La Pâques était proche

Frères et sœurs, comment passer de la mort à la vie ? De la peur à l’espérance ? De la tristesse à la joie ? Tous ces passages, le Seigneur nous invite à les effectuer. Mais parce qu’Il sait que nous en sommes incapables seuls, Il veut les effectuer avec nous. C’est le sens de la Pâque, qui signifie étymologiquement « passage ». Ce n’est pas un hasard si Jean note au début du récit que nous venons d’entendre : « Or, la Pâque, la fête des Juifs, était proche. » Cette fête commémore le passage de l’Égypte à la Terre Promise, de l’esclavage à la liberté. Spontanément, nous pensons que cette libération s’est réalisée par le passage de la Mer Rouge . Certes, cet événement fut fondamental, c’est pourquoi nous le réentendons chaque année lors de la vigile pascale, mais il fut seulement un épisode parmi beaucoup d’autres avant l’arrivée en Terre Promise. Le peuple élu ne devait pas seulement être libéré du joug de Pharaon, mais aussi et surtout de son péché. Pour cela, pendant les 40 années qu’il passa au désert, le Seigneur lui donna la manne pour qu’il ait de la force mais aussi la Loi pour qu’il sache comment se comporter. Et Il l’accompagna jour après jour dans la nuée… Mais nous savons que malgré ce soutien, aussi bien dans le désert qu’après l’entrée en Terre Promise, les israélites restèrent esclaves de beaucoup de pratiques asservissantes. Nous aussi, bien qu’ayant traversé la Mer Rouge par notre baptême, nous restons parfois esclaves de nos peurs, de nos tristesses, de nos attachements désordonnés. Le Seigneur veut nous rendre libres. Au travers du récit de la multiplication des pains, nous allons voir que le Seigneur agit parfois pour nous, parfois avec nous, et parfois nous laisse agir « seuls ».

Pour commencer, le Seigneur agit parfois pour nous sans que nous ayons rien à faire. C’est ce que Moïse dit à son peuple qui panique devant l’arrivée des troupes égyptiennes , alors qu’il est parvenu à la Mer Rouge : « N’ayez pas peur ! Tenez bon ! Vous allez voir aujourd’hui ce que le Seigneur va faire pour vous sauver… Le Seigneur combattra pour vous, et vous, vous n’aurez rien à faire. » (Ex 14,13-14) Plus tard, le Seigneur dira à son peuple : « Vous avez vu ce que j’ai fait à l’Égypte, comment je vous ai portés comme sur les ailes d’un aigle et vous ai amenés jusqu’à moi » (Ex 19,4). Dans l’évangile de ce dimanche, Jésus nourrit une foule immense sans que personne ait eu besoin de travailler ou de donner de l’argent. On est dans l’ordre de la pure gratuité, de la grâce. Avant lui déjà, même si ce n’était « que » pour 100 personnes, le prophète Élisée avait multiplié les pains « et il en resta » (1° lect.), signe de la surabondance divine. Face à elle, nous ne pouvons qu’être dans l’action de grâce et dans l’Espérance car ce que le Seigneur a fait une fois, Il peut le refaire quand Il le désire. Dans notre société où la technologie semble toute-puissante, nous avons tendance à vouloir tout maîtriser. Mais le Seigneur nous révèle que le Royaume est à ceux qui ressemblent à des enfants (Mt 19,14), qui savent faire confiance à leurs parents et s’abandonner entre leurs bras. Les plus grands saints, après avoir commencé par de gros efforts pour s’améliorer, se sont laissés conduire par Dieu. Sainte Thérèse d’Avila l’exprime par l’image d’un champ qui peut être arrosé de 4 façons différentes, toujours plus efficacement et avec toujours moins d’efforts: on peut tirer de l’eau du puits à la force des bras, ou utiliser une noria garnie de godets avec une manivelle, ou amener l’eau d’un ruisseau, ou enfin espérer que la pluie tombei. La petite Thérèse l’avait bien compris elle aussi, et consciente de son impuissance à assouvir son désir de devenir une grande sainte, elle décida de prendre les bras de Jésus comme ascenseur vers le ciel (Ms C,3r).

Cependant, le Seigneur veut parfois agir avec nous. Comme le dit saint Augustin, « Dieu nous a créés sans nous, mais il ne veut pas nous sauver sans nous ». C’est ainsi qu’Il nous respecte et nous fait grandir (l’autorité, augere en latin, signifie « faire grandir »). Si au début du séjour dans le désert, Il a agi seul, traitant son peuple comme un nourrisson, Il a ensuite voulu sa collaboration, notamment au travers de son obéissance à la Loi. De même, si Jésus a pu multiplier les pains, c’est parce qu’un jeune garçon a accepté de donner ses cinq pains d’orge et ses deux poissons. Tout comme ce qu’un homme avait donné à Elisée (« vingt pains d’orge et du grain frais » ), cela aurait pu sembler dérisoire et donc inutile (« qu’est-ce que cela pour tant de monde »  comme le dit André), et pourtant cela a suffi. Aujourd’hui, nous pourrions être désespérés à la vue de la foule immense de ceux qui ont faim de la Parole de Dieu, ou tout simplement de sens à leur vie. Eh bien le Seigneur peut les nourrir si nous acceptons de donner le peu que nous avons : nos biens, notre temps, notre énergie… Notons aussi qu’Elisée demande à son serviteur de distribuer la nourriture, et que Jésus demande à ses disciples au début de faire asseoir les gens, et à la fin de rassembler les morceaux en surplus, pour que rien ne se perde. La manière divine d’agir nous interroge à 2 niveaux. D’abord, acceptons-nous de collaborer à l’œuvre du Seigneur, ou agissons-nous comme des consommateurs de sacré ? Sommes-nous des membres actifs de l’Église ? Ensuite, comment faisons-nous collaborer à nos responsabilités ceux et celles dont nous avons la charge ? Le principe de subsidiarité, un des piliers de la doctrine sociale de l’Église, consiste à confier à ceux dont on a la charge autant de responsabilités qu’ils peuvent assumer et de les inviter à prendre des initiatives, afin de les faire grandir. Il peut s’appliquer dans l’Église elle-même (le Pape vis-vis des autres évêques, et les curés vis-vis de leurs vicaires et leurs fidèles laïcs), mais aussi dans l’État (le Président vis-à-vis de ses ministres, des préfets, des maires…), dans les familles (les parents vis-à-vis de leurs enfants), dans les entreprises…

Pour nous faire grandir davantage, le Seigneur va parfois plus loin encore : Il semble s’effacer pour nous laisser agir seuls. Déjà dans la Création, Il amena vers l’homme toutes les créatures « pour voir quels noms il leur donnerait » (Gn 2,19). Mais cet effacement peut parfois être considéré comme un abandon, comme lorsque Jésus dort dans la barque au moment de la tempête (Mc 4). Dans le désert, Dieu met son peuple à l’épreuve « pour savoir si vous aimez vraiment le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur et de toute votre âme » (Dt 13,3). Dans l’évangile, « Jésus dit à Philippe : ‘Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ‘?  Il disait cela pour le mettre à l’épreuve, car il savait bien, lui, ce qu’il allait faire ».  Jésus sollicite la foi de Philippe qui, en entendant la question de son maître, a dû penser qu’il « dormait », qu’il était « dans la lune » pour poser une question tellement « stupide ». Mais il aurait pu aussi se souvenir de ses précédents signes et du miracle opéré par Elisée. Plus tard, alors que la foule veut l’enlever pour le faire roi, Jésus se retire dans la montagne, lui seul. L’avoir comme roi aurait été bien commode pour nourrir le peuple tout entier… Mais cette fois, ce sont les hommes qui tentent Jésus, comme Satan l’avait fait dans le désert en lui proposant de changer les pierres en pain. Jésus rejette cette tentation, et juste après, il va laisser les disciples un moment paniquer dans la barque, alors que la tempête les assaillira de nuit et que Jésus ne les rejoindra en marchant sur la mer qu’au moment où ils allaient atteindre l’autre rive (Jn 6,16-21)

Ainsi, frères et sœurs, le Seigneur veut nous donner de passer de la mort à la vie, et de l’esclavage à la liberté. Pour cela, Il nous invite à 3 attitudes complémentaires : nous abandonner à son action toute-puissante et lui rendre grâce ; collaborer avec lui et avec nos frères et sœurs de la terre à l’avènement de son Règne ; et enfin tenir bon dans les épreuves afin qu’au lieu de nous détruire, elles nous permettent de grandir dans notre foi et même dans notre humanité. Ces 3 types d’actions de Dieu alterneront toujours dans nos existences, mais elles sont particulièrement manifestes dans chaque eucharistie. Lors de la messe, nous sommes appelés surtout à nous émerveiller devant l’action du Seigneur (notamment parce qu’Il transforme le pain et le vin en son Corps et en son Sang), et à collaborer à son action par notre participation active (notamment notre écoute), mais il peut aussi arriver que nous soyons éprouvés dans notre foi (lorsque Dieu nous « suggère » à travers les lectures une action qui nous semble au-delà de nos forces). Quoi que nous ressentions, croyons que Dieu veut nous faire grandir à travers tout cela. Alors que viennent de commencer les Jeux olympiques, qui associent pour tous les athlètes d’extraordinaires talents naturels reçus, des années de rude travail et parfois des épreuves lourdes à traverser (notamment des blessures), sachons les imiter pour parvenir à la victoire, celle sur le péché et sur toutes nos peurs.

P. Arnaud

i« Celui qui débute considèrera attentivement qu’il va préparer, dans un terrain très ingrat et rempli de très mauvaises herbes, un jardin où le Seigneur puisse prendre ses délices. Il me semble qu’il y a quatre manières d’arroser un jardin. D’abord en tirant l’eau d’un puits à force de bras, ce qui exige une grande fatigue de notre part. Ou bien, en tournant, à l’aide d’une manivelle, une noria garnie de godets, comme je l’ai fait moi-même quelquefois : avec moins de travail, on puise une plus grande quantité d’eau. Ou bien en amenant l’eau soit d’une rivière, soit d’un ruisseau : la terre est alors mieux arrosée et mieux détrempée ; il n’est pas nécessaire d’arroser aussi fréquemment, et le jardinier a beaucoup moins de travail. Enfin, il y a la pluie abondante : c’est le Seigneur qui arrose alors sans aucun travail de notre part, et ce mode d’arrosage est, sans comparaison, supérieur à tous ceux dont nous avons parlé » (Vie 11, 6-8)