Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait

Frères et sœurs, voulons-nous être parfaits ? Peut-être avez-vous envie de répondre : « la perfection n’est pas de ce monde » ou bien « le mieux est l’ennemi du bien ». Ces deux paroles sont vraies, d’une certaine manière, et pourtant, le Christ nous exhorte aujourd’hui : « soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » (Mt 5,48) Cet appel du Christ a beau sembler inaccessible, il rejoint pourtant notre aspiration la plus profonde : c’est parce que nous désirons devenir parfaits, à l’image de Dieu, que le serpent de la Genèse a pu séduire Adam et Eve en leur disant : « vous serez comme des dieux,» (Gn 3,5) Alors, la véritable question n’est plus si nous désirons être parfaits, mais quelle est la perfection à laquelle nous sommes appelés, et comment nous pouvons l’atteindre. Le Christ répond à ces deux questions dans l’évangile que nous venons d’entendre.

 

« Soyez miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux » (Lc 6,36). Cette parole de Saint Luc, qui correspond à celle de Saint Matthieu, nous révèle que la véritable perfection n’est pas celle de nos canons humains, mais celle de la miséricorde. Pour bien prendre la mesure de ce qu’elle signifie, nous allons observer tout à tour 3 hommes. Le premier est l’homme « sauvage », qui n’obéit qu’à ses pulsions naturelles ; le deuxième est l’homme juste, qui obéit à la Loi de Moïse ; le troisième est l’homme parfait, qui obéit à la loi du Christ.

L’homme sauvage n’obéit qu’à ses pulsions naturelles. Comment réagit-il au mal qu’il subit ? Par la violence. Un de ses plus illustres représentants s’appelle Lamek. Dans le livre de la Genèse, voici ce qu’il dit : « Pour une blessure, j’ai tué un homme ; pour une meurtrissure, un enfant. Caïn sera vengé sept fois, et Lamek, soixante-dix fois sept fois ! » (Gn 4,23‑24) Ne pensons pas que son comportement appartient seulement à la préhistoire. Chaque jour, en écoutant la radio, on peut trouver des exemples de cette escalade de la violence.

L’homme juste obéit à la loi naturelle. Même si cette loi est inscrite au plus profond de tout homme, le péché a obstrué le chemin pour y parvenir. C’est pourquoi la Loi de Moïse l’a fait « resurgir »         au grand jour. Mais on la retrouve aussi dans les lois d’autres civilisations, même si c’est de manière moins parfaite, comme dans le code d’Hammourabi des Babyloniens. Comment réagit l’homme juste au mal qu’il subit ? En canalisant la violence : « œil pour œil, dent pour dent ». Cette loi, dite du talion, représente un immense progrès dans l’histoire de l’humanité. C’est sur elle qu’est basé notre code pénal, qui cherche à proportionner les peines infligées au mal commis.

Sans renier la loi naturelle et la loi de Moïse, l’homme parfait va plus loin encore. Jésus dit aujourd’hui : « Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil, dent pour dent. Eh bien moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ». En bon prédicateur, Jésus donne ensuite 4 exemples : « si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre…  si quelqu’un veut te faire un procès et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau… si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. Donne à qui te demande ; ne te détourne pas de celui qui veut t’emprunter.» Certains, comme le philosophe Nietzsche, prennent prétexte de ces paroles pour qualifier le christianisme d’une morale d’esclaves, de personnes résignées et passives. En réalité, nous ne devons pas comprendre ces exigences selon la lettre, mais selon l’esprit. Jésus lui-même, lorsqu’il a été giflé par un soldat romain, n’a pas tendu l’autre joue, mais a demandé fièrement : « Si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal ; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » (Jn 18,23) Tendre l’autre joue, selon les rabbins de son époque, signifiait : montrer une autre facette de soi-même. Au mal, il ne faut pas répondre par le mal, car celui-ci, qui m’était extérieur, me devient alors intérieur, et c’est alors seulement qu’il me vainc. Au mal, il faut répondre par le bien, d’une manière d’autant plus forte que le mal l’a été. C’est alors que je peux en être vainqueur.

Allons plus profond encore : comment est-il possible de vaincre le mal par le bien ? Le Christ répond : par l’amour. L’accomplissement de l’exhortation : « tu aimeras ton prochain comme toi-même », c’est de considérer que le prochain n’est pas seulement mon ami, mais aussi mon ennemi. Certes, on ne trouve nulle part dans la Bible : « tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi », mais c’est bien ainsi qu’était interprétée la Loi de Moïse. Dans les psaumes, on trouve des paroles telles que celle-ci :« Seigneur, si tu voulais tuer l’impie ! Seigneur, n’ai-je pas en haine qui te hait, en dégoût, ceux qui se dressent contre toi ? » (Ps 139,19.21) Mais c’est seulement dans l’Esprit Saint que l’on peut comprendre que les ennemis en question, ce sont avant tout les esprits mauvais, et non les personnes qui se laissent guider par eux. Jésus, lui, nous dit : « Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent ».

 

Comment parvenir à cette perfection de la miséricorde ? Le Christ nous offre 3 soutiens : un modèle, une motivation, et une attitude.

Le modèle, c’est Dieu Lui-même. Car « il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. » Quant au Christ, il a dit sur la croix : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font.» (Lc 23,34) et il a aimé tous les hommes.

La motivation, c’est celle de la récompense promise : « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? » Il n’est pas indigne d’espérer une récompense. Toute la tradition chrétienne met en valeur la notion des mérites que nous pouvons acquérir par nos bonnes actions. Seulement, ne nous trompons ni sur les mérites, ni sur la récompense : nous ne pouvons obtenir les premiers que par la grâce de Dieu, et la seconde sera la gloire de Dieu, autrement dit notre « poids d’amour ». Aussi, nous ne pouvons pas nous enorgueillir de nos mérites, car nous arriverons au ciel « les mains vides », comme disait la Petite Thérèse.

Justement, l’attitude que nous demande le Seigneur pour parvenir à la perfection est l’humilité : « la perfection, c’est le progrès », disait saint Grégoire de Nysse. Nous ne devenons pas miséricordieux comme Dieu en un instant, il nous faut accepter de chuter souvent et de laisser le Seigneur nous relever à chaque fois. « Un saint », disait sainte Thérèse d’Avila, l’auteur du Chemin de la perfection, « ce n’est pas quelqu’un qui ne tombe jamais, mais qui se relève toujours ». Et saint François de Sales dit un jour à une pénitente qui se désespérait de retomber sans cesse dans le péché d’orgueil : « notre amour-propre ne disparaîtra qu’un quart d’heure après notre mort ».

 

Ainsi, frères et sœurs, le Christ nous appelle à devenir miséricordieux. Seule la miséricorde fait progresser le monde. Alors qu’après la première guerre mondiale, le diktat imposé aux vaincus avait attisé le désir de revanche, le plan Marshall qui a suivi la seconde, même s’il avait aussi des objectifs économiques et politiques, a permis une véritable réconciliation et le développement des « 30 glorieuses ». Nelson Mandela, parce qu’il a su pardonner à ceux qui l’avaient traité injustement, a permis à l’Afrique du Sud de devenir un pays moderne. Cette semaine, prenons conscience des personnes avec lesquelles nous sommes en conflit ou à qui nous refusons de pardonner, et demandons au Seigneur de nous apprendre à lui ressembler.