Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu

« Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu ». Frères et sœurs, nous connaissons tous la 7ème béatitude, et nous désirons tous le bonheur, au plus profond de notre cœur, alors demandons-nous : avons-nous le cœur pur ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord définir la pureté. Dans le langage courant, on parle  d’or pur, par exemple, pour signifier qu’il est sans mélange, débarrassé de ses scories. Chez les Pharisiens, la pureté est avant tout rituelle. Leur mouvement, qui est né vers 135 avant JC, a surgi à une époque où beaucoup de Juifs tendaient à se paganiser et à s’éloigner de la loi de Moïse, sous la pression de la civilisation grecque. En réaction, ils ont remis en valeur les 613 commandements de la loi de Moïse, destinés à sanctifier la vie quotidienne : chaque geste devait relier à Dieu (c’est le sens même de la religion) et en même temps séparer du monde (le mot Pharisien signifie d’ailleurs « séparé »). Les ablutions, en particulier, servaient à signifier le désir de « se garder sans tache au milieu du monde », selon l’expression de saint Jacques (2° lect.) Mais les Pharisiens ont perdu de vue l’essentiel. C’est pourquoi Jésus, qui est parfaitement relié à son Père mais sans être pour autant séparé de nous, rappelle le but originel de ces pratiques : «Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. » Puis il s’éloigne de la foule, et précise à ses disciples : « C’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées perverses : inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure[i]. » Plutôt que de détailler ces pensées perverses, je préfère souligner qu’elles nous concernent tous. Qui d’entre nous agit par pure charité ? Même nos bonnes actions sont souvent entachées de motifs égoïstes ou d’orgueil. Saint Jean de la Croix, qui a scruté en profondeur le cœur humain, a écrit que « le plus petit mouvement de pur amour est plus utile que toutes les autres œuvres réunies », en soulignant ainsi la rareté. Alors, comment pouvons-nous purifier notre cœur ? Comprenons d’abord que c’est le Seigneur lui-même qui purifie. Comme Il l’a annoncé par le prophète Ezéchiel : « Je verserai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés. De toutes vos souillures, de toutes vos idoles je vous purifierai.» (Ez 36,25)[ii]. Mais quelle est cette eau par laquelle Il nous purifie ? C’est celle de son Esprit, qui agit dans sa Parole. Pour avoir des cœurs purs, il nous faut donc écouter sa Parole (1° temps de notre méditation), et la mettre en pratique (2nd temps).

 

Pour commencer, il nous faut écouter la Parole de Dieu. Parce qu’elle nous éclaire sur la Vérité, elle nous purifie de tous les obstacles qui nous empêchent de la contempler, à savoir nos erreurs et nos péchés. Comme le dit le Seigneur à son peuple, dans le Deutéronome : « Quand les autres peuples entendront parler de tous ces décrets, ils s’écrieront : ‘Il n’y a pas un peuple sage et intelligent comme cette grande nation ! Quelle est la grande nation dont les décrets et les ordonnances soient aussi justes que toute cette Loi que je vous donne aujourd’hui ? » (1° lect.) La Parole de Dieu est source de sagesse, d’intelligence, de justice. Nous pouvons la contempler, puisqu’elle est une Personne, le Verbe fait chair. Elle se révèle à nous de diverses manières, mais en particulier dans l’Ecriture. Saint Jérôme disait : « ignorer l’Écriture c’est ignorer le Christ[iii] ». Saint Augustin, que nous avons fêté hier, a d’abord été déçu en lisant la bible, qui ne lui semblait pas assez philosophique et d’un style trop simple pour le grand avocat et rhéteur qu’il était. Il lui fallut plus de 10 ans et l’aide de saint Ambroise, l’évêque de Milan lui aussi avocat de formation, pour y trouver la vérité.

La bible, comme son nom l’indique, est une véritable bibliothèque, avec des livres de genres mais surtout d’importance très différents. Certes, aucune parole de Dieu n’est à rejeter, mais nous devons cependant la hiérarchiser. Parmi tous les livres de l’Ancien Testament, les plus importants sont les 5 premiers, que les Juifs appellent Torah (loi) et nous Chrétiens le Pentateuque. Dans ces livres mêmes, comme dans des poupées russes, certaines paroles ou lois ont plus de valeur que d’autres. Le Christ lui-même l’a révélé : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur… et ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. » (Mt 22,37‑40) Saint Jacques l’exprime à sa manière : « Devant Dieu notre Père, un comportement religieux pur et sans souillure, c’est de visiter les orphelins et les veuves dans leur détresse, et de se garder sans tache au milieu du monde. » (2° lect.) Le problème des Pharisiens et des scribes qui reprochent aux disciples de Jésus de prendre leur repas avec des mains impures, c’est-à-dire non lavées, est d’avoir oublié cette hiérarchie. Ils en sont devenus « hypocrites[iv] ».

 

Ecouter la Parole de Dieu est nécessaire, mais pas suffisant. Nous devons aussi la garder et la mettre en pratique. « Notre vie est réussie pourvu que nous pratiquions ce que nous entendons et chantons. Entendre, c’est ensemencer ; pratiquer, c’est faire porter du fruit à la semence » (st Augustin). Même si nous l’écoutons avec attention en sachant y discerner l’essentiel, nous sommes sans cesse tentés de la rejeter, parce qu’elle contrecarre l’esprit du mal. Les principaux adversaires de Jésus, les scribes et les pharisiens, connaissaient par cœur l’Ecriture, mais ils ne la mettaient pas en pratique. C’est pourquoi Jésus a dit à ses disciples à leur propos : « tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas. » (Mt 23,3) Dans l’Ancienne Alliance déjà, Moïse, après avoir édicté la Loi du Seigneur au peuple, n’a cessé de répéter : « vous garderez les commandements du Seigneur votre Dieu tels que je vous les prescris. Vous les garderez, vous les mettrez en pratique ». Le mot « garder », répété  très souvent aussi bien dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, souligne bien le combat que nous avons à mener. Saint Luc, notamment, écrit que Marie « retenait (ou gardait) tous ces événements et les méditait dans son cœur. » (Lc 2,19)[v]. Saint Jacques nous met lui aussi en garde : « Mettez la Parole en pratique, ne vous contentez pas de l’écouter : ce serait vous faire illusion. » (2° lect.) Nous devons nous garder des « pensées perverses » citées par saint Paul, mais aussi des « traditions des hommes » évoquées par Jésus (4 fois dans la seule péricope de ce dimanche) si elles nous éloignent de l’essentiel (car certaines traditions peuvent au contraire nous aider).

L’homme doit donc mener un combat spirituel. Aux jeux olympiques de Tokyo, les escrimeurs français ont remporté 5 médailles, dont 2 en or. Pour remporter un match, il faut non seulement chercher à toucher l’adversaire, mais aussi se garder continuellement de ses assauts. Il faut connaître les multiples façons de toucher, apprises à l’entrainement et dans les livres, mais aussi les mettre en pratique. Savoir que Dieu nous appelle à pardonner est une chose, entreprendre la démarche en est une autre. Mais c’est seulement de cette façon que nous pouvons nous relier à Dieu et aux autres. Le fruit ? Saint Jacques l’exprime un peu plus loin dans sa lettre : « celui qui se penche sur la loi parfaite, celle de la liberté, et qui s’y tient, lui qui l’écoute non pour l’oublier, mais pour la mettre en pratique dans ses actes, celui-là sera heureux d’agir ainsi. » (Jc 1,25) Ce bonheur est celui non de la séparation, mais de la communion, avec le Dieu-Trinité et entre nous.

 

Ainsi, frères et sœurs, le Seigneur peut purifier nos cœurs par l’eau vive de son Esprit, qui s’exprime dans sa Parole, à condition que nous la gardions et la mettions en pratique. Alors, soyons toujours  à l’écoute de sa Parole, et engageons-nous fermement dans le combat spirituel, en nous gardant des « pensées perverses ». Ne ressemblons pas aux Pharisiens en nous enfermant dans des habitudes, si bonnes soient-elles, mais soyons toujours dociles au souffle du Saint Esprit, qui nous conduira toujours vers l’essentiel. C’est ainsi qu’avec un cœur de plus en plus pur, nous goûterons le bonheur de voir Dieu de mieux en mieux, et nous le refléterons pour nos frères, qui le verront à travers nous.

P. Arnaud

[i] 12 types de pensées perverses, 6 au pluriel et 6 au singulier, groupées par 3, pour aider les auditeurs à les retenir.

 

[ii] Ou encore St Jacques : « les présents les meilleurs, les dons parfaits, proviennent tous d’en haut, ils descendent d’auprès du Père des lumières » (2° lect.)

 

[iii] Sa connaissance n’était pas austère, mais le remplissait de joie : « Ne te semble-t-il pas, déjà sur cette terre, habiter le royaume des cieux lorsque tu vis au milieu de ces textes, lorsque tu les médites, lorsque tu ne connais et ne recherches rien d’autre ? » Et il invitait une jeune fille de la noblesse romaine à accompagner la lecture des textes par la prière, dans un dialogue amoureux avec le Christ: « Si tu pries, tu parles à l’Époux ; si tu lis, c’est lui qui te parle ».

 

[iv] Par exemple, Jésus leur dit, au milieu du discours que nous venons d’entendre : «  Supposons qu’un homme déclare à son père ou à sa mère : “Les ressources qui m’auraient permis de t’aider sont korbane, c’est-à-dire don réservé à Dieu”, alors vous ne l’autorisez plus à faire quoi que ce soit pour son père ou sa mère ; vous annulez ainsi la parole de Dieu par la tradition que vous transmettez. » (Mc 7,11-13)

[v] Jésus lui-même répondra à une femme qui proclamait Marie bienheureuse parce qu’elle l’avait porté en son sein et nourri : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » (Lc 11,28)