Tu m’apprends le chemin de la vie
Frères et sœurs, comment le Seigneur nous ressuscite-t-il ? Ma question est au présent car n’oublions pas ce que saint Paul nous a rappelé le jour de Pâques : « vous êtes ressuscités avec le Christ » (Col 3,1) Certes, la résurrection concerne l’avenir, après notre mort, mais elle concerne aussi notre vie ici-bas. Un exemple nous est offert par les disciples d’Emmaüs. Alors qu’ils quittent Jérusalem « tout tristes », le 3ème jour après la mort de Jésus, ils y reviennent pleins de joie quelques heures plus tard. Que s’est-il passé ? Ils ont rencontré le Ressuscité, qui leur a communiqué sa vie. Il a guéri leur cœur non pas de manière miraculeuse et instantanée, comme il avait guéri tant de corps, mais avec une pédagogie extraordinaire. On peut y distinguer 7 étapes, chiffre parfait qui conduit à la résurrection (celle de Jésus a eu lieu le 8ème jour). Nous allons analyser chacune de ces étapes en y associant à chaque fois un don de l’Esprit Saint.
- Rejoindre l’autre. Il s’agit de sortir de ma zone de confort pour aller vers celui qui est différent. Le don de piété me pousse vers le Père mais aussi vers mon prochain, parce qu’il est mon frère ou ma sœur en humanité. Jésus rejoint les 2 disciples non parce qu’il aurait besoin d’eux, mais parce qu’il sait qu’ils ont besoin de lui. C’est ce que l’Eglise doit faire aujourd’hui, en allant vers les périphéries comme le pape François nous y exhorte souvent. Certes, la mission commence par le développement d’une communauté fraternelle et donc attirante (comme celle des premiers chrétiens que saint Luc nous a présentée dimanche dernier en Ac 2) mais elle demande aussi d’aller vers ceux et celles qui ne franchiront jamais spontanément les portes de nos églises. On peut les rejoindre dans la rue, mais aussi au bureau, dans un commerce, dans notre famille…
- Marcher avec (c’est le sens du mot « synode »). Une fois l’autre rejoint, je dois faire route avec lui car ce n’est pas instantanément qu’il va m’ouvrir son cœur. Entre Jérusalem et Emmaüs, il y avait « deux heures de marche », ce qui permet de s’apprivoiser doucement. Souvenons-nous du Petit Prince qui demande au renard : « Qu’est-ce que signifie ‘’apprivoiser’’ ? –Ça signifie ‘’Créer des liens’’…Tu n’es encore pour moi qu’un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n’ai pas besoin de toi. Et tu n’as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu’un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde… » Il faut parfois du temps pour qu’une relation puisse être « mûre » à un dialogue en vérité sur les sujets les plus importants, en particulier celui de la foi. Le don de force nous donne la patience pour persévérer, malgré les différends qui peuvent parfois blesser la relation.
- Ecouter. C’est tout simple, et pourtant difficile. « De quoi discutez-vous en marchant ? » N’oublions pas que le premier commandement commence par ces mots : « Ecoute Israël » (Dt 6,4) Jésus n’interrompt pas les 2 disciples, il les laisse « vider leur sac ». Parfois, cette simple écoute suffit à soulager quelqu’un. Aujourd’hui, certains souffrent tellement de ne pas se sentir écoutés qu’ils décident de se confier à un psy ou tout simplement à la caissière de leur magasin. Le don de science nous permet de connaître en profondeur non seulement le monde mais aussi notre prochain.
- Interpréter les événements à la lumière de la Parole de Dieu. Jésus, « partant de Moïse et de tous les Prophètes, leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait ». Notons qu’auparavant, il leur a fait ce reproche : « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! » Le don d’intelligence fait grandir notre foi et nous permet de pénétrer en profondeur le sens des paroles que Dieu nous adresse. Parfois, c’est après avoir entendu une parole biblique de multiples fois que soudainement, elle prend pour nous un sens nouveau.
- Respecter la liberté de l’autre. « Quand ils approchèrent du village où ils se rendaient,
Jésus fit semblant d’aller plus loin ». Alors que le cœur des 2 disciples est devenu « brûlant », Jésus est prêt à leur faire franchir un nouveau seuil, mais il ne veut rien imposer. Il veut faire grandir leur désir. Plusieurs fois dans les évangiles, Jésus demande : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Le don de conseil nous permet de prendre les bonnes décisions dans des circonstances particulières.
- Célébrer. « Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna ». L’allusion à l’eucharistie est évidente. Le mot sacrement, en grec, se dit « mysterium ». Après avoir annoncé la Parole, nous pouvons proposer à ceux que nous voulons évangéliser de participer ensemble à un sacrement, ou à une autre façon de célébrer le mystère de Dieu (l’adoration du saint Sacrement, une cérémonie d’obsèques, un temps de louange…) Le don de sagesse nous donne d’être unis au Seigneur et de goûter son amour.
- S’esquiver. « Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards ». Alors que les gourous cherchent à développer leur emprise sur les personnes, une tentation à laquelle ont succombée certains fondateurs de mouvements d’Eglise, le Christ veut au contraire nous rendre toujours plus libres et responsables. Le don de crainte nous protège du piège de l’orgueil et nous permet de nous situer à notre juste place, sans chercher à dominer sur les autres.
Ainsi frères et sœurs, les disciples d’Emmaüs ont vécu une forme de résurrection grâce au Christ. Nous-mêmes, nous pouvons nous situer à une double place. La leur d’abord, en acceptant de laisser le Ressuscité nous rejoindre et nous transformer. Il le fait en particulier lors de chaque messe. En amont, il nous rejoint dans nos vies quotidiennes, marche avec nous et nous écoute (d’où l’importance de se préparer à la messe par un temps de recueillement où on peut ouvrir son cœur au Seigneur). Puis il nous interprète les Ecritures grâce au prêtre ou au diacre. Ensuite, si nous le souhaitons, nous pouvons communier à son Corps eucharistique et c’est ainsi qu’il « disparaît » en nous. En nous envoyant finalement, après nous avoir bénis, le célébrant nous invite alors à témoigner partout de lui… C’est alors que nous pouvons jouer à notre tour le rôle du Ressuscité en rejoignant nous-mêmes des personnes qui sont tristes et désemparées. Nous pouvons les aider à interpréter leurs épreuves à la lumière de la Parole de Dieu et à le reconnaître présent, fut-ce de façon mystérieuse, dans leurs existences. C’est ainsi qu’eux comme nous, nous pouvons passer de la mort à la vie et de la tristesse à la joie. Comme Pierre et les autres disciples le jour de la Pentecôte (1° lect.), soyons des témoins vivants de la résurrection et écrions-nous avec le psalmiste : « Tu m’apprends le chemin de la vie : devant ta face, débordement de joie ! À ta droite, éternité de délices ! »
P. Arnaud