Me voici !

Frères et sœurs, comment vivre dans l’Esprit Saint ? Comment recevoir ses 7 dons et les laisser agir dans nos vies, et produire ainsi ses fruits, en particulier celui de la joie ? Prenons exemple sur les personnages de l’évangile de ce dimanche. Tous ont été mus par l’Esprit. Il est d’abord venu sur Marie au moment de l’Annonciation (Lc 1,35), puis il a rempli sa cousine Élisabeth au moment de la Visitation (v.41) C’est sous son influence que leurs enfants ont tressailli d’allégresse, Jean d’abord[i] en entendant la voix de Marie (v.44) puis Jésus devenu adulte, au retour de la première mission de ses disciples (Lc 10,21). Qu’est-ce qui leur a permis d’être dociles à l’Esprit ? Le père Marie Eugène, auteur d’une somme célèbre sur la vie spirituelle (Je veux voir Dieu), énonce 2 dispositions qui correspondent à 2 « lois ou exigences de toute action de Dieu dans l’âme » : le don de soi et l’humilité.  Méditons sur chacune d’entre elles, à la lumière des lectures de ce dimanche.

 

La première disposition fondamentale est le don de soi. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15,13) et c’est chaque jour que nous devons renouveler notre don. Sainte Thérèse d’Avila écrit : « Dieu ne force pas notre volonté, il prend ce que nous lui donnons. Mais Il ne se donne pas complètement tant que nous ne nous sommes pas donnés à Lui d’une manière absolue… Le Seigneur ne peut agir librement dans l’âme que quand il la trouve dégagée de toute créature et toute à Lui »[ii].

Si Marie a pu dire à l’ange, juste avant de partir rejoindre sa cousine: « Voici la servante du Seigneur ; que tout se passe pour moi selon ta parole » (Lc 1,38), c’est parce qu’elle avait déjà offert sa vie à Dieu à l’aube de sa vie consciente. Ce don total d’elle-même lui permet non seulement d’accomplir la volonté de Dieu, mais de l’accomplir « avec empressement », comme en témoigne son départ pour rejoindre Elisabeth.  Au lieu de se replier sur son bonheur d’être enceinte du Fils de Dieu, elle se met en route pour aider sa cousine dans sa grossesse et lui partager sa joie. Elle est toute à Dieu et toute à son prochain.

De même Elisabeth ne se replie pas sur son bonheur d’être enceinte, elle accueille Marie avec un cœur grand ouvert et prêt à se donner, tant et si bien que le bonheur de la Vierge, « heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur », fait naître le sien : « Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? »

De même, Jean s’est donné lui-même. Pour commencer, il a renoncé à une vie facile pour vivre dans le désert et inviter ses contemporains à la conversion. Ensuite, il a donné sa vie elle-même en acceptant de mourir martyr.

Jésus, enfin, n’a été que don : tout ce qu’il a fait, tout ce qu’il a dit, c’était pour nous…C’est pourquoi l’auteur de l’épître aux Hébreux lui prête cette parole, en reprenant un psaume : « Me voici, mon Dieu, je suis venu pour faire ta volonté.» (2° lect.). Ces deux mots, « me voici », sont prononcés par tous ceux qui sont ordonnés prêtres ou qui font des vœux religieux, au moment de leur engagement.

Aujourd’hui, beaucoup ont peur de s’engager, de se donner à Dieu et aux autres. Tout devient monnayable, même la douleur (dans le cas de dommages psychologiques subis) et la gratuité devient une denrée rare. C’est dommage car, comme le dit un jour Mère Teresa à un groupe de jeunes, « la joie vient du don ». Sur son lit de mort, la petite Thérèse a dit que depuis l’âge de trois ans, elle n’avait « jamais rien refusé au bon Dieu.» Et c’est ce qui lui a donné son infinie confiance en la miséricorde de Dieu à son égard, et dans le fait qu’Il ne pouvait pas refuser ses pauvres demandes.

 

Le don de soi est nécessaire pour accueillir en nous le souffle de l’Esprit, mais pas suffisant : il doit être accompagné de l’humilité. L’orgueil est le principe de tout péché, et « il n’y a pas de toxique au monde qui empoisonne aussi promptement le corps que l’orgueil ne tue la perfection ».[iii] Dans l’histoire de l’Eglise, on a pu voir la chute de beaucoup qui s’étaient donnés sincèrement au Seigneur mais qui ont été piégés par le démon de l’orgueil. C’est pour les en délivrer que Jésus est « dur » avec les Pharisiens et les scribes. C’est pour la même raison qu’il « humilie » (au sens premier du terme) certains de ses interlocuteurs. Ainsi, il dit à Nicodème : « Tu es un maître qui enseigne Israël et tu ne connais pas ces choses-là ? » (Jn 3,10). Puis il dévoile à la Samaritaine, qui le traitait avec hauteur, qu’il connaît sa vie tumultueuse : « des maris, tu en as eu cinq, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari » (Jn 4,18). Il humiliera aussi Saul de Tarse, le fier Pharisien qui paradait sur son cheval pour aller persécuter les chrétiens, en le privant de la vue pendant 3 jours… Jésus n’humilie pas pour rabaisser, mais pour percer l’abcès qui enferme le pus de l’orgueil.

Voyons maintenant des exemples d’humilité à travers les personnages de ce dimanche. Le prophète Michée, pour commencer, est un simple paysan au langage vif et parfois cru. Il annonce que le petit village de Bethléem, et non la grande et orgueilleuse Jérusalem, sera le lieu de naissance du messie : « Toi, Bethléem Ephrata, le plus petit des clans de Juda, c’est de toi que je ferai sortir celui qui doit gouverner Israël » (1° lect.). Elisabeth, comme toutes les femmes à l’époque, ne compte pas beaucoup aux yeux du monde. Qui plus est, sa longue stérilité l’a rendue plus humble, car elle a dû traverser beaucoup de questionnements intérieurs et subir des humiliations de l’extérieur. Jean Baptiste, qui est depuis 6 mois dans le sein de sa mère, pèse environ 1 kilo, il bouge beaucoup et commence à réagir aux bruits extérieurs. Voilà ce que la science médicale nous enseigne sur les fœtus de cet âge. Lorsqu’il entend la salutation de Marie, il tressaille de joie, commençant ainsi sa mission de précurseur du Messie. Plus tard, il aurait pu se faire passer pour le messie, puisque beaucoup le croyaient spontanément, mais il dira : « Je ne suis pas le messie… Il faut que lui croisse et que moi je diminue » (Jn 1,21.3,30) Marie, pour sa part, qui est une jeune fille d’une quinzaine d’années et vit dans un village de Galilée, cette région méprisée par les habitants de Jérusalem, ne compte pas non plus beaucoup aux yeux du monde. Mais elle a cru à l’annonce de l’ange, alors que Zacharie, personnage important aux yeux du peuple, n’y a pas cru… Ces 4 personnages sont pauvres de cœur. Quant au Christ lui-même, il s’est toujours rabaissé, n’acceptant que juste avant sa Passion d’être considéré comme le messie, et mettant sans cesse en avant son Père, de qui il reçoit tout.

 

Ainsi, frères et sœurs, le don de nous-mêmes et l’humilité sont des dispositions indispensables pour que le Saint-Esprit nous guide. Le père Marie Eugène en a ajouté une troisième, qui favorise les deux premières : le silence. Nous devons parfois chercher le silence extérieur pour trouver le silence intérieur, source de recueillement et de contemplation… Alors que les fêtes de Noël approchent, et que nous allons recevoir et offrir des cadeaux à ceux que nous aimons, n’oublions pas celui dont nous célébrerons l’anniversaire : dans le silence de nos cœurs, offrons-nous tout entier à lui, avec des cœurs humbles. Allons à la rencontre les uns des autres, et que chacune de nos « visitations » ressemble à celle de Marie à Elisabeth, pleine de la joie de Dieu !

P. Arnaud

[i] L’ange avait annoncé à Zacharie : « il sera rempli d’Esprit Saint dès le ventre de sa mère » (Lc 1,15).

[ii] Vie, ch.XI.

[iii] Ste Thérèse d’Avila, 3èmes demeures, ch.2.