Qui s’abaisse sera élevé

Frères et sœurs, sommes-nous humbles ? Sommes-nous prêts à nous abaisser pour être élevés par le Seigneur, comme il nous y invite ? L’humilité est la base de la vie spirituelle, « le fondement de toutes les autres vertus », selon saint Augustin. Alors que certaines vertus, comme le courage, sont prisées de tous, l’humilité a mauvaise presse dans notre société, qui la confond souvent avec la médiocrité, la timidité ou même le dénigrement de soi. En réalité, l’humilité est une vertu d’une beauté extraordinaire, mais discrète. Ben Sirac exhorte ainsi son disciple : « accomplis toute chose dans l’humilité, et tu seras aimé plus qu’un bienfaiteur ». Au contraire, « la condition de l’orgueilleux est sans remède, car la racine du mal est en lui » (1° lect.). Dans un premier temps, nous allons méditer sur ce que l’humilité signifie, en prenant conscience que nous sommes des ppp, pauvres pécheurs pardonnés. Dans un second temps, nous verrons comment nous pouvons la faire grandir en nous, à travers notre relation au Seigneur, aux autres, et à nous-mêmes.

 

Pour commencer, méditons sur ce qu’est l’humilité. Elle signifie que nous sommes de pauvres pécheurs pardonnés. Pauvres, d’abord, rappelle notre condition de créatures. Notre monde hyper technologisé, dans lequel les courants transhumanistes se développent, tend à nous faire oublier que nous sommes fragiles et dépendants de beaucoup de choses. Nous avons été créés le 6ème jour, le même jour que les animaux sauvages (Gn 1), et nous avons été tirés de la glaise (Gn 2). La pyramide de Maslow a mis en lumière nos besoins multiples, classés en 5 catégories : physiologiques, de sécurité, d’appartenance et d’amour, d’estime et d’accomplissement de soi. Vers la fin de sa vie, Abraham Maslow ajouta un dernier niveau, qu’il appela self-transcendence (« dépassement de soi-même »), ouverture à la transcendance marquée notamment par le besoin de se donner pour une cause plus grande que soi. Ces besoins s’inscrivent dans le cadre d’une hiérarchie et sont continuellement présents, mais certains se font plus sentir que d’autres à un moment donné. Par exemple, une personne démunie de tout est capable de mettre en péril sa vie pour se nourrir (dans ce cas, on observe que les besoins physiologiques ont plus d’importance que les besoins de sécurité). Quelles que soient les limites de cette théorie scientifique, elle met en lumière notre dépendance.

Non seulement nous sommes pauvres, mais nous sommes aussi pécheurs (la Vierge Marie étant la seule créature à faire exception). Notre examen de conscience doit nous aider à en prendre sans cesse conscience, non pour nous culpabiliser de façon malsaine, mais pour nous rendre humbles. Chaque vendredi, nous lisons pendant les laudes le psaume 50 : « Oui, je connais mon péché,  ma faute est toujours devant moi… Moi, je suis né dans la faute, j’étais pécheur dès le sein de ma mère.» (v.5&7) Mais au lieu d’être anéanti, le psalmiste ajoute : « Mais tu veux au fond de moi la vérité ; dans le secret, tu m’apprends la sagesse. Purifie-moi avec l’hysope, et je serai pur ; lave-moi et je serai blanc, plus que la neige » (v.8-9). L’humilité est mère de l’Espérance. C’est aussi ce que révèle le livre des Proverbes : « le juste tombe sept fois mais se relève, alors que les méchants s’effondrent dans le malheur. » (Pr 24,16) La conscience de notre péché va de pair avec notre confiance en la miséricorde du Seigneur, qui nous offre toujours son pardon. C’est parce que notre société a rejeté la foi en Dieu qu’elle refuse la notion de péché. Nous-mêmes ne sommes pas forcément meilleurs que les incroyants, mais nous avons la grâce de croire que nous sommes des pauvres pécheurs pardonnés.

 

Après avoir médité sur la nature de l’humilité, cherchons comment la faire grandir en nous. D’emblée, il faut dire que le sacrement de la réconciliation est l’un des meilleurs moyens, car il nous situe en vérité dans notre rapport à Dieu, aux autres, et à nous-mêmes. C’est pourquoi le premier commandement (« tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit », et « tu aimeras ton prochain comme toi-même ») est une excellente base pour procéder à notre examen de conscience.

Commençons par notre rapport au Seigneur. La prière nous situe à notre juste place par rapport à Lui. Affirmer que Dieu est plus grand que moi est une chose, l’expérimenter dans la prière en est une autre. Le curé d’Ars a dit : « Qui peut contempler l’immensité de Dieu, sans s’humilier dans la poussière à la seule pensée qu’Il a créé le ciel à partir de rien ? Et qu’il pourrait réduire le ciel et la terre en un rien de nouveau en prononçant un seul mot ? Face à Lui, nous ne sommes rien » !

Poursuivons par notre rapport aux autres. Pour grandir dans l’humilité, commençons par les estimer supérieurs à nous-mêmes, comme l’écrit saint Paul (Ph 2,3). Comme Thomas a Kempis l’écrit dans L’Imitation de Jésus-Christ : « S’il y a quelque bien en vous, croyez qu’il y en a plus dans les autres, afin de conserver l’humilité. Vous ne hasardez rien à vous mettre au-dessous de tous, mais il vous serait très nuisible de vous préférer à un seul. L’homme humble jouit d’une paix inaltérable, la colère et l’envie troublent le cœur du superbe ». Par ailleurs, l’humilité se nourrit de l’obéissance. Alors que cette vertu n’a pas bonne presse dans notre société qui exalte une fausse image de la liberté, saint Benoît affirme au contraire dans sa règle que « le premier degré d’humilité est l’obéissance sans délai ». Enfin, acceptons de bonne grâce les humiliations. Le père Gabriel de Ste Marie-Madeleine explique : « Beaucoup demandent à Dieu de les rendre humbles en priant ardemment pour cela, mais très peu désirent être humiliées. Pourtant, il est impossible d’obtenir la vertu de l’humilité sans les humiliations ; car de même que par l’étude nous pouvons acquérir des connaissances, c’est par le chemin de l’humiliation que nous pouvons atteindre l’humilité ». Le père Libermann, fondateur des spiritains, écrit : « Les croix sont exquises, mais les humiliations valent encore mieux. Les croix sont de l’or pur, mais les humiliations sont des perles et des pierres précieuses…  Si les hommes vous méprisent, vous négligent et vous humilient, c’est le plus grand bonheur qui puisse vous arriver; faites-vous de ces humiliations et mépris une nourriture de suavité et d’amour devant Dieu; remplissez-en votre âme, et Dieu vous rassasiera de son amour et vous remplira de sa sainteté ».

Dans notre rapport à nous-mêmes, enfin, nous pouvons faire nôtre la prière que saint Philippe Néri faisait chaque jour à son réveil : « Seigneur, méfie-toi de Philippe » ! La devise inscrite sur le fronton du temple de Delphes, reprise par Socrate puis par sainte Thérèse d’Avila et d’autres saints, était : « Connais-toi toi-même ». Connaissons nos limites et de nos faiblesses, mais aussi nos qualités et les bonnes actions que nous avons accomplies (que nous pouvons aussi « confesser »), car la fausse modestie est une des formes de l’orgueil. « L’humilité, c’est la vérité » disait sainte Thérèse d’Avila. C’est ainsi que Marie s’écrie : « Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom » ( Lc 1,49)

 

En conclusion, frères et sœurs, demandons au Seigneur la grâce de l’humilité. En reconnaissant que nous sommes de pauvres pécheurs pardonnés, cultivons en nous cette vertu si belle à travers le sacrement de réconciliation, et dans nos relations à Dieu, aux autres, et à nous-mêmes. C’est ainsi que le Seigneur, lui qui est « doux et humble de cœur » (Mt 11,29), nous élèvera auprès de Lui dans la gloire du Ciel.

P. Arnaud