Heureux les invités au repas des noces

Frères et sœurs, comment nous unir à Dieu ? Le Seigneur nous invite aujourd’hui à considérer la vie comme des noces, en se présentant comme l’Epoux de l’humanité. Alors que nous sommes familiers avec l’image de Dieu comme Père, nous l’imaginons moins spontanément comme notre Epoux[i]. Dieu veut épouser l’humanité, et chacune de nos âmes, pour s’unir à elles et pour nous transformer, nous diviniser. En s’incarnant, le Fils de Dieu est venu pour nous inviter à ces noces. Mais beaucoup refusent cette invitation, comme Jésus le dira dans plusieurs paraboles (Mt 22&25). L’homme désire devenir comme Dieu (d’où le « succès » du serpent de la Genèse qui tente Eve en lui disant : « vous deviendrez comme des dieux »), mais il refuse d’écouter la voix de celui qui veut lui en montrer le chemin. Il aspire à une transformation facile et instantanée, et n’accepte pas celle proposée par le Fils de Dieu, qui passe par la croix et demande de la patience. A la fin des temps, il reviendra pour que le mariage soit pleinement consommé, dans les noces éternelles que saint Jean décrit dans l’Apocalypse. En attendant, cependant, il est possible de goûter dès maintenant la joie des noces. Comment ? En écoutant la Vierge Marie. Dans l’évangile, elle vient de dire deux paroles qui vont nous éclairer : « ils n’ont pas de vin », d’abord, et « faites tout ce qu’il vous dira » ensuite. La première nous invite à l’humilité, en nous rappelant la pauvreté de l’homme sans Dieu, et la seconde à l’obéissance, en nous invitant à toujours accomplir sa volonté.

 

« Ils n’ont pas de vin » : voilà le drame de notre condition humaine. Sans le Christ, la vie ressemble à des noces où il n’y aurait pas de vin[ii]. Marie en a pleinement conscience, et son cœur de mère en souffre. Nous pouvons admirer celle qui est attentive aux besoins de ceux qui sont autour d’elle, aussi bien il y a 2000 ans qu’aujourd’hui avec nous. Une noce sans vin, c’est comme un repas sans sel, comme une vie plate et sans passion… Marie ne dit pas à Jésus : « ils n’ont plus de vin », mais « ils n’ont pas de vin », parce que l’Ancienne Alliance ne pouvait offrir que l’eau de la purification. Seule la Nouvelle Alliance nous offre le vin de la joie véritable, celle de l’union avec Dieu. Notons que Marie ne demande rien à Jésus, elle sait que ce n’est pas nécessaire, tant sa confiance en lui est totale.

La réponse de Jésus à sa mère est surprenante, voire choquante : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue ». Pourquoi Jésus appelle-t-il sa mère « femme » ? Il signifie par là qu’elle est la nouvelle Eve, et qu’il est le nouvel Adam. La première, en proposant au second de manger le fruit défendu, avait entraîné une détérioration des relations de Dieu avec l’humanité. Marie fait exactement l’inverse. Elle pousse Jésus à accomplir un geste qui signifiera la réconciliation de l’homme avec Dieu. Pourquoi Jésus lui répond-il que son heure n’est pas encore venue ? Parce que ce n’est que sur l’arbre de la croix qu’il donnera à l’homme le vin nouveau, celui de son sang qu’il versera pour notre salut, et que nous retrouvons dans le calice une fois le vin consacré. C’est d’ailleurs sur la croix que, pour la seconde fois, il appellera Marie « femme », en lui donnant Jean pour fils. Marie symbolise l’humanité nouvelle, que Dieu désire épouser et pour laquelle Il se livre.

Mais Jésus « obéit » à sa mère pour manifester le consentement de Dieu à épouser l’humanité. Pour qu’un mariage soit valide, l’échange des consentements ne suffit pas, l’union des volontés doit être complétée par celle des corps. C’est ainsi que sur la croix, Jésus livrera aussi son corps.

 

« Faites tout ce qu’il vous dira. » Après avoir pris conscience de sa pauvreté, l’homme doit accepter d’entreprendre le long chemin de sa transformation, qui se réalise par l’obéissance à la volonté du Seigneur. C’est ce que Marie nous invite à faire. Le meilleur modèle que nous avons, c’est elle-même qui avait dit à l’archange Gabriel : « Voici la servante du Seigneur ; que tout se passe pour moi selon ta parole. » (Lc 1,38) Mais nous pouvons aussi admirer l’obéissance d’autres serviteurs, ceux des noces de Cana. Lorsque Jésus leur demande d’abord de remplir d’eau les cuves, ils les remplissent « jusqu’au bord ». Puis, lorsque Jésus leur demande : « Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas », Jean écrit de façon laconique : « ils lui en portèrent ». Dans les deux cas, ils n’obéissent pas en maugréant, mais de tout leur cœur, confiants en Marie et en son Fils. Dans l’Eglise, nous sommes tous des serviteurs, chacun à notre place : « Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous. » (2° lect.)

Notons que Jésus n’utilise pas les amphores à vin, mais les cuves à eau qui ont servi avant le repas pour la purification. Avant le Christ, l’homme ne pouvait se purifier que par l’eau, comme nous l’avons dit dimanche dernier à propos du baptême de Jean. Il pouvait se reconnaître pécheur, mais non se libérer lui-même de son péché. L’eau, par laquelle on se purifiait extérieurement, représente donc l’ancienne Alliance, alors que le vin qu’on ingère symbolise la nouvelle. Elle rappelle aussi la voie « purgative » (d’où le « purgatoire ») par laquelle il faut passer pour parvenir à la vie mystique, qui signifie l’union avec Dieu.

 

Ainsi, frères et sœurs, le Christ veut transformer nos vies. Il veut nous unir intimement à lui, pour nous combler de sa joie. Il le fait par la médiation de l’Eglise, avec le rôle central de la Vierge Marie mais aussi avec le concours des serviteurs que nous sommes. Jean conclut l’épisode de Cana par ces mots : « Tel fut le commencement », archè en grec, « des signes que Jésus accomplit ». Le mot archè signifie précisément le principe, aux deux sens du terme. C’est le premier des signes de Jésus, mais c’est aussi celui qui révèle le sens de tous les autres : Jésus Christ est l’Epoux de l’humanité, celui qui est venu nous combler de son Amour. Avec lui surgit une nouvelle création. Ce n’est pas un hasard si Jean écrit que cet évènement eut lieu « le troisième jour », allusion à la Résurrection qui aura lieu le huitième jour. Notons que ce signe n’a pas été reconnu par tous (comme en témoigne la réaction du maître du repas), mais seulement par les disciples de Jésus : « Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui. » La gloire de Jésus n’est pas celle des stars de ce monde, éblouissante comme les projecteurs, seuls les yeux de la foi peuvent l’apercevoir… Il en est de même du signe de l’Eucharistie. Le Christ est présent dans le prêtre, qui se tient dans un face-à-face nuptial avec l’assemblée. Mais il se donne aussi à travers l’apparence du pain et du vin, les réalités les plus communes d’un repas. Mais ce repas est en réalité divin et aussi festif que celui d’un mariage. La nouvelle traduction du Missel romain est éloquente : en soulevant l’hostie consacrée, le célébrant dit désormais[iii] : « Heureux les invités au repas des noces de l’Agneau ». Mais nous devons nous souvenir que ce caractère festif n’existe que parce que Jésus a versé son sang sur la Croix. En définitive, c’est lui le premier modèle à la fois d’humilité et d’obéissance. Humilité d’abord parce qu’il a accepté de partager en tout notre condition humaine, excepté le péché : il a expérimenté dans sa chair le « manque de vin », la faim, la soif, la fatigue… Obéissance ensuite parce qu’il a toujours accompli la volonté de son Père, jusqu’à Gethsémani : « Que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. » (Lc 22,42) Forts de son exemple, de celui de la Vierge Marie et de ceux des serviteurs de Cana, prenons toujours mieux conscience de notre propre manque de vin et faisons tout ce qu’il nous dira, sûrs que notre obéissance nous introduira dans la joie d’une parfaite union avec lui. C’est ainsi que nous-mêmes offrirons de la joie au Seigneur : « Comme la jeune mariée fait la joie de son mari, tu seras la joie de ton Dieu » (1° lect.) !

P. Arnaud

[i] Au fur et à mesure de la révélation, cette image s’est pourtant peu à peu imposée dans l’Ancien Testament, notamment par les prophètes Osée, Ezéchiel et Isaïe (cf 1°lect.), jusqu’à atteindre un sommet avec le Cantique des Cantiques.

[ii] On peut imaginer combien cette situation était embarrassante pour la famille du nouveau couple, dans une culture où l’hospitalité était sacrée, et où l’on célébrait les noces pendant plusieurs jours. Elle risquait d’être discréditée.

[iii] A la place de la formule « Heureux les invités au repas du Seigneur ».