Je suis venu pour que vous ayez la vie
Frères et sœurs, aimons-nous la vie ? La vie est le don le plus précieux que le Seigneur nous a fait, mais ce don nous apparaît parfois comme un cadeau empoisonné, quand les épreuves que nous rencontrons nous pèsent trop lourdement. Dans ces moments, nous pouvons être tentés de haïr la vie. Même les saints ont connu de tels moments de découragement au point de désirer la mort, comme Job, Moïse, Elie, Thérèse (tentée par le suicide au moment de sa maladie). Et les protagonistes de l’évangile d’aujourd’hui ont dû être tentés de la même manière, d’une part la femme qui a beaucoup souffert du traitement de nombreux médecins, a dépensé tous ses biens sans avoir la moindre amélioration ; au contraire, son état a plutôt empiré… d’autre part Jaïre, le chef de synagogue qui voit sa petite fille tomber malade et même mourir… Que faire dans de tels moments ? D’abord ne nous trompons pas de coupable : ce n’est pas Dieu qui est à l’origine de nos souffrances, «la mort est entrée dans le monde par la jalousie du démon » (1° lect.) Ensuite, souvenons-nous que le Christ est venu sur la terre pour que nous ayons « la vie, la vie en abondance » (Jn 10,10), la vie divine, la vie bienheureuse. Alors, comment recevoir la vie du Christ ? Eh bien, le meilleur moyen de la recevoir est de la donner. « Qui donne reçoit » disait saint François d’Assise. Le problème, c’est que le mal et la mort peuvent nous empêcher de donner la vie. C’est ce que l’évangile nous montre aujourd’hui à travers 2 récits qui sont entrelacés, comme un couple qui va justement donner la vie. Les 2 personnages centraux sont très différents l’un de l’autre: en tant que fille du chef de synagogue, Jaïre, la jeune fille est au sommet de l’échelle sociale et religieuse. La femme, au contraire, est au bas de l’échelle : elle est pauvre à la fois matériellement mais aussi physiquement et religieusement. Par sa maladie qui lui fait perdre du sang, elle est continuellement en état d’impureté rituelle, et donc exclue de la communauté. Cependant, 3 réalités les rapprochent : le fait d’être femmes, le chiffre 12, et l’impossibilité de donner la vie. La première subit des pertes de sang depuis 12 ans et ne peut donc enfanter, la seconde est malade alors qu’elle a 12 ans, l’âge de la puberté à partir duquel on devient femme et on peut se marier chez les Juifs. Le Christ apparaît dans ce récit comme une sorte d’époux qui va les guérir et leur donner la capacité de donner la vie. Il va le faire grâce à la foi qui habite la première et le papa de la seconde. Cette foi a une double caractéristique : elle est forte, car elle demande beaucoup au Seigneur, mais elle est aussi humble, car elle n’exige rien de Lui. Dans un premier temps, nous allons admirer cette foi chez la femme hémorroïsse et chez Jaïre. Puis, nous verrons qu’elle répond à une double caractéristique de Jésus lui-même, sa force et son humilité.
Pour commencer, centrons-nous sur les personnes que Jésus va guérir et sauver. Leur foi est forte. La femme croit jusqu’à penser : « Si je parviens à toucher seulement son vêtement, je serai sauvée. » Quant à Jaïre, même si ce n’est pas écrit explicitement, on peut estimer qu’il croit que Jésus est capable de ressusciter les morts, puisqu’il ne s’effondre pas lorsqu’il apprend la mort de sa fille et que Jésus lui dit : « Ne crains pas, crois seulement. » Son nom hébreu « Ya’ir » signifie d’ailleurs « Dieu illumine » ou « Dieu éveille » : un nom prédestiné, comme le récit va le manifester.
De plus, leur foi est humble. Tous les deux se jettent aux pieds de Jésus devant la foule, même Jaïre qui est pourtant un homme respecté puisqu’il est chef de synagogue. Quant à la femme, son geste pourrait ressembler d’abord à de la superstition, mais elle accepte ensuite d’entrer dans une relation personnelle avec Jésus et de lui dire « toute la vérité ». C’est alors qu’elle n’est plus seulement « guérie de son mal » mais « sauvée » : « ma fille, ta foi t’a sauvée. » L’expression « ma fille » souligne la paternité du Fils de Dieu, qui est créateur avec son Père, et tisse un lien avec la guérison de la jeune fille.
Jésus lui-même fait preuve de beaucoup de force et d’humilité. Sa force se manifeste d’abord dans le fait qu’il guérit sans même le vouloir, car elle lui est « consubstantielle », comme quelqu’un qui a du charisme n’a pas besoin de se forcer pour en faire preuve. Elle se manifeste ensuite lorsqu’il ressuscite la fille de Jaïre : « il saisit la main de l’enfant, et lui dit : ‘Talitha koum’ ». Souvenons-nous des icônes de la résurrection où Jésus saisit la main d’Adam et d’Eve pour les sortir des enfers… Ici, le Fils de Dieu agit comme re-créateur et rédempteur. Le verbe employé, « egeire », peut se traduire par « lève-toi », « éveille-toi », ou encore « ressuscite ». Après ce geste qui préfigure sa résurrection et le baptême, Jésus demande de faire manger la jeune fille : c’est ici l’eucharistie qui est signifiée, le sacrement qui nous donne la force de vivre pleinement notre condition de baptisés.
Quant à son humilité, elle s’exprime d’abord lorsqu’on se moque de lui, après qu’il a dit en arrivant à la maison: « Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? L’enfant n’est pas morte : elle dort ». Jésus ne se met pas en colère, il demeure en paix dans la vérité Par ailleurs, au lieu de chercher la gloire humaine, Jésus préfère ressusciter la fille de Jaïre caché de tous ou presque. Il ne prend avec lui que les parents de l’enfant, et Pierre, Jacques et Jean, ceux-là même qu’il prendra avec lui au moment de la Transfiguration afin de les préparer à son agonie à Gethsémani, quand le pouvoir de la mort et du démon semblera le plus fort. Pourquoi Jésus dit-il que l’enfant dort ? Parce que la mort physique est une sorte de sommeil. La mort que nous devons craindre, c’est celle qui est spirituelle, la « seconde mort[i]. ».
Ainsi, le Christ apparaît dans ce double récit comme le Maître de la vie, celui qui peut nous sauver de toutes les forces de la mort. Ce salut, il nous l’offre sans nous l’imposer : il demande notre foi. Une foi forte et humble. Forte parce que tout est possible à Dieu. Humble parce qu’Il ne nous doit rien… Ce week-end, beaucoup d’ordinations ont lieu en France et dans le monde. Le rôle des prêtres est de conforter la foi des fidèles afin de les aider à vivre le plus possible de la vie divine. En tant que prêtre, je peux exercer une paternité non pas biologique mais spirituelle. Et c’est ainsi que je reçois moi-même la vie divine. Si le sacerdoce est réservé aux hommes non mariés chez les catholiques, ce n’est pas pour des raisons sociologiques ou psychologiques, mais spirituelles, parce que l’Eglise – et chaque communauté avec elle – est considérée comme une mère. Vous voyez comment nous pouvons nous enfanter et nous donner la vie mutuellement. Et la Bible nous révèle bien que Dieu est à la fois un Père et une mère. Alors, remercions Celui qui veut nous enfanter à sa vie divine, et prions les uns pour les autres afin que le Christ nous guérisse de nos morts spirituelles et que nous donnions toujours plus la vie, la vie biologique pour certains et la vie spirituelle pour tous, qui est celle de l’Amour. C’est ainsi que nous aimerons toujours plus la vie, la vie divine, la vie bienheureuse. AMEN.
P. Arnaud
[i] L’expression revient plusieurs fois dans l’Apocalypse de saint Jean : « Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Eglises : le vainqueur n’a rien à craindre de la seconde mort. » (2,11) ; « Heureux et saint celui qui participe à la première résurrection! La seconde mort n’a pas pouvoir sur eux (20,6) ; « Alors la Mort et l’Hadès furent jetés dans l’étang de feu –c’est la seconde mort cet étang de feu (20,14) « Telle sera la part du vainqueur; et je serai son Dieu, et lui sera mon fils. Mais les lâches, les renégats, les dépravés, les assassins, les impurs, les sorciers, les idolâtres, bref, tous les hommes de mensonge, leur lot se trouve dans l’étang brûlant de feu et de soufre : c’est la seconde mort. » (21,7-8)