Seigneur, apprends-nous à prier

Frères et sœurs, quelle place donnons-nous à la prière dans nos vies ? Dimanche dernier, à travers son dialogue avec Marthe, le Christ nous avait invité à choisir la meilleure part, celle de de la vie intérieure, rempart contre l’agitation et l’anxiété. Or la vie intérieure se nourrit en particulier par la prière. Alors reconnaissons que nous ne prions pas assez (par manque de temps, de motivation…) et que nous prions mal (par manque de présence à Celui à qui nous nous adressons). Jésus lui-même nous a donné l’exemple, puisqu’on le voyait souvent prier, parfois des nuits entières. Demandons-lui donc, comme un de ses disciples : « Seigneur, apprends-nous à prier. » Il va nous enseigner la lettre d’abord, l’esprit ensuite, et la tonalité enfin.

 

Pour commencer, le Christ nous enseigne la lettre de la prière, en nous donnant des mots. Bien sûr, nous sommes libres, mais le Notre Père constitue le cœur de toute prière chrétienne. Saint Augustin écrit qu’elle contient et achève toute prière[i]. Elle est constituée de 7 demandes, qui nous rappellent d’abord à quel point nous sommes pauvres. Elles sont toutes adressées à « notre Père, qui es aux Cieux ». D’emblée, l’essentiel est dit : notre prière n’est pas individualiste, mais communautaire (« notre »[ii]), elle s’adresse non à un Dieu lointain mais à un Dieu qui nous a donné la vie (« Père »). Pour autant, nous devons respecter une certaine distance, pleine non de peur mais de respect et d’adoration, car il est « aux cieux ». Ces premiers mots sont si importants que bien souvent, sainte Thérèse d’Avila ne parvenait pas à les dépasser et les redisait pendant des heures.

La demande centrale, la 4ème, est la plus importante, selon la manière juive d’écrire : « donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ». Il s’agit à la fois du pain matériel, qui donne des forces à notre corps, mais aussi du pain spirituel (la Parole de Dieu[iii]) et du pain mystique (le Christ lui-même[iv]), qui donnent des forces à notre esprit et notre âme. Avec ces forces, nous pouvons sanctifier le Nom du Père, faire advenir son Règne, et faire sa volonté… d’abord en nous-mêmes, et en même temps dans le monde. Elles nous permettent aussi de reconnaître humblement nos manquements et de pardonner à ceux qui nous ont offensés, de ne pas entrer en tentation, et de nous libérer de la servitude du Malin. Le mot « aujourd’hui » nous rappelle que nous ne pouvons pas faire des provisions de grâce, comme les Hébreux ne pouvaient pas faire des provisions de manne au désert… Heureuse dépendance, qui nous empêche de nous couper de notre Créateur par suffisance !

 

Après la lettre de la prière, le Christ nous révèle quel esprit doit nous animer. Et bien sûr, c’est l’Esprit Saint ! Car la lettre sans l’Esprit ne sert de rien. C’est pourquoi il nous exhorte : « Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! » D’une part, l’Esprit est un moyen car lui seul peut sanctifier le Nom du Père, faire advenir son Règne, nous donner de faire sa volonté, d’accueillir son pardon et de pardonner nous-mêmes, et nous rendre forts contre les tentations et contre Satan lui-même. Dans l’épître aux Romains, saint Paul écrit : « l’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables. » (Rm 8,26) L’Esprit donne vie aux mots du Notre Père et il les « déborde » même par ses gémissements, afin que notre prière ne soit pas « mécanique ».

D’autre part, on peut aller plus loin en affirmant avec saint Séraphin de Sarov que « le vrai but de la vie chrétienne consiste en l’acquisition du Saint-Esprit de Dieu ». L’Esprit Saint n’est pas seulement un moyen mais un but, puisqu’il est Dieu lui-même ! En l’accueillant en nous-mêmes, nous recevons en même temps le Père et le Fils, comme les mystérieux personnages rencontrés par Abraham au chêne de Mambré, dont la Bible parle tantôt au pluriel et tantôt au singulier (Gn 18).

 

Après nous avoir donné la lettre et l’esprit, Jésus nous enseigne la tonalité de la prière. Il le fait par une parabole là aussi au cœur du passage que nous venons d’entendre. Deux mots sont à retenir : confiance et persévérance. La conclusion de la parabole de l’ami sans-gêne est claire et nette : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira ». Jésus enfonce le clou : « quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; à qui frappe, on ouvrira ». Les images qu’il emploie sont parlantes, comme toujours : alors que le serpent et le scorpion donnent la mort, le poisson est le symbole du salut (souvenons-nous des 2 pêches miraculeuses) et de la foi (ICTUS, poisson en grec, est l’acrostiche de Jésus Christ Fils de Dieu Sauveur), et l’œuf est le symbole de la vie à venir, et donc de la résurrection…

Un bel exemple de prière confiante et persévérante est celle d’Abraham qui intercède pour Sodome (où se trouve son neveu Loth (1° lect.) Passant par étapes de 50 à 10, il ne va plus loin car c’est le chiffre minimum (le minian) pour qu’on puisse parler de prière communautaire. Même si son intercession ressemble beaucoup à un marchandage, il témoigne d’une audace extraordinaire, et non d’une peur de Dieu. Nous-mêmes, chrétiens, pouvons l’être infiniment plus, depuis que le Christ nous a révélé la grâce, l’amour infini de la miséricorde de Dieu. Comme l’écrit saint Paul : « Dieu vous a donné la vie avec le Christ : il nous a pardonné toutes nos fautes. Il a effacé le billet de la dette qui nous accablait en raison des prescriptions légales pesant sur nous : il l’a annulé en le clouant à la croix » (2° lect). Notre audace peut aller jusqu’à l’extrême : « tout ce que vous demanderez en mon nom[v], je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. » (Jn 14,13)

 

Ainsi, frères et sœurs, nous devons prier selon la lettre et l’esprit offerts par le Christ, dans la confiance et la persévérance. La lettre sans l’esprit est comme un cadavre, un corps sans âme, et l’esprit sans la lettre est comme un fantôme. Prier est vital si nous voulons ne pas tomber dans l’agitation et l’inquiétude comme Marthe, et cultiver en nous la vie intérieure comme Marie. Malgré leur demande ce jour-là, les disciples n’ont pas toujours accepté de prier comme Jésus le leur avait enseigné. Ce fut vrai en particulier à Gethsémani, lorsqu’il demanda à Pierre, Jacques et Jean de veiller avec lui (Mt 26,38). Parce qu’ils se laissèrent aller au sommeil, ils n’eurent pas la force d’accompagner leur Maître dans sa Passion. Au lieu de mettre en premier son Règne, ils ne résistèrent pas à la tentation et au mal. Aujourd’hui c’est la fête de saint Charbel : après 20 années de vie en communauté, ce moine libanais passa les 23 dernières années de sa vie dans un ermitage, à chercher Dieu dans la prière et à travailler : « ora et labora » disait saint Benoît. Il recevait aussi les fidèles qui cherchaient Dieu auprès de lui. Par son intercession, que le Seigneur nous aide à le prier de mieux en mieux, conscients de nos pauvretés, en récitant souvent le Notre Père et en demandant souvent aussi le Saint-Esprit, toujours avec confiance et persévérance. C’est ainsi que nous pourrons demeurer dans la paix et dans la joie intérieures, et que nous résisterons aux assauts du mal.

P. Arnaud

 

[i] « Si tu parcours toutes les formules des prières sacrées, tu ne trouveras rien, je crois, qui ne soit contenu dans cette prière du Seigneur et n’y trouve sa conclusion. On est donc libre, lorsque l’on prie, de dire les mêmes choses avec des paroles diverses, mais on n’est pas libre dire autre chose ». (Lettre à Proba)

[ii] Le « notre » m’invite à élargir notre cœur aux dimensions de l’univers. De plus, il me réconforte car je sais que beaucoup prient pour moi.

[iii] « Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. » (Dt 8,3)

[iv] « Jésus leur répondit : Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » (Jn 6,35)

[v] « En mon nom » signifie que nous ne devons pas demander n’importe quoi, mais demander ce que nous savons être le désir du Christ.