Heureux ceux qui croient sans avoir vu

Frères et sœurs, sommes-nous heureux de croire au Christ ? Il nous dit aujourd’hui : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu ». Il s’agit d’une des deux seules béatitudes de l’évangile de Jean, avec celle que nous avons entendue le Jeudi Saint : « Heureux êtes-vous, si vous le faites » (Jn 13,17), c’est-à-dire si vous aussi lavez les pieds des autres, si vous les servez. Croire au Christ et servir son prochain, voilà le secret du bonheur ! Mais alors que beaucoup sont prêts à servir, comme on le voit dans les multiples associations humanitaires ou autres qui existent, peu sont prêts à franchir la porte de la foi au Christ. Pourquoi ? Parce que beaucoup voudraient des preuves de son existence et surtout de sa résurrection. Comme Thomas, ils pourraient dire : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! » Mais le Christ, même s’il propose à Thomas de réaliser ses exigences, nous invite à une autre attitude. La foi, par définition, n’est pas la vision car le jour où nous verrons le Christ dans sa divinité, il n’y aura plus besoin de croire. Certes, il nous appelle à voir : «  venez et voyez » dit-il aux premiers disciples (Jn 1,39) mais il s’agit de voir des signes – souvent discrets – de sa divinité, non des preuves. C’est ainsi que le disciple qu’il aimait « vit, et il crut » (Jn 20,8). Il ne vit pas le Christ dans sa gloire, mais seulement « les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place » (Jn 20,6-7). A nous, qu’est-il donné de voir ? Les sacrements sont « des signes efficaces de la grâce, institués par le Christ et confiés à l’Église, par lesquels la vie divine nous est dispensée » (Catéchisme de l’Église catholique, n° 1131). L’Eglise elle-même est le signe visible et efficace d’une réalité invisible. Au-delà de l’Eglise et des sacrements, le Seigneur ne cesse de nous offrir des signes de sa présence et de son amour. Jean en a choisi 7 dans la première partie de son évangile (les chapitres 1 à 12, qui vont jusqu’à la dernière Cène), mais il conclut le passage que nous venons d’entendre : « Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre ». Et il ajoute : « Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom ». Le but ultime de la foi, c’est la vie, la vie divine. Alors que le mal tend vers la mort, la miséricorde divine (que nous célébrons aujourd’hui) se montre plus forte que le mal et nous offre la vie, par le moyen de la foi. Les disciples sont enfermés dans le cénacle mais surtout dans leurs peurs : peur du jugement de Dieu d’abord, peur du jugement des hommes ensuite. Jésus les en délivre avec 2 paroles, qui sont autant de signes de sa miséricorde : « La paix soit avec vous ! » d’abord. « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » ensuite.

 

« La paix soit avec vous ! » Jésus répète cette parole 2 fois à ses disciples lors de leur première rencontre après sa résurrection, et une 3ème fois lorsqu’il revient les voir une semaine plus tard. Pourquoi cette insistance ? Parce qu’ils ont peur de son jugement. Sur le strict plan de la justice, ils mériteraient d’être châtiés.  Ils l’ont abandonné au jardin de Gethsémani. Chez Judas, qui l’avait trahi, ce sentiment de culpabilité a été tellement oppressant qu’il a mis fin à ses jours. Pierre, au contraire, qui n’avait pas fait mieux puisqu’il l’avait renié 3 fois, a su se laisser regarder par Jésus après le chant du coq, et il a ensuite pleuré amèrement. C’était une première étape dans sa guérison, mais il en faudra d’autres. Après celle-ci au cénacle, il en faudra une troisième, lorsque Jésus lui demandera 3 fois « m’aimes-tu ? », et le confirmera dans sa mission (Jn 21).

Notons que le pardon des péchés ne signifie pas leur oubli. Le Ressuscité porte encore les traces de sa Passion. S’il montre ses mains et son côté à ses disciples, ce n’est pas pour « remuer le couteau dans la plaie », c’est au contraire pour montrer à ses disciples que sa miséricorde est plus forte que leurs péchés. Après avoir reçu le sacrement du pardon dans l’église Saint Augustin, non loin d’ici, Charles de Foucauld devient un autre homme, mais il n’oublia jamais la vie dissolue qu’il avait menée, ce qui l’aida sans doute à demeurer dans une humilité profonde. De même saint Paul n’oublia jamais sa vie avant Damas, lui qui aimait s’appeler « l’avorton que je suis » (1Co 15,8).

 

« De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ». Les disciples ont peur du jugement de Dieu, mais aussi de celui des hommes, et surtout des autorités juives et romaines qui ont condamné Jésus à mort. Lui-même les a d’ailleurs prévenus : « On portera la main sur vous et on vous persécutera ; on vous livrera aux synagogues, on vous jettera en prison, on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs, à cause de mon Nom. » (Lc 21,12) Mais alors qu’ils vont être jugés eux-mêmes, leur mission sera précisément de juger les hommes : « À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. » C’est la mission que Jésus, envoyé par le Père, a accompli lui-même. Il a remis les péchés de beaucoup, par exemple ceux de la femme que certains voulaient lapider dans le temple : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. » (Jn 8,11). Mais il a maintenu ceux des Pharisiens aveuglés par leur orgueil : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : “Nous voyons !”, votre péché demeure » (Jn 9,41). La mission des disciples est donc de communiquer la Miséricorde divine dont ils ont eux-mêmes bénéficié, et dont la seule barrière est le refus de se reconnaître pécheur.

Mais pour qu’ils puissent accomplir cette mission, ils ont besoin de l’Esprit Saint, qui leur communique sa lumière et sa force. C’est pourquoi Jésus souffle sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint ». Notons que les disciples ne vont pas quitter le cénacle à ce moment-là pour autant, il faudra que le Christ leur envoie à nouveau l’Esprit le jour de la Pentecôte pour qu’ils aient suffisamment de courage pour s’adresser aux foules, malgré l’hostilité des autorités juives, et qu’ils bravent leurs menaces jusqu’à leur déclarer : «Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. » (Ac 5,29). De même, il faudra du temps pour que les nouveaux croyants aient le courage de se déclarer comme tels : comme l’a souligné saint Luc, « personne d’autre n’osait se joindre à eux ; cependant tout le peuple faisait leur éloge ; de plus en plus, des foules d’hommes et de femmes, en devenant croyants, s’attachaient au Seigneur » (1° lect.).

 

Ainsi, la miséricorde du Seigneur peut nous permettre de dépasser nos peurs : la peur du jugement de Dieu qui nous enferme dans notre culpabilité, et la peur du jugement ders hommes qui nous enferme dans notre mutisme. La première rend prisonnier du passé, la seconde rend prisonnier du futur. Alors, soyons miséricordieux comme notre Père est miséricordieux (Lc 6,36). Ne laissons pas le mal vaincre ni en nous ni chez nos frères, mais vainquons-le par le bien, grâce à notre Foi. Sachons accueillir tous les signes de la miséricorde divine, aussi bien les sacrements que les paroles de l’Ecriture et les actions de Dieu dans nos vies, et devenons nous-mêmes signes de cette miséricorde pour les autres. C’est ainsi que pourra grandir notre bonheur de vivre unis à Dieu. Heureux ceux qui croient sans avoir vu autre chose que de simples signes !

P. Arnaud