Patience !

Frères et sœurs, sommes-nous patients ? La patience est un des premiers fruits de l’Esprit Saint, qui vient juste après la charité, la joie et la paix (Ga 5,22). Cette vertu a deux caractéristiques : d’abord, la capacité de supporter un mal, comme nous l’indique la racine latine, patior, qui a donné le mot « passion » ; ensuite, la capacité d’attendre la venue d’un bien. Dans le passé, les hommes étaient plus patients, car la vie dans la nature leur demandait de lutter contre toutes sortes de maux (les intempéries, les bêtes sauvages, les brigands, la faim, la maladie…) et d’attendre avec confiance la venue des récoltes. Aujourd’hui, notre société du bien-être et de l’immédiateté tend à nous affaiblir contre le mal et à nous faire oublier la valeur du temps : « tout, sans effort  et tout de suite», voilà quel pourrait être le slogan de la société moderne. Nous avons donc à apprendre la patience. L’épreuve du confinement a pu nous aider dans ce sens, car nous avons dû supporter certaines difficultés (la promiscuité pour certains, le manque de mouvement, les nouvelles anxiogènes…) et attendre la venue du déconfinement (sans en connaître la date à l’avance)… Dans une première partie, nous méditerons sur la patience comme force qui permet de faire face au mal.  Ensuite, nous réfléchirons sur la patience comme confiance par rapport au temps qui passe.

 

La patience est d’abord une force pour supporter le mal. L’existence du mal est sans doute le motif majeur qui explique le refus de croire en Dieu. S’Il existe, pourquoi  laisse-t-Il le mal ravager notre monde ? Le Christ révèle qui en est le premier responsable : « c’est un ennemi qui a fait cela ». Cet ennemi, la Bible le nomme aussi Satan (l’adversaire), le diable (le diviseur), le Menteur… Elle le fait entrer en scène dès le troisième chapitre de la Genèse, sous la forme d’un serpent trompeur. Le premier responsable du mal, c’est lui. Alors que le Seigneur n’a semé que du bon grain dans son champ, lui a semé de l’ivraie (nommé 8 fois par le terme ζιζάνια = zizania, d’où l’expression « semer la zizanie »). Est-ce à dire que l’homme n’est en rien responsable ? Non, car il peut collaborer à l’œuvre de l’ennemi, comme l’ont fait Adam et Eve en choisissant de l’écouter plutôt que d’écouter le Seigneur. Cependant, lorsqu’il pèche ainsi, l’homme est à la fois responsable et victime, comme le dira Jésus sur la croix : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc 23,34)

Après avoir appris d’où vient le mal, voyons comment y faire face. Les serviteurs de l’évangile demandent à leur maître, une fois qu’ils connaissent l’origine de l’ivraie : « veux-tu que nous allions l’enlever ? » Le maître leur répond : « Non, de peur qu’en enlevant l’ivraie, vous n’arrachiez le blé en même temps. » Le mal n’est qu’une absence de bien, il ne « mérite » pas qu’on sacrifie ce bien pour lui… Et nous devons reconnaître qu’aucun être humain n’est préservé de l’ivraie. Déboulonner les statues des hommes célèbres, c’est réduire ces hommes à une partie de leurs actions, en oubliant tout le bien qu’ils ont accompli[i]. Laissons le jugement final à Dieu, qui commandera aux anges de brûler l’ivraie au temps de la moisson. En attendant, il nous faut supporter le mal, comme le Seigneur, à qui le Sage s’adresse ainsi : « Ta force est à l’origine de ta justice, et ta domination sur toute chose te rend patient envers toute chose. » (1° lect.)

Grâce à sa force, le Seigneur peut tout supporter, même nos trahisons. Sans cesse cependant, le Seigneur espère notre conversion, qui est une façon encore plus radicale de réagir au mal que de le supporter, puisqu’il permet de le supprimer, au moins dans notre cœur : « tu as pénétré tes fils d’une belle espérance : à ceux qui ont péché tu accordes la conversion. » Nous devons mettre à profit le temps qui passe pour nous débarrasser de l’ivraie qui est en nous, ce qui demande de la force également (étymologiquement, le mot virtus a ce sens, avant de signifier la vertu). Certes, la grande moisson correspondra au jugement dernier, mais il y a des moissons intermédiaires durant nos vies, des moments où nous pouvons prendre du recul et nous débarrasser de l’ivraie en nous. Tant que nous serons sur la terre, il en restera toujours, mais nous devons avoir de la patience aussi vis-à-vis de nous-mêmes.

 

C’est ici qu’intervient la seconde dimension de la patience, qui consiste à attendre la venue d’un bien. Si certains ne sont pas sûrs (comme la conversion de ceux qui nous font souffrir), la venue du Bien véritable l’est : à la fin du monde, le Fils de Dieu « reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts » (symbole des Apôtres). Ce jour-là, « le Fils de l’homme enverra ses anges, et ils enlèveront de son Royaume tous ceux qui font tomber les autres et ceux qui commettent le mal, et ils les jetteront dans la fournaise : là il y aura des pleurs et des grincements de dents. Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père. » Ces paroles peuvent nous sembler dures, mais n’oublions pas que Dieu n’est pas seulement miséricordieux, Il est aussi juste. Autrement, notre vie n’aurait aucun sens, nous ne nous sentirions pas responsables. C’est pourquoi Jésus ajoute, comme pour nous sortir de notre sommeil : « Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! »

Comment attendre la venue de ce jour, qu’on appelle « parousie » (du grec parousia, qui désigne la visite d’un personnage important) ? Avec confiance. Certes, le Règne de Dieu n’est pas encore visible (Jésus a même appelé Satan « le prince de ce monde »), mais nous savons qu’il est présent en germe. Jésus veut nous aider à y croire grâce à deux paraboles. La première parle plus aux hommes qui travaillent dans les champs : « le Royaume des cieux est comparable à une graine de moutarde qu’un homme a semée dans son champ. C’est la plus petite de toutes les semences, mais, quand elle a poussé, elle dépasse les autres plantes potagères et devient un arbre, si bien que les oiseaux du ciel font leurs nids dans ses branches.»  La seconde est plus destinée aux femmes, qui sont maîtresses de maison : « le Royaume des cieux est comparable à du levain qu’une femme enfouit dans trois grandes mesures de farine, jusqu’à ce que toute la pâte ait levé. » Dans les deux cas, il y a une immense disproportion entre l’humilité des commencements et l’achèvement. C’est ce qui apparaît souvent dans les grandes réussites de l’histoire humaine[ii]. Songeons particulièrement au Christ, qui n’a prêché que 3 ans dans une minuscule partie du monde, et voyons le fruit que son message a porté !

 

Ainsi, frères et sœurs, le Seigneur nous invite à la patience. Certes, son ennemi continue de semer de l’ivraie dans son champ, mais Il veut nous donner la force pour supporter le mal sous toutes ses formes, et la confiance pour attendre l’avènement de son Règne. Comment recevoir cette force et cette confiance ? En particulier dans la prière. En ce temps d’été, synonyme de vacances et de ralentissement des activités  pour beaucoup, donnons plus de place à la prière. Peut-être certains d’entre nous pensent-ils qu’ils ne savent pas prier… Ils ont raison, car personne ne peut sans orgueil estimer qu’il prie bien. Mais saint Paul nous encourage : « l’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intervient pour nous par des cris inexprimables. Et Dieu, qui voit le fond des cœurs, connaît les intentions de l’Esprit : il sait qu’en intervenant pour les fidèles, l’Esprit veut ce que Dieu veut. » (2° lect.) Laissons l’Esprit crier en nous chaque jour : « Père, apprends nous la patience, donne-nous ta force et ta confiance » ! AMEN.

[i] « De Gaulle a été badigeonné de jaune, Colbert est menacé d’être déboulonné, Gallieni et Faidherbe sont dans le collimateur des militants d’histoire épurée de ses figures colonialistes voire racistes. Et c’est vrai qu’il y a le De Gaulle du 18 juin et celui du « je vous ai compris ». De même qu’il y a le Pétain de Verdun et celui de Vichy, le Jules Ferry de l’école pour tous et celui de la colonisation au nom des Lumières, le Colbert organisant le royaume et celui du Code Noir, le Faidherbe sauvant le nord des Prussiens en 1870 et le colonisateur du Sénégal avec violence etc.

Déboulonner les statues à cause de l’ambivalence de leurs titulaires peut conduire à abattre toutes les statues, c’est-à-dire à ne plus avoir d’histoire. Croire qu’on peut fabriquer un homme nouveau – socialiste, national-socialiste, écologiste – enfin pur de toute compromission, conduit à toutes les dictatures. Croire que l’homme n’est que bon, sans ivraie mélangée, conduit à une moisson gâtée, inexploitable. La tentation d’arracher l’ivraie fut celle des rigoureux qui voulaient exclure les lapsi (chrétiens ayant renié leur baptême sous la persécution) de la réconciliation ecclésiale. Ou la tentation cathare des parfaits se coupant du monde pour vivre entre purs. Ou les « justices » d’exception lors de l’épuration à partir de Mai 1945…

Sur le plan personnel, ce constat lucide est salvateur : oui, c’est normal qu’il y ait du mal en moi. Je n’en suis pas responsable (« c’est un ennemi qui a fait cela »). Mais il me traverse, il s’incorpore à ma structure de pensée, d’action, de jugement. Simplement parce que je suis humain, je participe de ce mélange inextricable dont je ne me rends même pas compte, tant que les épis ne sont pas apparus. Ainsi le meilleur des hommes aux 18e-19° siècles peut être esclavagiste sans avoir de problème de conscience. Ainsi Jules Ferry peut-il être colonialiste au nom des Lumières par lesquelles l’Occident allait apporter progrès et civilisation à tous les peuples pensait-il. C’est ce que Jean-Paul II appelait les structures de péché au niveau collectif, et ce que depuis Augustin nous appelons péché originel au niveau personnel. Bien « malin » qui pourrait se croire libre de toute forme d’asservissement au mal d’une manière ou d’une autre ! D’ailleurs, qui sait si ceux qui veulent déboulonner les statues (parfois avec raison je le répète) ne seront pas durement jugés par leurs arrière-petits-enfants dans un siècle ou deux ? Qui sait si telle pratique qui aujourd’hui nous paraît évidente, naturelle et juste ne sera pas dénoncée par les générations suivantes comme inhumaine et intolérable (je pense à l’avortement par exemple) ? « La mesure dont vous vous servez pour les autres servira aussi pour vous » (Lc 6,38) : les zélateurs d’une pureté historique sans faille feraient bien de se méfier des revers de l’histoire où ils apparaîtront à leur tour comme des monstres aveugles et froids aux yeux de leurs successeurs. »

(Tiré du blog « L’homélie du dimanche »

 

[ii] C’est vrai sur le plan profane (songeons par exemple à Apple, depuis les débuts dans un garage californien jusqu’à la multinationale qu’elle est devenue), mais ce l’est davantage sur le plan de la foi. Songeons à Jean Marie Vianney envoyé à Ars, un village de 230 habitants, à qui son évêque avait dit : « Il n’y a pas beaucoup d’amour de Dieu dans cette paroisse, vous l’y mettrez ». Il l’y a tellement bien mis que quelques années plus tard, des foules venaient de toute la France pour rencontrer le saint curé.