Allez à ma vigne, et je vous donnerai ce qui est juste
Frères et sœurs, sommes-nous prêts à un triple salto ? A un triple retournement, ou encore à une triple conversion ? Le Seigneur nous y invite aujourd’hui avec cette parole mystérieuse : « les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers ». Pas étonnant que certains aient considéré le Christ comme le plus grand des révolutionnaires ! Et d’une certaine façon, ils ont eu raison. Mais cette révolution ne consiste pas à renverser les pouvoirs en place dans notre société, mais en nous-mêmes. Tout comme il y a des chefs d’états iniques, il nous arrive à tous d’être injustes, c’est-à-dire de ne pas être ajustés à la volonté de Dieu. « Mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins » (1° lect.) nous dit-Il. Cet écart apparaît très clairement dans l’évangile. Le triple salto qu’il nous invite à effectuer concerne notre rapport à Dieu, aux autres, et à nous-mêmes à travers notre travail.
Pour commencer, le Seigneur nous demande de convertir radicalement notre regard vis-à-vis de Lui. Ne ressemblons-nous pas souvent aux ouvriers qui « récriminaient contre le maître du domaine » parce qu’ils le considéraient injuste ? Ce type de comportement a été fréquent dans l’Ancienne Alliance, particulièrement lors de l’Exode à travers le désert, lorsque les Israélites récriminaient contre Moïse et Celui qui l’avait envoyé. Dans notre société, on ne cesse de récriminer contre les autorités en place, quel qu’elles soient. Mais n’agissons-nous pas parfois ainsi aussi vis-à-vis du Seigneur ? Nous lui en voulons, consciemment ou non, parce qu’Il n’a pas répondu à nos prières, parce ce qu’Il ne nous a pas protégés d’un mal que nous avons subi, parce que la vie nous semble parfois absurde… Nous nous éloignons alors de Lui, nous ne prenons plus le temps du recueillement et de la prière pour venir « sur la place » de notre cœur et il nous devient alors difficile voire impossible d’entendre ses appels pour travailler à sa vigne. S’ensuit alors une vie de misère intérieure, puisque nous ne recevons plus le denier qu’Il veut nous donner, à savoir sa grâce, qui est la vie divine. Pourtant, le Seigneur est parfaitement juste et bon, comme le maître du domaine qui donne aux premiers ce qu’Il leur a promis, un denier.
Ensuite, le Seigneur nous demande de convertir radicalement notre regard vis-à-vis de notre prochain. Il veut en particulier nous guérir de la jalousie, un des 7 péchés capitaux. « C’est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde » (Sg 2,24), c’est par jalousie que Caïn a tué Abel (Gn 4), c’est par jalousie que le fils aîné de la parabole refuse de faire la fête avec son frère cadet (Lc 15)… René Girard a mis en lumière le désir mimétique qui pousse l’homme à désirer ce que son voisin possède. La jalousie est donc une maladie profondément ancrée dans le cœur de l’homme, et c’est pour guérir les hommes de son village que le maître du domaine fait exprès de donner aux derniers arrivés leur salaire devant les premiers, alors qu’il aurait pu le leur donner discrètement ensuite. Quel est le remède à la jalousie ? C’est l’action de grâce, le fait de me réjouir pour mon prochain du bien qu’il a reçu. Et plus profondément, je dois éviter de me comparer aux autres car nous sommes tous uniques et notre chemin vers Dieu est unique. Et si je tiens à me comparer, je dois avoir assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à moi-même (Ph 2,3).
Enfin, le Seigneur nous demande de convertir radicalement notre regard vis-à-vis de nous-même, à travers notre travail. La tentation, c’est de ne le considérer que sous son aspect négatif, comme les ouvriers qui se plaignent parce qu’ils ont « enduré le poids du jour et la chaleur ». Certes, le travail comporte toujours une part de pénibilité, puisque Adam a été condamné à cultiver le sol « dans la peine et à la sueur de son visage » (Gn 3,17-19) Mais avant même le premier péché, l’homme était appelé à travailler et garder le jardin d’Eden (Gn 2,15). Comme le pape Jean-Paul II l’a montré dans son encyclique Laborem exercens, le travail permet à l’homme de s’accomplir, à travers ses relations avec les autres, son inventivité, sa détermination… Un sondage récent a montré qu’une grande majorité de Français (plus de 3 sur 4) aiment leur travail et que beaucoup (6 sur 10) y prennent du plaisir. Le drame du chômage qui reprend nous rappelle tous les jours que c’est une chance de travailler dans notre société. Et c’est aussi une grâce de travailler dans notre Eglise. Sur ce plan, beaucoup de chrétiens ne l’ont pas encore découvert, soit parce qu’ils n’ont pas essayé, soit parce qu’ils ont été mal accueillis par les ouvriers de la première heure… Que ce soit dans la société ou dans l’Eglise, nous devons travailler à l’avènement du règne de Dieu. « Quel que soit votre travail, faites-le de bon cœur, comme pour le Seigneur et non pour plaire à des hommes : vous savez bien qu’en retour vous recevrez du Seigneur votre héritage. C’est le Christ, le Seigneur, que vous servez. » (Col 3,23-24) Notons que le salaire des ouvriers de la parabole est le même pour tous. Un denier, c’est la somme nécessaire pour faire vivre une famille pendant une journée. Cela ne signifie pas forcément que nous devons tous gagner le même salaire (même si le revenu universel garanti figurait dans le livre de saint Thomas More L’Utopie, et qu’il a été repris comme promesse de campagne présidentielle par Benoît Hamon). Mais cela signifie que tout être humain doit recevoir ce dont il a besoin pour vivre.
Ainsi, le Seigneur nous invite à une triple conversion, qui correspond aux exigences du plus grand commandement (aimer Dieu de tout notre cœur, et notre prochain comme nous-même). Voir Dieu non comme un maître injuste, mais un bon maître (dommage que nous n’utilisions plus beaucoup l’expression « le bon Dieu »[i]). Non pas jalouser notre prochain qui a réussi ou reçu une grâce, mais nous réjouir pour lui et avec lui. Non pas nous plaindre de notre travail, mais en être reconnaissant parce qu’il nous permet de nous accomplir. Prenons exemple sur les saints, en particulier Paul qui écrit aux Philippiens : « je désire partir pour être avec le Christ, car c’est bien préférable ; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire » (2° lect.) Paul nous manifeste son immense amour pour Dieu, qu’Il veut rejoindre, pour les autres, qu’il veut sauver, et pour son travail d’évangélisateur, qu’il ne refuse pas d’accomplir … Pour conclure, frères et sœurs, prenons conscience que le Seigneur veut appeler aussi à travers nous. Il y a tant à faire pour améliorer ce monde, aussi bien dans la société que dans l’Eglise ! Le Seigneur appelle par l’intermédiaire des prêtres, mais aussi de tous les baptisés. C’est grâce à André que Simon a été rencontrer Jésus. C’est grâce à Philippe que Nathanaël l’a connu à son tour. En ce début d’année pastorale, ne restons pas sur la place sans rien faire, mais répondons aux appels du Seigneur, et invitons notre prochain à faire de même. AMEN.
P. Arnaud
[i] Merci à l’auteur du film « Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu » !