Venez derrière moi !
Frères et sœurs, sommes-nous prêts à répondre aux appels du Seigneur ? Le Seigneur a une mission pour tous ses enfants, car notre participation à son œuvre de salut donne du sens à nos vies. « L’oisiveté est la mère de tous les vices », c’est vrai sur le plan du travail humain mais aussi du travail pastoral. Quelle que soit notre mission, le but est le même pour tous : apporter la lumière à ce monde rempli de ténèbres. C’est la mission du Christ lui-même : il est « la lumière du monde » (Jn 8,12) et il est venu s’adresser à ceux qui vivaient dans les ténèbres de l’ignorance : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre, une lumière a resplendi » (1° lect.) C’est pourquoi Jésus « quitta Nazareth et vint habiter à Capharnaüm, ville située au bord du lac, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali ». Il ne part pas évangéliser d’abord la terre sainte par excellence, la Judée dans laquelle se situe Jérusalem, mais un territoire peuplé d’une multiplicité de races, de cultures et de religions, fruit de la déportation du peuple juif qui avait suivi la conquête assyrienne au 8ème s. Et très vite, il annonce à ses disciples : « vous êtes la lumière du monde » (Mt 5,14). Le Seigneur n’aime pas agir en solo, Il veut faire participer les hommes à son œuvre, aussi bien pour la création (d’où son repos le 7ème jour) que pour la rédemption. Tout comme Il a choisi un Précurseur pour annoncer la venue de son Fils, celui-ci va – après seulement qu’il « apprit l’arrestation de Jean » – choisir des Apôtres pour annoncer avec lui sa bonne nouvelle, et sortir les hommes de la mer des ténèbres et des péchés dans lesquels beaucoup se noient. Il les appelle d’abord deux par deux, façon de nous faire comprendre que pour réussir nos propres missions, et pour que le monde croie, nous devons agir en communion les uns avec les autres. C’est aussi le message que lance Paul aux Corinthiens : « qu’il n’y ait pas de division entre vous » (2° lect.) et c’est celui que nous lance l’Eglise en cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens … Cherchons à comprendre comment nous pouvons entendre les appels de Dieu et y répondre comme l’ont fait les Apôtres, à l’aide d’un « mode d’emploi » en 3 étapes : l’attention, le discernement, et la confiance.
La première étape est l’attention. Si nous sommes centrés sur nous-mêmes et nos préoccupations, le Seigneur aura beau nous appeler, nous ne l’entendrons pas. Dans l’église Saint Louis des Français à Rome, un tableau splendide du Caravage décrit l’appel de Matthieu. A l’extrême gauche du tableau, un homme compte l’argent. Il est tellement obnubilé par sa tâche qu’il ne voit même pas Jésus qui appelle Matthieu, son collègue publicain. Saint Augustin, dans ses Confessions, explique qu’il a été longtemps sourd aux appels de Dieu, jusqu’à ce que Celui-ci vainque sa surdité.
A qui devons-nous être attentifs ? A Dieu, bien sûr, mais aussi aux autres, à nous-mêmes, et à tout ce qui nous entoure. En fait, tous ces types d’attention se rejoignent, car Dieu peut nous parler de multiples manières : dans la prière, mais aussi par les autres, par notre corps, par la création, par les évènements… Nous pouvons prier de façon si machinale que nous n’entendons pas ce que Dieu veut nous dire. Nous pouvons parler avec quelqu’un de façon si distraite que nous ne communiquons pas réellement. Nous pouvons être si éloignés de nous-mêmes que nous n’entendons pas notre propre corps qui nous appelle à prendre du repos ou de l’exercice. Nous pouvons nous promener dans la nature sans avoir les yeux ouverts sur sa beauté et ses multiples enseignements. Nous pouvons écouter les infos quinze fois par jour sans le recul suffisant pour prendre la mesure des évènements…
Le plus bel exemple d’attention, c’est la Vierge Marie. A Cana, elle dit à Jésus : « ils n’ont pas de vin » (Jn 2,3). Elle est attentive à Dieu, mais aussi aux hommes, comme une mère pleine de tendresse.
La deuxième étape de l’appel est le discernement. Lorsque nous sommes attentifs, nous entendons beaucoup d’appels, mais lesquels viennent de Dieu, lesquels viennent du diable et lesquels viennent du monde ? Auxquels de ces appels devons-nous répondre ? Il n’est pas toujours facile de répondre, notamment parce que le diable se cache en ange de lumière. « L’enfer est pavé de bonnes intentions » … Lorsque Dieu appelle, Il nous donne la paix et la joie. Par ailleurs, Il respecte notre liberté. Dans le tableau du Caravage, le doigt de Jésus pointe vers Matthieu, mais avec beaucoup de douceur, à la manière du Père que Michel-Ange a peint dans la Chapelle Sixtine, au moment où Il crée Adam : les appels de Dieu sont des re-créations.
La meilleure illustration est celle que nous a offerte Pierre, quelque temps après l’appel qu’il avait reçu au bord du lac de Galilée. Lorsque Jésus a demandé à ses apôtres « pour vous, qui suis-je ? », il a d’abord su se laisser éclairer par le Père pour répondre : « tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16,15-16). Mais quelques instants plus tard, lorsqu’il fait de vifs reproches à Jésus qui vient d’annoncer ses souffrances à venir et qu’il lui dit : « Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas », Jésus lui répond : « Passe derrière moi, Satan, tu es un obstacle sur ma route ; tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » (Mt 16,22-23)
Un bel exemple de discernement est celui de Paul, qui a su entendre l’appel de Dieu pour lui : « le Christ ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour annoncer l’Évangile » (2° lect.).
La 3ème étape est la confiance. Il ne suffit pas de savoir qu’on est appelé par Dieu, il faut encore être capable de Lui dire « oui ». Cela n’est possible que si on Lui fait confiance. Comme l’écrit Edith Stein, « Dieu n’appelle jamais quelqu’un sans lui donner en même temps la force dont il a besoin pour Lui répondre ». Il ne se contente pas d’appeler, Il accompagne et Il forme celui qu’il a choisi, comme le font les bons patrons avec leurs employés ou les parents avec leurs enfants…
Nous pouvons admirer les apôtres, qui ont su renoncer à leurs familles et à leurs métiers pour suivre Jésus « aussitôt » qu’il les a appelés. Comment pouvaient-ils lui faire confiance ? D’abord parce qu’ils avaient entendu Jean inviter ses disciples à le suivre. Ensuite parce que 2 d’entre eux l’avaient suivi et étaient restés une soirée avec lui, après qu’il leur ait demandé : « Que cherchez-vous ? » (Jn 1,38).
Cette confiance demande parfois de l’audace. A un moment donné, il faut se jeter à l’eau. Sainte Thérèse d’Avila, à propos de son départ de chez son père pour entrer au couvent, écrit dans son autobiographie que ses membres se détachaient les uns des autres, tant elle a du se faire violence…
Ainsi, il y a 2000 ans, « le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ». Mais cette lumière ne s’est pas encore propagée partout dans le monde, et beaucoup d’âmes marchent aujourd’hui encore dans les ténèbres et se noient dans l’océan des péchés. C’est pourquoi le Christ continue d’appeler des hommes et des femmes à le suivre, afin de faire d’eux des lumières pour le monde et des pêcheurs d’hommes. Sommes-nous prêts à être de ceux-là ? Ce dimanche de la Parole de Dieu nous rappelle que l’Ecriture peut beaucoup nous y aider. Comme un sachet de thé infuse progressivement l’eau bouillante, sa méditation infuse dans un cœur brûlant d’amour l’attention (à Dieu, au prochain et à nous-mêmes), le discernement et la confiance… Notre monde multiculturel est un carrefour de nations, comme l’était la Galilée du temps d’Isaïe et du temps de Jésus. Laissons-nous appeler par le Seigneur, et agissons avec lui et unis les uns aux autres afin de sauver les hommes de la mort et de les conduire à l’air pur du Royaume, dans la lumière divine.
P. Arnaud