Veillons !

Frères et sœurs, ployons-nous sous le poids du fardeau, comme beaucoup de nos contemporains qui ont le cœur lourd ? Ou bien nous tenons-nous debout, le regard tourné vers le Christ ? Aujourd’hui et pendant tout le temps de l’Avent qui commence, l’Eglise nous invite à contempler celui qui est venu, qui vient et qui viendra. L’Avent renvoie à un triple avènement, qui concerne le passé, le présent et l’avenir. Il y a 2000 ans, le Fils de Dieu est venu parmi nous pour partager nos vies, avec leurs joies mais aussi avec leurs peines et leurs misères. Un jour, il reviendra pour nous faire partager sa gloire. Et en attendant, il vient à nous chaque jour dans l’Ecriture, les sacrements, les personnes, les évènements… Mais il vient « dans la nuée », ce qui signifie qu’il est caché et que nous pouvons ne pas le reconnaître. C’est pourquoi le Christ nous exhorte : « Tenez-vous sur vos gardes… Restez éveillés et priez en tout temps » ! Alors que les jours diminuent, nous pourrions être tentés de nous assoupir, comme les ours ou les marmottes qui se creusent des terriers pour hiberner pendant l’hiver. Pourquoi veiller ? «De crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie » nous dit Jésus. Notre cœur peut s’alourdir pour deux raisons diamétralement opposées, mais qui se nourrissent mutuellement. La première consiste à fuir la réalité à travers les beuveries et l’ivresse. La seconde consiste à s’enfermer dans la réalité en devenant esclave de nos soucis. Méditons sur ces deux pièges, avant de voir comment les éviter.

 

Pour commencer, nous pouvons fuir la réalité. Les beuveries et l’ivresse ne sont que deux moyens parmi beaucoup d’autres pour y parvenir. On pourrait aussi parler de la drogue, qui peut prendre bien des visages : le shit, la cocaïne, l’héroïne, le gaz hilarant qui fait des ravages chez les jeunes en ce moment… Mais au-delà de ces produits qu’on consomme, il y a aussi tous les comportements addictifs, que ce soit la pornographie, le travail, le jeu…

Il est frappant de constater que les hommes les plus riches de la planète nous proposent tous de fuir la réalité. Jeff Bezos et Elon Musk en partant dans l’espace et sur d’autres planètes, Mark Zuckerberg en créant un metaverse (un monde virtuel où nous nous retrouverons tous)… Deux adultes Français sur trois jouent occasionnellement à un jeu vidéo, et un sur trois y joue quotidiennement. Pour certains, il s’agit d’un sain divertissement mais pour d’autres, c’est une drogue dont ils deviennent esclaves et qui les éloigne du monde réel.

Fuir la réalité est une tentation majeure. Dans le désert, Satan a proposé à Jésus de fuir sa faim en transformant les pierres en pain, de fuir sa déception devant les problèmes du monde en devenant roi immédiatement, de fuir sa tristesse devant les refus de croire en lui en se jetant du haut du temple pour impressionner l’opinion publique… Pierre a d’abord choisi de fuir la souffrance en reniant son Maître. Beaucoup de politiciens choisissent de fuir les problèmes en proposant des solutions faciles, qui reviennent à mettre la poussière sous le tapis plutôt qu’à la nettoyer. Nous-mêmes pouvons être tentés de fuir la réalité de nos vies et celle du monde. Les medias nous rapportent tant de mauvaises nouvelles, ne vaudrait-il pas mieux laisser nos postes (et nos consciences) continuellement éteints ?

 

Une seconde façon d’alourdir nos cœurs est opposée à la première : au lieu de fuir la réalité, nous pouvons nous enfermer en elle en devenant esclaves des soucis de la vie (ce qui, tôt ou tard, nous pousse à fuir la réalité). Déjà dans la parabole du semeur, Jésus nous avait mis en garde : « Ce qui est tombé dans les ronces, ce sont les gens qui ont entendu, mais qui sont étouffés, chemin faisant, par les soucis, la richesse et les plaisirs de la vie, et ne parviennent pas à maturité. » (Lc 8,14)

La question n’est pas de savoir si nous avons des soucis, car nous en avons tous à un moment ou à un autre, mais de savoir comment les gérer. Nous pouvons nous laisser hypnotiser par eux, comme Mowgli face à Kaa le serpent dans le Livre de la jungle. On dit que le secret des grands hommes est qu’ils savent facilement s’endormir. Alors que certains se noient dans un verre d’eau, ils savent prendre de la distance avec leurs soucis. Après avoir été élu pape, Jean 23 a commencé à souffrir d’insomnie… jusqu’au jour où le Christ lui est apparu dans sa prière et lui a demandé : « Angelo, qui dirige l’Eglise ? » Et il a répondu : « C’est toi Seigneur ! » A partir de ce moment, il a retrouvé un sommeil paisible. Il n’a plus porté le poids du monde sur ses épaules, il a laissé le Christ s’en charger.

 

Cet exemple nous permet de voir comment nous pouvons éviter à la fois de fuir la réalité et de nous laisser enfermer en elle : nous devons tourner notre regard vers le Christ, ce qui nous permet de la considérer d’une façon nouvelle. C’est ainsi que Jésus déclare à la sœur de Lazare qui l’avait invité : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. » (Lc 10,41‑42) Il ne s’agit pas de cesser de servir les autres, mais de le faire en ayant le regard continuellement tourné vers le Christ. C’est seulement ainsi que nous pouvons obéir à son commandement : « priez en tout temps ». Nous ne pouvons pas rester toute la journée dans une église, mais nous pouvons tout faire avec ce regard : « Tout ce que vous faites : manger, boire, ou toute autre action, faites-le pour la gloire de Dieu. » (1 Co 10,31) Même les moines passent environ un tiers de leur journée à travailler. Et la meilleure façon pour garder le regard tourné vers le Seigneur et de tout faire pour sa gloire, c’est de vivre dans l’amour. C’est pourquoi saint Paul écrit aux Thessaloniciens : « que le Seigneur vous donne, entre vous et à l’égard de tous les hommes, un amour de plus en plus intense et débordant, comme celui que nous avons pour vous » (2° lect.)

 

Frères et sœurs, pendant ce temps de l’Avent, tenons nos lampes allumées, soyons en état de veille. Les apôtres, parce qu’ils n’ont pas veillé à Gethsémani, ont laissé leur cœur s’alourdir. Aussi, non seulement ils n’ont pas su résister à la tentation, mais ensuite, après sa résurrection, ils furent incapables de reconnaître leur maître. Nous-mêmes, ne laissons pas les difficultés multiples d’aujourd’hui étouffer notre Espérance. Le Christ est venu, il vient, et il reviendra pour établir définitivement son règne dans lequel toutes les créatures vivront dans l’amour, dans une fraternité sans frontière. Ne fuyons pas la réalité, ne nous y enlisons pas non plus, mais contemplons le Christ, vainqueur de tout mal. Nos cœurs sont comme des portables qui ont besoin d’être rechargés chaque jour, autrement, même si Dieu nous appelle, nous ne le saurons pas. Comment les recharger ? En priant et en étant ainsi branchés à la Sainte Trinité, d’où jaillit l’Esprit Saint. Durant ce temps d’Avent, donnons une place essentielle à la prière. C’est ainsi que le Seigneur se chargera lui-même de nos fardeaux, et que nous pourrons nous tenir debout et éveillés pour l’accueillir.

P. Arnaud