Je suis le pain de la vie

Frères et sœurs, de quoi avons-nous faim ? La faim est un moteur essentiel de notre condition humaine. Lorsqu’elle disparaît, c’est qu’on est mort ou malade. L’homme a faim parce qu’il est en perpétuel devenir. De quoi a-t-il faim ? D’abord de pain matériel, pour nourrir son corps. Ensuite de pain spirituel (la Vérité), pour nourrir son intelligence. Enfin de pain affectif (l’Amour), pour nourrir son cœur. Dans ces 3 domaines, il existe de la « junk food », comme disent les Américains, c’est-à-dire de la nourriture qui nourrit mal. Certains nourrissent leur corps de « fast food », leur intelligence de « fake news », et leur cœur d’amours de passage. Le Christ nous dit : « je suis le pain de la vie ». Voyons comment il veut nourrir notre corps, notre intelligence, et notre cœur.

 

Premièrement, le Christ veut nourrir notre corps. Dimanche dernier, nous l’avons vu multiplier les pains et les poissons pour la foule. Aujourd’hui, c’est le peuple au désert qui a reçu la manne et des cailles. Le Fils de Dieu n’est pas insensible à nos besoins corporels. Lui-même est le Verbe fait chair (cf Jn 1,14), qui a éprouvé la faim, la soif, la fatigue…, et qui a guéri beaucoup de malades. Aujourd’hui dans le monde, 700 millions de personnes souffrent de la faim, et 3 milliards de personnes ne peuvent s’offrir un régime alimentaire sain (chiffres publiés par l’ONU il y a quelques semaines). Le Christ a besoin de nous et de tous les hommes de bonne volonté pour les nourrir, comme il a utilisé les 5 pains et les 2 poissons du jeune garçon lors de la multiplication des pains. Le christianisme, quoi qu’en disent ses détracteurs, qui ont pu être trompés par des déviations comme le jansénisme, est la religion de l’incarnation. N’oublions pas que nous ressusciterons dans notre corps ! Même s’il sera transformé et glorifié, nous devons le soigner ici-bas, car il est «le temple de l’Esprit Saint » (cf 1 Co 6,20). Les confinements successifs ont malheureusement entraîné une baisse de la pratique sportive et une augmentation du surpoids chez beaucoup à travers le globe. Espérons que les athlètes des Jeux olympiques vont donner à beaucoup le désir d’améliorer leur forme, car la santé ne consiste pas uniquement à éviter le coronavirus !

 

Deuxièmement, le Christ veut nourrir nos intelligences. Le don de la manne, dans le désert, n’était pas seulement destiné à nourrir les corps des Israélites, mais aussi à leur faire découvrir, après l’expérience de la pauvreté et de la faim, que « l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. » (Dt 8,3) L’homme est en quête de Vérité, il ne peut se contenter de nourrir ses besoins physiologiques. C’est bien pourtant une tentation à laquelle il est confronté. Dans le désert, les fils d’Israël récriminèrent ainsi contre Moïse et Aaron : « Ah ! Il aurait mieux valu mourir de la main du Seigneur, au pays d’Égypte, quand nous étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! » (1° lect.) De même, Jésus dit à la foule qui l’a retrouvé après la multiplication des pains: « Amen, amen, je vous le dis : vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé du pain et que vous avez été rassasiés. » (év.) La preuve, c’est qu’ils ne l’avaient même pas vu partir, trop occupés qu’ils étaient à manger : « Rabbi, quand es-tu arrivé ici ? » Pourtant, avant de nourrir leurs corps, Jésus les avait enseignés « longuement » (Mc 6,34)… Que leur a-t-il dit ? Il nous suffit de lire les évangiles pour en avoir une idée. Mais quelle place donnons-nous à la Parole de Dieu dans nos vies ? Si les religieux et les prêtres récitent chaque jour l’office, dans lequel alternent tous les psaumes et des extraits des autres livres bibliques, c’est pour s’imprégner de cette Parole.

 

Troisièmement, le Christ veut nourrir nos cœurs. Nous avons faim d’aimer et d’être aimés. C’est pourquoi Jésus évoque maintenant une autre nourriture, qui n’est ni le pain matériel, ni la parole de Dieu au sens premier du terme : « Ne travaillez pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui se garde jusque dans la vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’homme, lui que Dieu, le Père, a marqué de son empreinte. » Aucune nourriture ne peut nous combler, ni le pain matériel (nous devons manger plusieurs fois par jour, sauf en période de jeûne qui ne peut être que temporaire), ni la connaissance (on en veut toujours plus, comme le déclare la Sagesse dans l’Ancien Testament : « Ceux qui me mangent auront encore faim, ceux qui me boivent auront encore soif. ») (Si 24,21) Seul le Christ peut nous combler : « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif. » Il ne nous donne pas seulement du pain et des paroles de vérité, il se donne lui-même.

Comment le Christ se donne-t-il ? D’une part de manière sacramentelle dans l’Eucharistie. Chez Jean, son institution n’est pas relatée comme dans les synoptiques, c’est le discours du Pain de vie qui la préfigure. A chaque fois que nous participons à la messe, nous sommes d’abord nourris de la Parole de Dieu (c’est la 1ère table), avant d’être nourris du Fils de Dieu lui-même, qui se donne à nous dans la communion, réellement ou par le désir (c’est la 2nde table). Mais son amour ne s’arrête pas là, il se donne aussi à nous sans cesse par la Foi, comme il le laisse entendre à ceux qui l’interrogent dans la synagogue de Capharnaüm : « Que faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » Il leur répond : « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » Il faut travailler pour acheter le pain matériel (souvenons-nous de la remarque de Philippe dimanche dernier sur le salaire de 200 journées qui ne suffirait pas pour nourrir la foule), il faut travailler pour acquérir des connaissances (d’où l’importance des vacances pour permettre aux écoliers et aux étudiants de se reposer!), ne faut-il pas travailler aussi pour recevoir en nous la nourriture divine ? Certes, nous devons travailler à notre salut avec crainte et profond respect  (Ph 2,12), mais sans oublier que c’est Dieu qui agit pour produire en nous la volonté et l’action, selon son projet bienveillant (Ph 2,13). Autrement dit, nous devons éviter le pélagianisme, hérésie qui consiste à croire que l’homme peut se sauver par ses propres forces, et prier pour vivre toujours par la Foi dans la grâce de Dieu. Saint Paul l’avait bien compris, lui qui écrit aux Corinthiens : « Ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu, et sa grâce, venant en moi, n’a pas été stérile. Je me suis donné de la peine plus que tous les autres ; à vrai dire, ce n’est pas moi, c’est la grâce de Dieu avec moi » (1Co 15,10). Sans cesse, nous sommes tentés de raisonner avec Dieu comme avec les hommes en société, en termes  de « donnant-donnant ». C’est une tentation plus pernicieuse encore que celle de s’accrocher aux nourritures matérielles. Elle revient à se placer sur le même plan que Dieu, ou au moins à essayer d’ « acheter » ses bonnes grâces. La petite Thérèse a compris un jour qu’elle ne pourrait pas devenir une grande sainte par ses propres forces, et elle a décidé de laisser Jésus la soulever dans ses bras comme dans un ascenseur. La Foi est le canal par lequel le Seigneur nourrit nos cœurs de son Amour.

 

Ainsi, frères et sœurs, le Christ est le Pain de vie, qui peut combler notre faim physique, intellectuelle et affective. Aujourd’hui, beaucoup d’êtres humains souffrent de la faim car ils manquent d’aliments, de connaissances, d’amour. Beaucoup aussi ont de quoi manger mais se nourrissent mal. Les « fast food » ne peuvent combler nos corps, les flots d’infos des media ne peuvent combler nos intelligences, les spiritualités en tous genres ne peuvent combler nos cœurs. Profitons de toutes les richesses de la création pour bien nourrir nos corps. Profitons de toutes les richesses de la culture pour bien nourrir nos intelligences. Profitons de toutes les richesses de la Foi pour bien nourrir nos cœurs. Et pour tout cela, rendons grâce au Christ, le Pain de vie. AMEN.

P. Arnaud

 

Crédit photo: Bruno Parnaudeau