Le vrai berger donne sa vie pour ses brebis

Qu’est-ce qu’un bon pasteur ? Frères et sœurs, cette question est importante, parce que nous avons tous à guider d’autres personnes, et parce que nous sommes tous guidés par d’autres, d’une manière ou d’une autre : dans notre famille, dans notre travail, dans notre vie de foi… Ces deux aspects ne sont pas contradictoires : c’est seulement si nous savons nous laisser guider que nous pouvons devenir de bons guides pour les autres[i]. Ils correspondent à deux désirs profondément ancrés dans notre nature humaine. Le désir d’être guidé est si fort qu’il peut susciter dans certains peuples des dictateurs, à des moments où plane le risque d’anarchie et de désordre. Le désir de guider les autres est également très fort, comme les luttes pour l’accession au pouvoir le manifestent dans tous les pays et toutes les institutions humaines. Malheureusement, il existe de mauvais pasteurs, comme l’histoire le montre abondamment. Dans le peuple de Dieu lui-même, les prophètes, en particulier Ezéchiel, les ont maintes fois critiqués[ii], et ont annoncé la venue du Pasteur par excellence, celui qui serait envoyé par Dieu pour guider son peuple, le Christ lui-même. Maintenant qu’il est venu, mettons-nous à son écoute pour bien comprendre ce qu’est un bon pasteur. Premièrement, il connaît le lieu où conduire son troupeau. Deuxièmement, il établit avec ses brebis une relation d’amour et de confiance. Troisièmement, il le protège des loups.

 

En premier lieu, le bon pasteur mène ses brebis vers les frais pâturages. « Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre ; il me conduit par le juste chemin pour l’honneur de son nom. » (Ps 23, 1‑3) Les frais pâturages, c’est le Royaume de Dieu, et l’herbe grasse qu’y trouvent les brebis, c’est sa Parole que nous pouvons méditer, et qui nous introduit dans sa contemplation. Voici en effet le but de notre vie, que tous les mystiques ont su exprimer. « Montre-moi ton visage », demanda Moïse à Dieu. « Montre-nous le Père, et cela nous suffit » (Jn 14,8), dit Philippe à Jésus. « Je veux voir Dieu », écrit sainte Thérèse d’Avila pour résumer toute sa quête intérieure[iii].

Pourquoi cherchons-nous tant à voir Dieu ? Parce que nous avons été créés à son image (Gn 1,26), mais cette image a été obscurcie par nos péchés. En contemplant Dieu, nous contemplons ce que nous sommes au fond et ce que nous sommes appelés à devenir. « Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons ne paraît pas encore clairement. Nous le savons : lorsque le Fils de Dieu paraîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu’il est. » (2° lect.). En nous purifiant du péché, le Christ purifie notre cœur de telle sorte qu’il puisse voir celui vers lequel il tend : « Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu ! » (Mt 5,8)

 

Le bon pasteur ne se contente pas de conduire son troupeau vers les frais pâturages, « loin devant », il établit avec chacune de ses brebis une relation d’amour et de confiance. Il ne se contente pas non plus d’aimer ses brebis, il désire aussi que la réciproque soit vraie, autrement il ne sera pas suivi. Or, Jésus ajoute : «  je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent […] Elles écouteront ma voix ». Dans le conte de Saint Exupéry, le renard explique au petit prince qu’il aime sa rose parce qu’il l’a apprivoisée et qu’il a pris le temps de créer une relation unique avec elle. Mais la proximité n’est pas la fusion. Parfois, il faut prendre ses distances avec ceux qu’on aime, comme Jésus qui s’est éloigné de sa famille pour accomplir sa mission et qui s’éloignait parfois de ses disciples pour prier.

 

Troisièmement, le bon pasteur protège ses brebis du mal. Il est même prêt à se sacrifier pour elles. Après avoir tué son frère Abel, Caïn dit à Dieu : «  Est-ce que je suis, moi, le gardien de mon frère ? » (Gn 4,9) Eh bien oui, nous sommes gardiens les uns des autres. Jésus dit : « Le vrai berger donne sa vie pour ses brebis », contrairement au berger mercenaire qui, « s’il voit venir le loup,  abandonne les brebis et s’enfuit », parce que « les brebis ne comptent pas vraiment pour lui ». Pourquoi est-il prêt à donner sa vie pour elles ? D’abord parce qu’il les aime. Jésus dira plus tard : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » (Jn 15,13) Mais aussi parce qu’il sait qu’il vaincra la mort par sa propre mort et sa résurrection. « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle », cette parole que nous venons d’entendre 2 fois (1° lect. & ps), Jésus l’a reprise à son compte dans la parabole des vignerons homicides (Mt 21). Dieu sait tirer le bien du mal, comme le comprit Joseph, vendu par ses frères et qui deviendra le pasteur de toute l’Egypte (Gn 37-50).

Méditons sur l’exemple de Pierre. Alors que Jésus avait fait de lui le pasteur de son troupeau en lui confiant les clefs du Royaume, il l’avait renié au moment de la Passion, abandonnant par là-même ceux dont il avait reçu la charge. Mais après la Résurrection et la Pentecôte, repenti de son péché et fortifié par l’Esprit Saint, il a été capable d’assumer avec courage la charge qu’il avait reçue. Devant le grand conseil qui l’avait convoqué après qu’il avait guéri un infirme, il n’a pas cédé à la peur et il a osé leur déclarer : « Ce Jésus, il est la pierre que vous aviez rejetée, vous les bâtisseurs, et il est devenu la pierre d’angle. En dehors de lui, il n’y a pas de salut.» (1° lect.) Plus tard, après avoir été libéré de la prison dans laquelle les chefs d’Israël l’enfermeront, il poursuivra sa mission jusqu’à donner sa vie à son tour, crucifié la tête en bas par humilité par rapport à son Maître.

Aujourd’hui, certains êtres de notre monde sont abandonnés aux loups. Les enfants à naître quasiment partout, et dans certains pays les personnes âgées, malades ou handicapées, les pauvres…  Qui seront les bons pasteurs prêts à donner leur vie pour les protéger ?

 

Ainsi, le bon pasteur est celui qui, avec son bâton, guide ses brebis vers le lieu de leur bien-être, qui crée avec elles une relation d’intimité et de confiance, et qui les protège des loups. On reconnaît là le Christ qui, avec son sceptre – le bois de la Croix – nous conduit vers le Père pour que nous puissions le contempler, qui établit avec chacun d’entre nous une relation d’amour, et qui nous délivre du mal. 3 types de questions se posent à nous. D’abord, sommes-nous de bonnes brebis, i.e. nous laissons-nous guider par le Christ ? Ou bien suivons-nous d’autres pasteurs, consciemment ou non, qui nous conduisent loin du Royaume (cf le désir mimétique de René Girard) ? Ou encore, sommes-nous des moutons de Panurge, qui suivent les autres moutons, même si ceux-ci se précipitent dans la mer (cf l’histoire de Rabelais) ? Deuxièmement, sommes-nous de bons pasteurs vis-à-vis de ceux dont nous avons la charge, nos enfants, nos parents âgés, nos employés… ? Cherchons-nous à les connaître vraiment, et sommes-nous prêts à donner notre vie pour eux ? Enfin, ne ressemblons-nous pas parfois à des loups lorsque nous n’écoutons que nos égoïsmes ? Apprenons dans la prière à ressembler au Christ, pasteur pour nous et « brebis » de son Père (« l’agneau de Dieu »). Prions pour les évêques et pour les prêtres, qu’il a appelés à être les pasteurs de son Eglise, et pour les séminaristes, qui le seront demain. Et prions pour les hommes et les femmes politiques mandatés pour guider leur peuple, particulièrement en ces temps troublés où le loup a pris la forme d’un virus minuscule et insaisissable, qui rend les bons choix difficiles à discerner.

P. Arnaud

[i] « Chacun est tantôt conduit tantôt conducteur, tantôt suiveur tantôt leader. Avec le risque d’ailleurs de faire payer à ceux qui me voient dans un rôle ce dont je souffre dans un autre rôle. Tel salarié obéissant et fidèle devient un tyran à la maison. Tel bon père de famille devient insupportable au bureau. » (http://lhomeliedudimanche.unblog.fr/2012/07/21/du-bon-usage-des-leaders-et-du-leadership/)

 

[ii] « Par ma vie, oracle du Seigneur Yahvé, je le jure : parce que mon troupeau est mis au pillage et devient la proie de toutes les bêtes sauvages, faute de pasteur, parce que mes pasteurs ne s’occupent pas de mon troupeau, parce que mes pasteurs se paissent eux-mêmes sans paître mon troupeau, eh bien ! pasteurs, écoutez la parole de Yahvé. Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Voici, je me déclare contre les pasteurs. Je leur reprendrai mon troupeau et désormais, je les empêcherai de paître mon troupeau. Ainsi les pasteurs ne se paîtront plus eux-mêmes. J’arracherai mes brebis de leur bouche et elles ne seront plus pour eux une proie. » (Ez 34, 8‑10)

 

[iii] Ce désir peut-il être assouvi ? Dans l’Ancien Testament, il est écrit clairement que nul ne peut voir Dieu sans mourir (cf Jg 13,22) et le premier commandement interdit de façonner des images de Dieu (cf Ex 20,4). Oui, mais quelque chose a changé radicalement avec la venue du Christ. En lui, Dieu s’est rendu visible : « celui qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14,9), répond Jésus à Philippe qui lui demande de lui montrer le Père.