Mon Seigneur et mon Dieu !
Frères et sœurs, sommes-nous croyants ? Croyants au point de pouvoir déclarer à propos du Christ, à la suite de saint Thomas le soir de la résurrection: « Mon Seigneur et mon Dieu » ? Il s’agit de la plus belle profession de Foi de tous les évangiles. A travers l’humanité de Jésus, l’apôtre reconnaît sa divinité. Certes, Thomas n’est parvenu à ce sommet que parce que Jésus lui a montré ses mains et son côté, et lui a proposé de mettre ses doigts dedans (ce qui nous rappelle l’importance du toucher, le sens le plus oublié de notre époque, que cette période de restrictions sanitaires resitue paradoxalement à sa juste valeur[i]). Mais Jésus a ajouté à notre intention : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » Le nom hébreu de Thomas signifie : « Jumeau », en grec Didyme, peut-être sommes-nous son jumeau ? Nous aussi, nous pouvons goûter le bonheur immense de croire que Jésus est notre Seigneur et notre Dieu. Pas seulement de le professer avec nos lèvres au moment du credo, chaque dimanche, mais de le professer avec tout notre cœur à chaque instant de nos vies. Malheureusement, soyons lucides, il nous arrive de renier le Christ, consciemment ou non. Trop souvent, nous vivons comme si le Christ n’existe pas, nous l’oublions, nous doutons de lui, nous nous enfermons en nous-mêmes, comme les disciples au cénacle. Pourquoi cet enfermement ? Parce que nous éprouvons des regrets et de la culpabilité par rapport au passé. Parce que nous avons des difficultés à bien nous diriger dans le présent. Parce que nous ressentons des peurs vis-à-vis de l’avenir. Le Ressuscité, dans sa Miséricorde que nous célébrons aujourd’hui particulièrement, mais aussi chaque dimanche (1° et 8° jour de la semaine), vient sans cesse nous délivrer de nos tombeaux. Pour nous libérer des regrets et de la culpabilité, il nous donne sa paix. Pour nous libérer de nos angoisses du présent, il donne un sens à notre vie. Pour nous libérer de nos peurs de l’avenir, il nous donne sa force.
Pour commencer, le Ressuscité veut nous libérer des regrets et de la culpabilité. Sa première parole, d’abord aux disciples puis à Thomas, est : « La paix soit avec vous ! » (qu’il répète même une deuxième fois aux disciples, tant leurs blessures sont profondes). Ils souffrent certainement d’un immense sentiment de culpabilité. Ils ont abandonné leur Maître au jardin de Gethsémani. Chez Judas, qui l’avait trahi, ce sentiment a été tellement oppressant qu’il a mis fin à ses jours. Pierre, au contraire, qui n’avait pas fait mieux puisqu’il l’avait renié 3 fois, a su se laisser regarder par Jésus après le chant du coq, et il a ensuite pleuré amèrement. C’était une première étape dans sa guérison, mais il en faudra d’autres. Après celle-ci au cénacle, il en faudra une troisième, lorsque Jésus lui demandera 3 fois « m’aimes-tu ? », et le confirmera dans sa mission (Jn 21). Notons que le pardon des péchés ne signifie pas leur oubli. Le Ressuscité porte encore les traces de sa Passion. S’il montre ses mains et son côté à ses disciples, ce n’est pas pour « remuer le couteau dans la plaie », c’est au contraire pour montrer à ses disciples que sa Miséricorde est plus forte que leurs péchés.
Charles de Foucauld, après son long séjour au désert, était passé d’une dissolue à une vie droite, mais il ne parvenait pas à franchir le seuil de la foi… jusqu’au jour où, dans l’église de Saint Augustin, l’abbé Huvelin lui demanda de se mettre à genoux et de se confesser. Un changement radical se produisit en lui, semblable à l’expérience vécue par Thomas 20 siècles plus tôt. Il écrira ensuite : « Ma vocation religieuse date de la même heure que ma foi. »
Ensuite, le Ressuscité nous libère de nos angoisses du présent. « Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va », écrit Sénèque. L’homme qui n’a pas de but ne peut pas savoir quel chemin prendre, et il éprouve l’angoisse de sa liberté, comme Sartre l’a beaucoup souligné. Il écrit dans L’Etre et le Néant : «L’homme est condamné à être libre». Les disciples, après la mort de Jésus, ne savaient plus que faire de leurs existences, à l’image des disciples d’Emmaüs qui s’éloignaient tout tristes de Jérusalem. Eux aussi étaient enfermés en eux-mêmes, au point que « leurs yeux étaient aveuglés, et qu’ils ne reconnaissaient pas » Jésus (Lc 24,16) Mais le ressuscité redonne du sens à l’existence des disciples : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » et, pour qu’ils en aient la force, il souffle sur eux l’Esprit Saint. Il leur donne alors une mission : « Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus ». Le Seigneur est prêt à pardonner tous les péchés, mais il ne peut le faire que si l’homme est prêt à accueillir son pardon, et donc à se reconnaître pécheur. Jésus envoie ses disciples témoigner de la miséricorde de Dieu, dont ils sont les premiers bénéficiaires.
Enfin, le Ressuscité nous libère de nos peurs de l’avenir. Les disciples avaient « verrouillé les portes du lieu où ils étaient, car ils avaient peur des Juifs ». Ils avaient bien compris que leur vie était en danger, comme Jésus lui-même le leur avait d’ailleurs clairement annoncé avant sa Passion : « On portera la main sur vous et on vous persécutera ; on vous livrera aux synagogues, on vous jettera en prison, on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs, à cause de mon Nom. » (Lc 21,12) Et il avait ajouté : « Ce sera pour vous l’occasion de rendre témoignage » (qui se dit martyras, en grec) Ce témoignage jusqu’au sang, ils vont tous le rendre, mais il faudra d’abord que le Seigneur envoie à nouveau sur eux son Esprit, le jour de la Pentecôte (Ac 2). Parfois, le Seigneur recommence une action, non parce qu’Il l’a ratée la première fois, mais pour en approfondir l’effet. C’est ainsi que non seulement il a dit 2 fois « la paix soit avec vous ! », nous l’avons vu auparavant, mais aussi qu’il a guéri l’aveugle de Bethsaïde[ii] (Mc 8). Devant le tombeau vide, Marie Madeleine a dû se retourner 2 fois avant de reconnaître Jésus (Jn 20). Et Thomas lui-même a eu besoin d’entendre d’abord le témoignage des autres apôtres le 1° jour de la semaine, avant d’accepter de croire le 8° jour… A partir de la Pentecôte, les apôtres n’auront plus peur des autorités, et ils braveront leurs menaces jusqu’à leur déclarer : «Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. » (Ac 5,29) Notons que ceux qui les écoutent, eux, ont encore peur, même s’ils se convertissent : « Personne d’autre n’osait se joindre à eux ; cependant tout le peuple faisait leur éloge; de plus en plus, des foules d’hommes et de femmes, en devenant croyants, s’attachaient au Seigneur » (1° lect.) Eux aussi, et nous en faisons partie, auront besoin de la force de l’Esprit, que le Seigneur nous offre dans le sacrement de confirmation… Quant à Thomas, il est allé annoncer l’évangile en Orient, et il a été martyrisé en Inde, où on vénère aujourd’hui encore son tombeau.
Ainsi, frères et sœurs, le Ressuscité veut nous libérer de nos regrets et de nos culpabilités par rapport au passé, de nos désarrois dans le présent, et de nos peurs vis-à-vis de l’avenir. Rendons grâce au Seigneur pour sa Miséricorde envers nous, en l’exerçant nous-mêmes envers notre prochain. En particulier, n’ayons pas peur, comme Thomas, de toucher ses plaies, qui sont aujourd’hui les « blessés de la vie ». A la suite des premiers disciples, aidons-les à « s’attacher au Seigneur » (1° lect.). Avec Thomas et nous, ils connaîtront le bonheur de croire et nous pourrons tous déclarer au Christ, par nos paroles et nos actes : « mon Seigneur et mon Dieu », à chaque instant de nos vies.
[i] Le toucher est le premier sens qui s’éveille, chez le bébé qui, dès sa naissance, a besoin de caresses, et le dernier qui s’endort : le malade dans le coma a encore besoin qu’on lui prenne la main pour l’accompagner vers la mort.
[ii] « Après lui avoir mis de la salive sur les yeux et lui avoir imposé les mains, il lui demandait : “Aperçois-tu quelque chose ?” Et l’autre, qui commençait à voir, de répondre : “J’aperçois les gens, c’est comme si c’était des arbres que je les vois marcher.” Après cela, il mit de nouveau ses mains sur les yeux de l’aveugle, et celui-ci vit clair et fut rétabli, et il voyait tout nettement, de loin. » (Mc 8,23-25)