Veillez !

Frères et sœurs, sommes-nous bien éveillés ? Alors que les jours diminuent et que le froid devient de plus en plus vif, nous pourrions être tentés de nous replier sur nous-mêmes, comme les animaux qui se creusent des terriers pour hiberner pendant l’hiver. Ce qui est bon pour ces animaux ne l’est pas pour nous, c’est pourquoi le Christ nous exhorte avec force aujourd’hui : « Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur vient. » Son appel résonne d’autant plus que notre société de consommation ressemble étonnamment à celle de Noé, qu’il évoque ainsi : « Comme il en fut aux jours de Noé, ainsi en sera-t-il lors de la venue du Fils de l’homme. En ces jours-là, avant le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait femme et on prenait mari, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche ; les gens ne se sont doutés de rien, jusqu’à ce que survienne le déluge qui les a tous engloutis : telle sera aussi la venue du Fils de l’homme ». C’est parce qu’ils ne veillaient pas et qu’ils n’étaient pas attentifs à leur conscience que les hommes de cette époque ont été engloutis. En nous aussi, il peut arriver que nos désirs ou nos soucis étouffent la voix de la conscience et nous endorment… C’est pourquoi saint Paul nous dit lui aussi: « c’est le moment, l’heure est venue de sortir de votre sommeil. La nuit est bientôt finie, le jour est tout proche » (2° lect.). Pourquoi nous réveiller ? Pour deux raisons : d’abord pour ne pas manquer la venue de celui qui nous aime; ensuite, pour ne pas nous laisser surprendre par nos ennemis.

 

Nous devons veiller d’abord pour accueillir Celui que nous aimons. Prenons nos portables : si nous ne les rechargeons pas régulièrement au réseau électrique, ils ne seront plus en veille, et quelqu’un aurait beau nous appeler, nous ne le saurons même pas. Le Seigneur frappe sans cesse à la porte de notre cœur[i], mais sommes-nous éveillés pour lui ouvrir ? Il ne veut pas s’imposer à nous, mais Il se laisse désirer pour venir combler notre cœur.

Comment vient-il ? Dans la prière : « Que deux ou trois soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux» (Mt 18,20)… Dans les sacrements, en particulier l’Eucharistie : « ceci est mon corps » (Mt 26,26)… Dans les évènements : « tu n’as pas reconnu le temps où tu fus visitée ! » (Lc 19,44)… Dans les personnes : « ce que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40)… Le Seigneur vient donc chaque jour. Le problème, c’est que nous pouvons ne pas le voir, parce que nos cœurs sont parfois endormis. Notre attente doit donc être active, pas comme lorsque l’on attend le train.

En plus de ces venues quotidiennes dans l’humilité, le Seigneur nous a annoncé son retour dans la gloire au dernier jour (qu’on appelle la Parousie). Ce retour signifiera l’établissement définitif de son Règne, que nous avons célébré dimanche dernier. L’un des meilleurs chantres de ce règne, c’est le prophète Isaïe: « Il sera juge entre les nations et l’arbitre de peuples nombreux. De leurs épées, ils forgeront des socs, et de leurs lances, des faucilles. Jamais nation contre nation ne lèvera l’épée ; ils n’apprendront plus la guerre » (1° lect.). Mais n’oublions pas que le retour du Christ signifiera aussi notre jugement car nous ne pourrons entrer dans son royaume que sous certaines conditions : « Alors deux hommes seront aux champs : l’un sera pris, l’autre laissé. Deux femmes seront au moulin en train de moudre : l’une sera prise, l’autre laissée ». Le Christ ne révèle pas ici les critères de son jugement, mais il les donne ailleurs. L’important ici est de comprendre que lui seul pourra juger chacun, et que nous n’avons pas à nous comparer aux autres, seulement à nous soucier de notre propre salut (qui ne nous empêche pas de nous soucier de celui des autres). L’évocation des champs et du moulin nous rappellent aussi que notre attente du Christ est active, et qu’elle se vit au sein même de nos activités quotidiennes. Dans notre société, tout est fait pour que nous n’ayons pas à attendre. L’attente peut être destructive, si elle est vécue dans l’agitation, la colère ou la peur, ou constructive, si elle est vécue dans la confiance et l’amour.

 

Nous devons veiller d’abord pour accueillir Celui que nous aimons, mais aussi pour nous protéger de nos ennemis. Dans une forêt la nuit, il faut allumer un grand feu pour éloigner les loups, et mieux vaut ne dormir que d’un œil, comme on le constate dans l’histoire de Croc Blanc. Et dans un match d’escrime, il faut une vigilance maximale pour parer aux attaques de l’adversaire. Jésus a déclaré : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent pas tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps. » (Mt 10,28) A Gethsémani, il dira à Pierre, Jacques et Jean: « Veillez et priez afin de ne pas entrer au pouvoir de la tentation » (Mc 14,38). Et il évoque aujourd’hui « le voleur » qui peut percer le mur de notre maison. Notre véritable ennemi s’appelle le diable, et il possède des alliés, les démons. Dans les évangiles, Jésus les a souvent évoqués, car ils cherchent à demeurer dans l’ombre, et il les a aussi souvent chassés.

En plus du diable et des démons, nous devons veiller pour ne pas nous laisser vaincre par deux autres types d’ennemis : le monde et la chair. Le monde a été créé bon, mais il a été perverti par Satan, qui en est devenu le prince[ii]. Il a ses idoles, en particulier l’argent, le pouvoir, le plaisir… les mêmes qu’au temps de Noé et qui se manifestent aujourd’hui dans les guerres, la surconsommation, la pornographie, la drogue…

Quant à la chair, elle ne représente pas le corps, qui a été créé bon lui aussi, mais toutes les tendances qui peuvent l’asservir. A Gethsémani, juste après avoir invité ses disciples à veiller, Jésus avait ajouté : « L’esprit est plein d’ardeur, mais la chair est faible » (Mc 14,38). Saint Paul exhorte ainsi les Romains : « Conduisons-nous honnêtement, comme on le fait en plein jour, sans orgies ni beuveries, sans luxure ni débauches, sans rivalité ni jalousie, mais revêtez-vous du Seigneur Jésus Christ » (2° lect.). Les orgies, les beuveries, la luxure et la débauche ne concernent pas beaucoup d’entre nous, mais qu’en est-il des rivalités et de la jalousie ? Malheureusement, elles sont omniprésentes dans notre société, et même dans notre Eglise et nos paroisses… Chacun de nous a des faiblesses ou des penchants mauvais, qu’il lui faut reconnaître pour être plus vigilants.

 

Frères et sœurs, pendant ce temps de l’Avent, tenons nos lampes allumées, soyons en état de veille. Les apôtres, parce qu’ils n’ont pas veillé à Gethsémani, non seulement n’ont pas su résister à la tentation, mais ensuite, après sa résurrection, furent incapables de reconnaître leur maître. Nos cœurs sont comme des portables qui ont besoin d’être rechargés chaque jour, autrement, même si Dieu nous appelle, nous ne le saurons pas. Comment les recharger ? En priant et en étant ainsi branchés à la Sainte Trinité, d’où jaillit l’Esprit Saint. Durant ce temps d’Avent, donnons une place essentielle à la prière. C’est ainsi que nous pourrons mieux accueillir le Christ lorsqu’il viendra à notre rencontre, aussi bien dans l’accomplissement simple et humble de nos tâches quotidiennes qu’au jour de notre mort. Amen.

[i] « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi. » (Ap 3,20)

[ii] Jn 12, 31 ; Jn 14, 30 ; Jn 16, 11