Celui  qui demeure en moi porte beaucoup de fruit

Frères et sœurs, quel fruit portons-nous ? Un fruit beau à voir et savoureux à manger, ou un fruit rabougri et amer ? Le Christ nous dit aujourd’hui : « Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit ». Notre foi doit nous transformer : « nous devons aimer non pas avec des paroles et des discours, mais par des actes et en vérité. » (2° lect.) En agissant conformément à l’évangile (le mot « commandement » apparaît 7 fois dans le dernier discours de Jésus), nous sommes configurés à lui, et nous portons comme lui le fruit de l’Esprit qui est « amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, humilité et maîtrise de soi. » (Ga 5,22‑23) Ces 9 vertus sont les raisins d’une grappe unique, alimentée par la sève de l’Esprit, qui est Amour. Et la vigne, c’est le Christ, dont nous sommes les sarments. La vigne produit à la fois des raisins savoureux à manger, et du vin délicieux à boire. Alors, comment pouvons-nous porter ce fruit ? Jésus donne deux conditions. Premièrement, il faut demeurer en lui. Deuxièmement, il faut accepter d’être émondé.

 

« Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là donne beaucoup de fruit ». Dans les écrits de saint Jean, considéré comme le modèle des contemplatifs, le mot « demeurer » revient très souvent (7 fois dans les 8 versets d’aujourd’hui). Dans notre société agitée et en mouvement perpétuel, il apparaît presque comme décalé. Même si la pandémie a changé la donne, au moins momentanément, nous sommes constamment poussés à bouger : pour changer de ville, de métier, de conjoint… On parle beaucoup aujourd’hui des enfants hyperactifs, incapables de contrôler le flux de leurs paroles et de leurs actes, mais on pourrait parler aussi de « la société hyperactive ». Certes, il y a des aspects positifs dans cette évolution, notamment les progrès techniques. Dieu lui-même est mouvement, et Il nous entraîne dans son sillage. Saint Paul a utilisé plusieurs fois l’image de la course pour symboliser sa vie[i]. En même temps cependant, Dieu sait aussi « se reposer », comme Il le fit le septième jour de la création[ii]. Jésus, lui aussi, a mené une vie très active, à l’image de la journée à Capharnaüm que saint Marc nous a décrite dans le premier chapitre de son évangile. Mais lui aussi savait se reposer[iii] et surtout prendre le temps de prier, parfois pendant toute la nuit[iv]. De ce fait, il n’était jamais agité, même au milieu de ses multiples activités, contrairement à Marthe, à qui il reprocha non se servir, mais précisément de s’agiter[v].

Et nous, frères et sœurs, savons-nous prendre le temps de demeurer dans le Christ ? C’est ce que permet notamment la prière d’oraison. Certes, nous sommes appelés à prier sans cesse[vi], et donc à demeurer sans cesse dans le Christ, mais nous ne pouvons y parvenir que si nous prenons régulièrement des temps assez longs d’intimité avec lui. Le démon y est très hostile et cherche à nous en dissuader : il nous « souffle » que nous n’avons pas le temps, ou – si nous en avons – que nous allons le gaspiller, que cette activité est réservée aux religieux, etc. Même parmi eux, il agit : Ste Thérèse d’Avila, par exemple, cessa de faire oraison pendant plusieurs années parce qu’elle ne s’en sentait pas digne. Après avoir pris conscience de son erreur, elle redoubla d’efforts pour faire au moins 2 heures d’oraison par jour, alors que son activité apostolique était pourtant débordante. Les carmes d’aujourd’hui font de même.  Quand on aime quelqu’un, on trouve toujours du temps pour l’autre. Deux conjoints qui ne trouveraient plus le temps de communiquer dans l’intimité régulièrement  sont en danger grave. De même, un chrétien qui ne fait jamais oraison est en danger grave, et le divorce avec le Seigneur n’est pas loin… Comme lui, ne soyons pas des hyperactifs, mais des « contemplactifs »[vii]. Espérons que la pandémie, qui nous a obligés à davantage demeurer chez nous, nous a aussi aidés à le devenir.

 

Le Christ nous appelle non seulement à porter du fruit, mais à en porter le plus possible : « tout sarment qui donne du fruit, il le nettoie, pour qu’il en donne davantage. » Pour cela, il nous faut accepter d’être émondé (du grec « kathairos » : purifier, nettoyer).  Les sarments qui donnent du fruit, ce sont les chrétiens qui cherchent à obéir à ses commandements. Parce que nous sommes tous pécheurs, et que nous avons bien du mal à le faire parfaitement, le Christ nous émonde, c’est-à-dire qu’il coupe en nous certaines branches, même si elles pourraient porter du raisin, afin que les autres en portent ensuite davantage. Cette opération est douloureuse, mais elle est pour notre bien. Pour la vigne, elle est effectuée à la fin de l’hiver, avant que la sève ne monte dans les branches. Pour nous, elle survient à différentes périodes, selon le type d’émondage.

Le premier est actif, opéré par nous-mêmes même si c’est avec la grâce du Seigneur, et s’appelle l’ascèse (du grec « askêsis »: l’exercice, au sens d’un entraînement sportif). Il consiste à faire effort sur nous-mêmes pour nous convertir et être délivrés de nos erreurs et de nos penchants mauvais. Nous y sommes particulièrement invités pendant le Carême, mais cette ascèse est nécessaire tout au long de nos vies. Elle s’exerce notamment dans le sacrement de réconciliation, où nous offrons au Seigneur toutes les « branches mortes » de nos vies, afin qu’il les consume dans son amour miséricordieux. L’ascèse peut aussi consister à renoncer à des activités bonnes : dans le célibat, on renonce au mariage pour canaliser notre énergie vers notre communauté… Le second type d’émondage est passif et demande une forme d’ « abandon » et de « laisser-faire ». Il correspond aux épreuves que nous rencontrons, qui peuvent engendrer parfois chez nous une tentation de révolte contre la vie ou même contre Dieu… Dans ces 2 types d’émondage, le Seigneur est actif, même s’Il nous laisse tenir le sécateur dans le premier cas, se contentant de nous donner des conseils.

 

Ainsi, frères et sœurs, le Christ nous appelle à porter le fruit de l’Esprit, à la fois pour la gloire du Père, pour notre propre bonheur et  pour celui des autres (puisque nous sommes tous liés les uns aux autres en étant greffés sur lui). Pour cela, il nous demande de demeurer en lui, et de nous laisser émonder par le Père, d’une manière aussi bien active que passive. Le Père a 2 mains, l’une plus féminine qui console et l’autre plus virile qui émonde[viii]. Dans les deux cas, il se sert de sa Parole. C’est grâce à elle que Dieu demeure en nous : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui. » (Jn 14,23) C’est grâce à elle aussi qu’il peut nous émonder : « Mais vous, déjà vous voici purifiés grâce à la parole que je vous ai dite ». Quelles que soit l’ascèse que nous choisissons ou l’épreuve que le Seigneur nous donne de traverser, elles ne peuvent nous purifier que si nous les vivons en union avec Lui, à la lumière de sa Parole. Elles peuvent alors être sources de joie[ix]. Sans quoi, elles peuvent nous centrer sur nous-mêmes ou, pire, nous écraser[x]. Aussi, posons-nous quelques questions. Quelle place est-ce que je donne à la Parole de Dieu ? Combien de temps est-ce que je consacre à l’oraison chaque jour ? Combien de fois par an vais-je me confesser ? Est-ce que j’accepte de bon gré, et même avec joie, les épreuves que je rencontre ? Concluons par une des paroles, extraordinaire, que nous venons d’entendre : « Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voulez, et cela se réalisera pour vous ». Demandons au Seigneur qu’il nous donne de produire toujours davantage le fruit de l’Esprit, pour la gloire du Père et pour notre bonheur à tous.

[i] Aux Philippiens par exemple, il écrit : « je cours vers le but pour remporter le prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus. » (Ph 3,14)

[ii] cf Gn 2,2

[iii] cf Mc 6,31

[iv]cf Lc 6,12

[v] « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. » (Lc 10,41‑42)

 

[vi] (cf 1 Th 5,17)

 

[vii] Le temps que nous passons dans l’intimité avec le Seigneur doit nous aider à agir uni à lui tout le reste du temps, et donc à garder ses commandements. Saint Jean écrit : « Celui qui garde ses commandements demeure en Dieu, et Dieu en lui » (2° lect.). De quels commandements s’agit-il ? Il le précise : « voici son commandement : mettre notre foi dans le nom de son Fils Jésus Christ, et nous aimer les uns les autres comme il nous l’a commandé ». Aimer « par des actes et en vérité », voilà qui nous permet de porter le même fruit que le Christ.

 

[viii] Comme Rembrandt l’a bien mis en lumière dans sa peinture sur l’enfant prodigue.

 

[ix] Dans son épître, saint Jacques va jusqu’à écrire : « Mes frères, quand vous butez sur toute sorte d’épreuves, pensez que c’est une grande joie. Car l’épreuve, qui vérifie la qualité de votre foi, produit en vous la persévérance, et la persévérance doit vous amener à une conduite parfaite ; ainsi vous serez vraiment parfaits, il ne vous manquera rien. » (Jc 1, 2‑4)

 

[x] Saint Paul a vécu pleinement de cette manière, lui qui était à la fois un grand ascète et qui a été en butte à l’hostilité de beaucoup dès le début de son ministère (1° lect.)