, il les enseigne. Pour leur corps, il les nourrit.

 

Pour commencer, Jésus veut soigneur leurs âmes. « Anima », en latin, suggère la question : qu’est-ce qui vous anime ? De temps en temps, il est bon de s’arrêter pour établir le bilan des actions passées, et y laisser surgir un sens. L’action du Seigneur est souvent cachée, on ne la découvre qu’après coup, comme une tapisserie dont on ne découvre la beauté qu’après l’avoir remise à l’endroit. Moïse n’a pas pu voir Dieu de face, comme il le Lui avait demandé, mais il l’a vu de dos. Marie aimait méditer sur les paroles de Dieu et sur les évènements (Lc 2,19) (dabar, en hébreu, signifie les 2 à la fois). Ici, les apôtres disent à Jésus « tout ce qu’ils avaient fait et enseigné ».

Le temps des vacances peut aussi être pour nous l’occasion de faire le bilan des années ou des mois passés. Nous avons parfois la tête dans le guidon, comme les coureurs du Tour de France, et nous perdons le sens et la motivation de nos actions. En faisant le point, nous prenons à la fois conscience de nos réussites, pour en tirer une légitime fierté, de nos erreurs, pour devenir plus humbles et acquérir la prudence qui nous aidera à les éviter à l’avenir, mais aussi de l’action de Dieu pour lui en rendre grâce[ii].

 

Jésus soigne les âmes, mais aussi les esprits, dans lesquels résident nos intelligences. C’est pourquoi il enseigne. En voyant une grande foule venir à lui, au moment précis où il voulait se mettre à l’écart, il aurait pu perdre patience. Mais au contraire, « il fut saisi de compassion envers eux, parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger. Alors, il se mit à les enseigner longuement » ou plus précisément « à leur enseigner beaucoup de choses ». L’homme a besoin de saisir le sens de son existence, mais plus largement de saisir la Vérité dans toutes ses composantes. En enseignant, nul doute que Jésus s’adresse non seulement à la foule mais aussi à ses apôtres qui ont besoin de se reposer. En écrivant l’encyclique « Veritatis Splendor », le pape Jean-Paul II avait souligné la beauté de la Vérité. En la contemplant, en l’admirant, on peut éprouver le repos de l’intelligence.

Et nous, prenons-nous le temps de nous laisser enseigner par le Christ ? Notre société est caractérisée par une surabondance de l’information. Mais s’informer et se former ne signifient pas la même réalité. S’il y a moins d’analphabètes aujourd’hui que par le passé, il y a un illettrisme de masse (20% des enfants qui entrent en 6ème) et même des élites, comme le scande Michel Onfray. Beaucoup ne prennent plus le temps de lire et de se former, et se contentent d’engranger des connaissances, sans hiérarchie et sans discernement. Le temps des vacances peut nous permettre de choisir de bonnes lectures ou de participer à des MOOC qui vont nous aider à nous rapprocher de Dieu non seulement avec nos sentiments, mais aussi avec nos intelligences. Ce progrès au niveau de la raison est important pour nous mais aussi pour ceux que nous côtoyons et qui ne connaissent pas ou mal notre foi. « Soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous » (1P 3,15) !

 

Le Seigneur veut nous donner le repos pour nos âmes, pour nos esprits, mais aussi pour nos corps. Après avoir écouté les apôtres lui parler et les avoir enseignés avec la foule, il donne à tous à manger (c’est la multiplication des pains, que nous entendrons dimanche prochain). Jésus est attentif à tout ce que nous sommes. N’oublions pas que notre religion est celle de l’incarnation, celle qui donne le plus de place au corps. Quel dommage que beaucoup, même parmi les chrétiens, ne le comprennent pas et confondent notre foi avec le jansénisme ou le dolorisme, qui l’ont défigurée ! « Ventre affamé n’a pas d’oreilles » dit le proverbe. N’oublions pas que notre corps est le temple de l’Esprit Saint (1Co 6,19) !

Prenons-nous soin de notre corps ? Notre société hédoniste, qui magnifie les corps, a tendance à les maltraiter. Certains n’ont pas assez à manger, mais beaucoup se nourrissent mal. La « malbouffe » est devenue un problème grave, qui a des conséquences sur la santé de millions de Français[iii]. Et beaucoup passent trop de temps devant les écrans et pas assez à se promener ou faire du sport. En prenant soin de nos propres corps, nous prenons soin aussi de ceux des autres, qui forment avec nous un seul Corps, comme non seulement la théologie mais aussi l’expérience du vaccin nous l’enseignent.

 

Ainsi, frères et sœurs, le Christ veut nous aider à goûter le repos dans nos âmes, nos esprits, et nos corps[iv]. Profitons de cet été pour changer nos habitudes et prendre des forces pour la suite de nos parcours. Mettons-nous à l’écoute du bon berger, afin de devenir nous-mêmes de bons bergers pour ceux dont nous avons la charge : nos enfants, nos employés, nos collaborateurs, nos paroissiens… C’est ainsi que nous pourrons mieux rendre grâce au Seigneur, et que nous recevrons la vie, la vie en abondance qu’il est venu nous donner.

P. Arnaud

[i] « Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la route, s’était donc assis près de la source. C’était la sixième heure, environ midi. » (Jn 4,6)

 

[ii] Dans un conte brésilien, un homme revoit toute sa vie. Marchant sur une plage le long de la mer, il voit à la fois ses traces et celles de Jésus, qui a été son compagnon. Mais il s’aperçoit  que les endroits où il n’y a plus qu’une seule trace de pas correspondent aux épreuves les plus difficiles qu’il a dû traverser.  « Pourquoi, à ces moments-là, m’as-tu abandonné ? » demande-t-il à Jésus ? A ces moments-là, lui répond Jésus, je ne t’ai pas abandonné, mais je te portais dans mes bras…

 

[iii] Selon une étude récente de l’Agence nationale de sécurité sanitaire.

 

[iv] « Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie tout entiers, et qu’il garde parfaits et sans reproche votre esprit, votre âme et votre corps, pour la venue de notre Seigneur Jésus Christ » (1Co 5,23)