Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait

Frères et sœurs, comment améliorer le monde et nous-mêmes ? Si Dieu s’est reposé le 7ème jour, c’est non seulement parce qu’Il voulait nous donner l’exemple (c’est pourquoi nos frères juifs se reposent le samedi et les chrétiens le dimanche) mais aussi et même d’abord parce qu’Il voulait donner à l’homme la possibilité de parfaire sa création. Tout ce qu’Il a créé est parfait, mais avec en même temps avec une sorte d’incomplétude. C’est particulièrement vrai de l’homme, qu’il a créé « à son image et à sa ressemblance » (Gn 1,27), ce qui signifie qu’il doit parcourir tout un chemin pour atteindre sa plénitude, qui consiste à la pleine participation à la vie divine. Comment pouvons-nous y parvenir ? Nous devons être des « contemplactifs », c’est-à-dire à la fois des contemplatifs et des actifs, obéissant ainsi au double commandement du Seigneur dans la Genèse. Il dit d’abord : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. » (v.28) Et ensuite, Il demande à Adam et Eve de « travailler et garder » le jardin d’Eden (Gn 2,15). « Soumettre » la terre renvoie à la fonction productrice de l’homme, alors que « garder » le jardin d’Eden évoque davantage le soin (le care, un mot à la mode chez les anglo-saxons) et la contemplation. S’il veut parvenir à sa plénitude, l’homme doit vivre l’action et la contemplation dans une triple direction : la création, son prochain et lui-même. Méditons sur chacune de ces dimensions, en prenant pour exemple le saint que nous allons célébrer demain, et qui sera pour nous un guide pendant cette année axée sur une « Eglise verte », en phase avec Laudato Si : François d’Assise.

 

Pour commencer, tournons-nous vers la création. Lorsque Dieu s’est reposé le 7ème jour, il « vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : cela était très bon » (Gn 1,31). Il n’empêche que la création peut être « améliorée », rendue « plus belle », comme un jardin par rapport à la nature sauvage. Dieu s’est retiré pour donner de la place à l’homme, comme un papa bricoleur laisse à son fils la possibilité de collaborer au meuble qu’il est en train de fabriquer, ou une maman demande à sa fille de l’aider à préparer un bon plat pour la famille. Ils ne le font pas parce qu’ils en ont besoin, mais parce que leurs enfants vont progresser grâce à leur « service ».

Le travail est une bénédiction pour l’être humain, comme le pape Jean-Paul II l’a bien montré dans son encyclique Laborem Exercens. Par tout ce qu’il exige de lui (courage, imagination, habileté…), il lui permet de progresser dans son humanité.

Mais pour que le travail soit vraiment une bénédiction et ne devienne pas un esclavage, nous devons apprendre à nous arrêter et à nous reposer pour contempler l’œuvre accomplie. Saint François était un grand travailleur. La première chose qu’il fit après sa conversion fut de rebâtir plusieurs églises qui tombaient en ruines. Mais il était aussi un grand contemplatif, qui s’émerveillait et aimait chanter lorsqu’il marchait dans la campagne. C’est ainsi qu’il put écrire le fameux cantique des créatures, dans lequel il loue le Seigneur pour « frère soleil », « sœur lune », « frère vent »… et toutes les autres créatures, jusqu’à « notre sœur la Mort corporelle »… Comme le travail, la contemplation nous permet de grandir, elle élargit notre regard et notre cœur.

 

Le travail et la contemplation, nous ne pouvons pas les vivre seuls, nous avons besoin les uns des autres. Si chacun voulait être autosuffisant et ne pas dépendre des autres, notre humanité aurait déjà disparu. Celui qui fait le pain est heureux qu’un autre fabrique des vêtements. Et tous les deux ont besoin d’autres personnes (l’agriculteur qui cultive le blé, le meunier qui moud la farine, etc.) Dès le départ, Dieu a dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Je vais lui faire une aide qui lui correspondra. » (1° lect.) La complémentarité entre l’homme et la femme est comme le prototype de toutes les complémentarités. C’est pourquoi « l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un ». Si Jésus refuse le divorce, que Moïse avait dû accepter en raison de la « dureté de cœur » des hommes, c’est parce que l’union entre l’homme et la femme correspond profondément au dessein de Dieu. Plus tard, saint Paul pourra écrire que le sacrement de mariage est le signe de l’union entre le Christ et l’Église (Ep 5,25) C’est pourquoi la fidélité et l’indissolubilité sont deux des piliers du mariage.

Comme vis-à-vis de la création, les époux peuvent être des contemplactifs. Ils peuvent contempler en l’autre la présence de Dieu, qui rayonne à travers sa beauté, sa bonté, sa vérité… Mais ils doivent aussi se transformer mutuellement, car ils prennent vite conscience, s’ils ne l’ont déjà fait avant leur engagement définitif, qu’ils sont loin d’être parfaits. Lorsqu’on découvre les défauts de l’autre, la tentation est de s’en séparer. Mais on peut aussi prendre mieux conscience de ses propres faiblesses, et décider d’aider l’autre à progresser, et se laisser aider par l’autre. C’est ainsi que le mariage est une source de sanctification mutuelle (cf Familiaris consortio §55).

Saint François ne s’est pas marié, puisqu’il a épousé « Dame Pauvreté », mais il a su travailler au règne de Dieu avec les autres. Non seulement sainte Claire, qu’il aimait avec beaucoup de tendresse, mais aussi ses frères mineurs avec lesquels il vivait chaque jour.

 

Notre perfectionnement passe par la création qui nous entoure, par notre prochain, mais aussi par nous-mêmes. Là encore, nous devons être des contemplactifs. D’abord nous regarder comme Dieu nous regarde, c’est-à-dire avec amour et même avec émerveillement. « Je te rends grâce, Seigneur, pour la merveille que je suis. » (cf psaume 138,14) Certes, nous devons reconnaître humblement nos faiblesses et même nos péchés, mais cette reconnaissance doit être vécue au double sens du terme et s’accompagner d’une action de grâce pour nos qualités et tout ce qui nous rend semblables à Celui qui nous a créés. C’est d’ailleurs avec ces mots que sainte Claire a rendu son dernier souffle : « Béni sois-Tu Seigneur de m’avoir créée ».

Mais la contemplation de nous-mêmes, qui nous permet de prendre conscience de nos qualités mais aussi de nos défauts, doit s’accompagner d’un travail sur nous-mêmes. Et ce travail implique souvent une certaine souffrance. Si nous rechignons à nous laisser ainsi transformer comme l’or au creuset, songeons que le Christ lui-même, qui était pourtant sans péché, est passé par ce même creuset : « Celui pour qui et par qui tout existe voulait conduire une multitude de fils jusqu’à la gloire ; c’est pourquoi il convenait qu’il mène à sa perfection, par des souffrances, celui qui est à l’origine de leur salut. » (2° lect.) Quelle parole extraordinaire ! Le Fils de Dieu a été mené à sa perfection par la souffrance ! Alors, nous-mêmes qui sommes si loin de lui dans le chemin vers la plénitude, ne refusons pas les épreuves par lesquelles Dieu nous émonde, comme le cep d’une vigne qui peut porter beaucoup de fruits (Jn 15)!  Saint François a accepté tellement profondément cet « émondage » qu’il a été le premier homme à recevoir dans sa chair les stigmates, qui l’ont uni au Christ d’une façon extraordinaire.

 

Ainsi, frères et sœurs, contemplons Dieu présent partout, mais aussi travaillons pour qu’Il prenne davantage de place. Le Christ lui-même, et après lui tous les saints, en particulier François d’Assise, nous montrent le chemin. Suivons-les pour parfaire notre monde, et nous parfaire nous-mêmes !

P. Arnaud