Il enseignait en homme qui a autorité

Frères et sœurs, avons-nous de l’autorité ? Depuis plusieurs décennies, nous assistons à une crise profonde de l’autorité. Elle se manifeste dans toutes les institutions : l’Etat, l’école, la police, la famille… La montée des extrêmes qu’on constate dans beaucoup de pays révèle une aspiration profonde à un « retour de l’autorité ». Mais beaucoup confondent le pouvoir et l’autorité. Un exemple parmi tant d’autres : dans les années 30 en Inde, les britanniques détenaient le pouvoir, mais c’est le mahatma Gandhi qui possédait l’autorité. Auctoritas, en latin, vient du verbe augere, qui signifie faire grandir. Pour avoir une autorité véritable, il faut aider à grandir ceux dont nous avons la charge. Les meilleurs exemples se trouvent dans la Bible. Prenons d’abord celui de Moïse. Parce qu’il était très humble, l’homme le plus humble que la terre ait porté (Nb 12,3), il a été capable de se mettre à l’écoute de Dieu et de lui obéir, et c’est ainsi qu’il a été écouté et obéi lui-même jusqu’au bout par son peuple (malgré quelques crises passagères chez celui-ci, semblables aux crises de l’adolescence). Mais sa mission était passagère et avant de le rappeler à Lui, voici ce que le Seigneur lui annonça : « Je ferai se lever au milieu de leurs frères un prophète comme toi ; je mettrai dans sa bouche mes paroles, et il leur dira tout ce que je lui prescrirai » (1° lect.) Ce prophète, c’est le Christ, dont l’autorité dépasse infiniment celle de Moïse. Saint Marc nous dit qu’il « enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes ». D’où vient cette autorité ? D’abord de sa sainteté personnelle. Ensuite de son pouvoir contre le mal. Enfin de sa capacité à donner un sens à nos vies.

 

Pour commencer, Jésus tient son autorité de sa sainteté personnelle. Les scribes connaissaient par cœur la Loi de Moïse, mais il y avait un écart entre leur savoir et leur pratique : « Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse. Donc, tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas » (Mt 23,2-3). Jésus, au contraire, est parfaitement unifié, il fait ce qu’il dit et il dit ce qu’il fait, comme Dieu dans la création : il dit… et cela est (Gn 1). Il est unifié parce qu’il n’y a pas de mal en lui, il EST le Royaume. Nous-mêmes sommes appelés à la sainteté, qui passe par notre conversion. Jean a précédé Jésus, car il faut d’abord vouloir rejeter le mal pour accueillir en nous le Dieu d’amour et de vérité. Jésus lui-même a commencé sa prédication avec ces mots : « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. » (Mt 4,17).  Cet appel à la conversion doit toujours résonner en nous car nos 3 ennemis (Satan, la chair et le monde) ne cessent de nous pousser à nous détourner de Dieu. Dans la vie spirituelle, la voie purgative précède la voie illuminative et la voie unitive. Mais en réalité, nous n’en finirons jamais de marcher sur ces 3 voies, car notre combat contre le mal et notre quête de sainteté ne s’achèveront qu’au jour de notre mort. Pour que nous puissions exercer notre autorité sur les autres, nous devons nous-mêmes être soumis à Celui qui a autorité sur nous, le Seigneur lui-même. Pourquoi saint Paul propose-t-il aux Corinthiens le célibat (2° lect.) ? Parce que « celui qui n’est pas marié a le souci des affaires du Seigneur, il cherche comment plaire au Seigneur ». Il ne dévalorise pas le mariage, mais il nous appelle à être « attachés au Seigneur sans partage ». Que l’on soit marié ou non, la Parole de Dieu doit avoir la première place dans nos vies, car elle nous unifie, et nous rend plus disponibles à notre prochain, d’abord à notre conjoint si nous sommes mariés. L’essentiel est d’avoir avant tout le « souci » du Seigneur (le mot revient 5 fois en quelques lignes)[i].

 

Grâce à sa sainteté, Jésus peut exercer la mission propre de l’autorité (faire grandir l’autre) qui comporte deux aspects : la lutte contre le mal et l’annonce du Royaume qui est tout proche. Juste après son baptême, Jésus a d’abord lutté contre Satan dans le désert, et a ensuite commencé à annoncer le Royaume. L’évangile que nous venons d’entendre le met aussi en lumière : dans la synagogue, Jésus « enseignait » mais très vite, il a accompli son premier « exorcisme », qui sera suivi de beaucoup d’autres, tout au long de son ministère. La parole créatrice de Dieu, dès la Genèse, a suscité l’opposition de celui qui est le père du mensonge et de ses disciples[ii]. Le jour du sabbat – jour où l’homme contemple l’œuvre du Dieu créateur et libérateur – l’esprit impur (ou démon) présent dans la synagogue est le premier à reconnaître l’identité de Jésus : « Je sais qui tu es : tu es le Saint de Dieu » (l’exact opposé de l’impur). L’expression ne laisse aucun doute : dans l’Ancien Testament, elle est réservée à Dieu seul. Le démon a non seulement compris l’identité de Jésus, mais il pressent aussi sa mission : « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ?» Oui, le Fils de Dieu s’est incarné pour nous libérer du mal et d’abord de ceux qui en sont les premiers responsables, Satan et son armée. Jésus répond à la question du démon en l’interpellant vivement : « Silence ! Sors de cet homme. » Littéralement, « sois muselé », comme un chien qui aboie. Il est trop tôt pour révéler l’identité divine de Jésus, il devra d’abord annoncer son passage par la Passion et par la mort.

Nous aussi, nous devons lutter contre le mal. Cette lutte commence par nous-même (cf notre vocation à la sainteté) mais nous devons aussi nous entraider. Parfois, cette entraide passe par une parole de consolation pour ceux qui souffrent de désespérance. Mais elle passe aussi par le rappel de la Loi divine. S’il y a avant tout des interdits dans les 10 commandements (seuls 2 sont formulés « positivement »), c’est parce qu’ils constituent des barrières pour nous empêcher de tomber dans le précipice du péché… Le rappel de la Loi est parfois lié à des circonstances très concrètes, c’est ce qu’on appelle le devoir de correction fraternelle : « Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul… » (Mt 18,15) Dans certains cas, l’entraide peut passer par l’expulsion du démon, ce qu’on appelle un exorcisme. Ce rejet du diable n’implique pas toujours une possession – cf Jésus à Pierre : « Arrière Satan » ! (Mt 16,23).

 

Jésus ne se contente pas de lutter contre le mal, il annonce le Royaume qui est tout proche. Aussitôt après être entré dans la synagogue de Capharnaüm, il enseignait. Qu’a-t-il dit ? Nous ne l’entendons pas dans cette péricope mais il suffit de lire le reste de l’évangile pour le savoir. En tant que chrétiens, nous ne pouvons pas nous contenter de lutter contre le mal en nous-mêmes et dans notre société, nous devons donner un message d’espérance à nos contemporains. Aujourd’hui, beaucoup sont perdus et cherchent aveuglément un sens à leur existence. A nous de leur témoigner que la parole de Dieu est la lumière de nos pas, la lampe de notre route (Ps 118,105). Comme saint Paul nous y exhorte : « Aucune parole mauvaise ne doit sortir de votre bouche ; mais, s’il en est besoin, que ce soit une parole bonne et constructive, profitable à ceux qui vous écoutent. » (Ep 4,29)

 

Ainsi, frères et sœurs, le Seigneur nous appelle à exercer une réelle autorité sur ceux qui nous sont confiés d’une façon ou d’une autre, non pour les dominer, mais pour les aider à grandir. Car nous n’aurons jamais fini de grandir : « en vivant dans la vérité de l’amour, nous grandirons pour nous élever en tout jusqu’à celui qui est la Tête, le Christ » (Ep 4,15). Mettons-nous à l’écoute de Celui qui seul est saint, et laissons-le nous délivrer du mal et nous montrer le chemin du Royaume.

P. Arnaud

[i] Commentaire de M.N. Thabut : Pendant des siècles, la méditation des phrases de la Genèse « Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul » (Gn 2, 18) et « Soyez féconds et prolifiques » (Gn 1,28) avait conduit à considérer que le seul état de vie normal pour le croyant était le mariage ; à tel point que les eunuques ne pouvaient ni être prêtres (Lv 21, 20), ni même entrer dans l’assemblée du Seigneur (Dt 23, 2). Et la stérilité était ressentie comme une honte et une malédiction : « Dieu a enfin enlevé mon opprobre », s’écrie Rachel en mettant au monde son premier fils (Gn 30, 23). Après l’Exil à Babylone, ce mépris pour les célibataires et les eunuques s’était estompé dans les textes bibliques. On en a la preuve dans un texte du prophète Isaïe après l’Exil à Babylone : on avait ouvert les portes des synagogues aux eunuques s’ils désiraient vraiment s’agréger à la communauté des croyants. (cf Is 56, 3-5 et Sg 3, 14). Mais l’opinion populaire est restée longtemps réticente au choix délibéré pour le célibat.

[ii] A notre époque, on dirait peut-être que l’homme qui est tourmenté par cet esprit mauvais est simplement malade, schizophrénique. L’un n’empêche pas l’autre : les démons se servent parfois de nos faiblesses pour nous faire souffrir.