Mes yeux ont vu ton salut, lumière pour éclairer les nations

Frères et sœurs, sommes-nous des lumières pour le monde ? Nous célébrons aujourd’hui la Chandeleur, c’est-à-dire la fête des chandelles. Nos chandelles, celles que nous ou nos parents avons reçues le jour de notre baptême, éclairent-elles ? Elles ne le peuvent  que si, comme ce jour-là, elles ont été allumées au cierge pascal, c’est-à-dire au Christ ressuscité. En d’autres termes, sommes-nous unis à celui qui est la lumière du monde, et qui dévoile les pensées secrètes d’un grand nombre ? Cette union n’est possible que si nous acceptons de lui consacrer nos vies. C’est pourquoi cette fête de la Chandeleur est aussi la fête de la vie consacrée. Nous prions aujourd’hui particulièrement pour tous ceux – religieux, religieuses, laïcs consacrés – qui ont prononcé des vœux dans ce sens. Mais nous sommes appelés nous aussi, même si c’est d’une façon différente, à nous consacrer au Seigneur. Comment ? En suivant trois conseils que nous a laissés Jésus : l’obéissance, la pauvreté, et la chasteté. Les personnages de l’évangile que nous venons d’entendre nous donnent l’exemple. Syméon et Anne sont deux vieillards qui représentent l’Ancienne Alliance : ils vivent dans l’attente du Messie. Joseph et Marie sont deux jeunes époux qui représentent la Nouvelle Alliance : ils vivent en présence de ce Messie. Tous les quatre vivent dans l’obéissance, la pauvreté et la chasteté. Leur rencontre est tellement belle que les orientaux appellent la fête d’aujourd’hui « fête de la Rencontre ».  L’Ancienne et la Nouvelle Alliance se rejoignent en la personne de Jésus, venu « non pour abolir la Loi, mais pour l’accomplir » (Mt 5,17). Prenons donc exemple sur ces quatre personnages qui ont consacré leur vie au Seigneur, et surtout sur celui qui est au cœur de leur rencontre, le Christ lui-même. Voyons ce que signifient les 3 conseils que celui-ci nous a laissés, et comment il les a vécus lui-même.

 

Le premier vœu est l’obéissance. Certains, comme les dominicains qui n’en prononcent pas d’autre, considèrent ce vœu comme le plus important des trois, parce qu’il inclut les deux autres. Dans notre société marquée par Nietzsche, l’un des 3 maîtres du soupçon, et par l’existentialisme de Sartre, la liberté est comprise par beaucoup comme le libre arbitre – la possibilité de faire ce qui me plaît quand ça me plaît – et l’obéissance est considérée comme une lâcheté, un refus d’assumer ma propre responsabilité. En réalité, l’obéissance au Seigneur, loin de réduire la liberté, la fait grandir. Pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas naturellement libres. A cause de nos péchés et de nos blessures, nous sommes souvent asservis par nos passions. La liberté est donc une vocation, comme saint Paul l’écrit aux Galates : «  frères, vous avez été appelés à la liberté.» (Ga 5,13)

Prenons exemple sur le Christ, qui n’est pas descendu du ciel pour faire sa volonté, mais pour faire la volonté de celui qui l’a envoyé. (Jn 6,38) Cette volonté du Père, il l’a toujours réalisée, même lorsqu’il lui a fallu passer par la souffrance, comme à Gethsémani: « Père, si tu veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne. » (Lc 22,42).

Joseph et Marie, pour leur part, obéissent à la Loi. C’est elle qui demandait aux époux Juifs de consacrer leur fils premier-né à Dieu, en souvenir de la libération d’Egypte. Et la Loi demandait également aux femmes qui venaient d’accoucher de venir au Temple au bout de 40 jours seulement, le temps de retrouver la pureté rituelle. Quant à Syméon et Anne, ils obéissent à l’Esprit Saint lui-même, qui « pousse » le premier vers le Temple comme il a certainement poussé la seconde à ne pas s’en éloigner, « servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière ».

 

Le deuxième vœu est la pauvreté. Dans notre société capitaliste qui nous pousse à nous enrichir, afin de faire de nous de bons consommateurs, ce vœu est incompréhensible. Un autre maître du soupçon qui s’est opposé au capitalisme, Marx, considérait pourtant le bonheur de l’homme uniquement sous l’angle de la possession de biens matériels. Les extrêmes se rejoignent… En réalité, la pauvreté évangélique n’est pas la misère, mais une vie simple qui ne se laisse pas asservir par l’argent et les biens matériels. Elle peut être source de bonheur : « Heureux, vous les pauvres : le royaume de Dieu est à vous ! » (Lc 6,20), dit Jésus à ses disciples. Cette pauvreté matérielle, exaltée par saint Luc, doit conduire à la pauvreté du cœur, encensée par saint Matthieu : « Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux ! » (Mt 5,3) Le pauvre de cœur reconnaît que tout ce qu’il possède, matériellement et humainement, il l’a reçu de Dieu.

Le Christ a été pauvre. Il est né non dans un palais, mais dans une étable. Il a grandi dans une famille non pas misérable, mais sans grandes richesses. Durant son ministère, il n’avait « pas d’endroit où reposer sa tête. » (Mt 8,20) Et il est mort nu sur une croix, après que même ses vêtements aient été partagés entre les soldats romains.

 

Le troisième vœu est la chasteté. Il est à nouveau aux antipodes de notre société qui nous pousse à donner libre cours à nos pulsions, et qui considère la chasteté comme une insupportable limite à notre liberté. Le 3ème maître du soupçon, Freud, y voyait même la source de toutes les névroses. En fait, la chasteté nous aide à devenir plus libres, car elle nous protège de ces mêmes pulsions qui peuvent devenir de véritables tyrans. L’incestueux (du latin« incastus », contraire de « castus ») en est tellement esclave qu’il va jusqu’à commettre un crime dans sa propre famille. La chasteté va plus loin que la continence, qui signifie l’absence de relations sexuelles, elle signifie essentiellement le respect de l’autre. C’est pourquoi elle concerne tout homme, célibataire ou marié.

Le Christ a été chaste. Dans toutes ses rencontres, il a respecté profondément la liberté de l’autre. Au jeune homme riche, avant de l’inviter à vendre ses biens et à le suivre, il dit : « Si tu veux être parfait » (Mt 19,21). Et il dit à tous ses disciples : « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. » (Mt 16,24)

 

Ainsi, frères et sœurs, les trois vœux que prononcent ceux et celles qui se consacrent au Seigneur ne sont pas des limitations à leur liberté, mais au contraire des soutiens pour la faire grandir. Par eux, ils se laissent configurer au Christ obéissant, pauvre et chaste. Plus ils se laissent transformer, plus ils deviennent lumières à leur tour : « Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5,14). Beaucoup ne comprennent ou n’acceptent pas leur choix de vie, mais Syméon avait prévenu Marie que son Fils serait « un signe de division »… Même si nous n’avons pas prononcé ces trois vœux nous-mêmes, nous sommes invités par le Christ à en vivre le plus possible. Nous sommes appelés à obéir chaque jour à la volonté de Dieu, telle que nous la recevons à travers la prière, l’Ecriture, les personnes, les évènements… Nous sommes appelés à vivre dans une certaine pauvreté, en considérant notre argent et nos biens non comme des maîtres, mais comme des serviteurs pour le Royaume. Nous sommes appelés à vivre de façon chaste, en respectant non seulement notre conjoint, si nous sommes mariés, mais aussi toutes les personnes que nous rencontrons. Prenons exemple sur ceux et celles qui se consacrent au Seigneur, et portons tous ensemble au monde la lumière du Christ. AMEN.