Glorifie ton Fils

« Père, l’heure est venue. Glorifie ton Fils. » Frères et sœurs, comment pouvons-nous parvenir nous-mêmes à la gloire divine ? C’est bien ce que le Christ veut pour nous puisqu’il dit à propos de ses disciples : « je suis glorifié en eux. » Nous ne pouvons parvenir à la véritable gloire qu’en glorifiant nous-mêmes le Seigneur, comme le Christ a glorifié son Père. Qu’est-ce cela signifie ? Le dictionnaire Larousse définit ainsi la gloire : « Renommée éclatante, célébrité, grand prestige dont jouit quelqu’un dans l’esprit d’un grand nombre de personnes ». Mais la gloire divine (kavod en hébreu, qui signifie le poids) n’est pas du même ordre que la gloire humaine. On dit des personnes célèbres qu’elles ont du poids dans l’opinion. Ce poids peut être oppressant, s’il provient de l’orgueil, ou libérateur, s’il provient de l’amour. Glorifier quelqu’un signifie lui donner sa vraie valeur, le révéler tel qu’il est. Si le Christ demande à être glorifié maintenant, c’est parce que son Heure est venue : la croix va révéler son Amour infini pour son Père et pour nous, et sa résurrection va révéler son identité divine. Il y a donc entre gloire divine et gloire humaine la même différence qu’entre la beauté et le kitsch, la consistance et l’évanescence, l’éternité et la fugacité. Car si la seconde peut parfois être celle du héros, qui se distingue par sa bravoure et ses mérites exceptionnels, elle peut aussi être l’apanage de celui qui se distingue par son pouvoir, sa richesse ou les qualités qu’il a reçus de la nature. La gloire divine, elle, est celle des saints et récompense la seule chose qui compte : l’amour qu’ils ont donné. Certains sont renommés dans nos églises, et on leur a fait à bon droit de belles statues, mais d’autres sont restés inconnus du plus grand nombre (c’est pourquoi on les fête tous ensemble le 1er novembre). Comment parvenir à cette gloire-là ? Il nous faut utiliser notre intelligence pour apprendre à mieux connaître le Seigneur, notre volonté pour supporter la souffrance, et notre cœur pour prier.

 

« La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ. » Saint Irénée a écrit que « la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant et la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu ». La gloire divine, la vie éternelle et la connaissance du Seigneur sont intimement liées. Apprendre à connaître Dieu est l’œuvre de toute une vie, et doit mobiliser toute notre intelligence. « Deus semper major », Dieu est toujours plus grand que tout ce que nous pouvons imaginer ou même concevoir. Ce n’est pas une raison pour nous contenter de la foi du charbonnier, mais au contraire pour arpenter sans cesse de nouveaux chemins de connaissance. Grâce à celle-ci, nous sommes illuminés de plus en plus par celui qui est la lumière du monde (Jn 9,5). Alors que l’homme vaniteux qui recherche la gloire humaine croit être lui-même un soleil pour les autres, le saint a conscience qu’il ne fait que refléter la lumière du Christ. C’est pourquoi la femme glorieuse et sainte par excellence, la Vierge Marie, est symbolisée par la lune. En ce sens, nous pouvons considérer que nous-mêmes sommes la lumière du monde (Mt 5,14). Notre véritable gloire est donc de refléter la lumière du Christ, ce qui suppose que nous nous tournions en permanence vers lui (comme une des faces de la lune, l’autre restant toujours dans l’obscurité). La véritable humilité ne consiste pas à se cacher aux yeux de tous, au contraire : « Une ville située sur une montagne ne peut être cachée. Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux » (Mt 5,14-16). Si les hommes rendent gloire à Dieu en nous voyant, c’est justement parce qu’ils voient en nous sa gloire, et qu’ils savent en discerner la source.

 

Le Seigneur nous glorifie par notre intelligence, qui nous permet d’apprendre à le connaître, mais aussi par notre volonté, qui nous donne la force de souffrir pour lui. Con/naître, naître avec, demande un travail qui passe forcément par la douleur, comme n’importe quel enfantement. Ce n’est pas un hasard si Jésus parle de gloire à son Père au moment de son dernier repas, où il évoque « l’heure » de sa passion et de sa mort prochaines. Sa gloire va resplendir sur la Croix, qui sera comme son trône. Sur ce point, les saints rejoignent les héros glorieux de la mythologie, qui durent tous affronter de terribles épreuves. N’oublions pas qu’avant d’être béatifié puis canonisé, on doit d’abord être déclaré « vénérable », ce qui exige « l’héroïcité des vertus ». C’est pourquoi saint Pierre écrit : « Bien-aimés, dans la mesure où vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous, afin d’être dans la joie et l’allégresse quand sa gloire se révélera.  Si l’on vous insulte pour le nom du Christ, heureux êtes-vous, parce que l’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu, repose sur vous. » (2° lect.) Et il ajoute : « Que personne d’entre vous, en effet, n’ait à souffrir comme meurtrier, voleur, malfaiteur, ou comme agitateur. Mais si c’est comme chrétien, qu’il n’ait pas de honte, et qu’il rende gloire à Dieu pour ce nom-là ». Trois fois le mot « gloire » en quelques mots, tant elle est associée à la souffrance lorsqu’elle est librement acceptée pour le Christ ! Aujourd’hui encore, de nombreux chrétiens sont persécutés et mis à mort en Afrique, en Chine, en Corée du Nord, en Arménie et dans de nombreux pays islamistes. Mais dans plus de pays encore, dont le nôtre, leur témoignage (μαρτυρέω en grec) passe quasiment inaperçu. Leur gloire ne transparaît qu’aux yeux du Seigneur…

 

Comment nous laisser glorifier par le Seigneur ? L’Esprit de vérité éclaire notre intelligence et le Défenseur affermit notre volonté contre les assauts du mal. C’est là qu’intervient notre cœur, avec lequel nous pouvons prier le Seigneur de nous envoyer son Esprit. C’est ce que les Apôtres ont fait après l’Ascension : « Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière, avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus, et avec ses frères. » (1° lect.) Nous aussi, nous devons prier inlassablement, en nous souvenant des paroles de Jésus : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; à qui frappe, on ouvrira. […] Si vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! » (Lc 11,9-13) Le Saint-Esprit est le don de Dieu par excellence, et c’est lui avant tout que nous devons désirer et demander. Si saint Pierre l’a appelé « l’esprit de gloire », c’est parce qu’il nous glorifie en faisant de nous des saints à notre tour.

 

Ainsi frères et sœurs, dans l’avenir et particulièrement pendant cette semaine qui va nous conduire vers la Pentecôte, prions souvent le Saint-Esprit. En rappelant la parole de Jésus : « La gloire que tu m’as donnée, je la leur ai donnée » (Jn 17,22), saint Grégoire de Nysse souligne que cette gloire désigne l’Esprit lui-même. Parce qu’il est l’Esprit de vérité, il nous conduira dans la vérité tout entière. (Jn 16,13) Parce qu’il est le Défenseur, il nous donnera la force de rendre témoignage en faveur du Christ (Jn 15,26).  C’est ainsi que nous serons de plus en plus glorifiés et surtout que nous glorifierons le Seigneur. Ensemble, redisons la prière du cardinal Verdier : « Ô Esprit Saint, amour du Père et du Fils, inspire-moi toujours ce que je dois penser, ce que je dois croire, comment je dois prier, ce que je dois dire, comment je dois le dire, ce que je dois taire, ce que je dois écrire, ce que je dois faire, comment je dois agir pour procurer ta gloire, œuvrer au salut des hommes et à ma propre sanctification. Amen. »

P. Arnaud