Il enseignait en homme qui a autorité

Frères et sœurs, avons-nous de l’autorité ? Depuis plusieurs décennies, nous assistons à une crise profonde de l’autorité. Elle se manifeste dans toutes les institutions : l’Etat, l’école, la police, la famille… Depuis le début de la pandémie, cependant, jamais peut-être nous n’avons été aussi soumis – en dehors des guerres – au pouvoir de l’Etat, qui a réduit notre liberté de mouvement de façon très significative (pour des raisons bien légitimes). Mais le pouvoir n’est pas l’autorité. On peut avoir du pouvoir avec un manque d’autorité (l’agitation dans les rues hollandaises l’atteste) ou avoir de l’autorité sans pouvoir (souvenons-nous du mahatma Gandhi). Auctoritas, en latin, vient du verbe augere, qui signifie faire grandir. Pour avoir une autorité véritable, il faut aider à grandir ceux dont nous avons la charge. Cette mission comporte deux aspects : les nourrir (physiquement et spirituellement), et les protéger du mal. Les parents doivent d’une part nourrir et enseigner la Vérité à leurs enfants, et d’autre part les protéger contre le mal, d’abord sur le plan physique (le froid, les chocs…) et ensuite sur le plan spirituel (en leur racontant Le Petit Chaperon Rouge, Blanche Neige…) Le gouvernement, en ce moment, doit trouver le juste équilibre entre maintenir une croissance économique plus que jamais nécessaire (pour éviter trop de basculements dans la pauvreté) et protéger la population de la maladie et de l’insécurité. Mais qu’elles que soient les décisions qu’il prendra, elles ne seront appliquées effectivement que s’il a suffisamment d’autorité… Ce qui a le plus marqué les contemporains de Jésus lorsqu’ils l’ont entendu, c’est qu’ « il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes ». Ces derniers connaissaient par cœur la Loi de Moïse, mais il y avait un écart entre leur savoir et leur pratique : « Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse. Donc, tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas » (Mt 23,2-3). Jésus, au contraire, est parfaitement unifié, il fait ce qu’il dit et il dit ce qu’il fait, comme Dieu dans la création : il dit… et cela est (Gn 1). En hébreu, le mot dabar signifie à la fois Parole et Acte (de Dieu). Dans l’Ancienne Alliance, un homme eut une grande autorité : Moïse. Parce qu’il était très humble, l’homme le plus humble que la terre ait porté (Nb 12,3), il a été capable de se mettre à l’écoute de Dieu et de lui obéir, et c’est ainsi qu’il a été écouté et obéi lui-même jusqu’au bout par son peuple (malgré quelques crises passagères chez celui-ci, semblables aux crises de l’adolescence). Mais sa mission était passagère et avant de le rappeler à Lui, voici ce que le Seigneur lui annonça : « Je ferai se lever au milieu de leurs frères un prophète comme toi ; je mettrai dans sa bouche mes paroles, et il leur dira tout ce que je lui prescrirai » (1° lect.) Ce prophète, c’est le Christ, dont l’autorité dépasse infiniment celle de Moïse. Voyons comment, grâce à elle, il peut nous aider à grandir, d’une part en nous nourrissant, et d’autre part en nous protégeant du mal.

 

Pour commencer, le Christ nous nourrit. Il peut le faire physiquement (cf les multiplications des pains) mais aussi spirituellement, par sa Parole. Aussitôt après être entré dans la synagogue de Capharnaüm, il enseignait. Qu’a-t-il dit ? Nous ne l’entendons pas dans cette péricope mais il suffit de lire le reste de l’évangile pour le savoir. Avant lui, Moïse avait donné à son peuple dans le désert la manne et l’eau du rocher, mais surtout la Loi qu’il avait reçue de Dieu sur le Sinaï.

Le rôle des parents n’est pas seulement de nourrir le corps de leur enfant, mais aussi son âme : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » (Mt 4,4) Au départ, il ne sait pas parler (c’est le sens du mot enfant, in/fans en latin). Ses parents lui apprennent à le faire, mais ils doivent aussi l’aider à trouver un sens à son existence. Au-delà de la relation parentale, nous devons tous nous entraider à vivre, avec une sorte d’autorité amicale. « Aucune parole mauvaise ne doit sortir de votre bouche ; mais, s’il en est besoin, que ce soit une parole bonne et constructive, profitable à ceux qui vous écoutent. » (Ep 4,29)

 

En plus de nous enseigner la Vérité, le Christ nous libère et nous protège du mal. Car sa parole créatrice, dès la Genèse, suscite l’opposition de celui qui est le père du mensonge et de ses disciples[i]. Le jour du sabbat – jour où l’homme contemple l’œuvre du Dieu créateur et libérateur – l’esprit impur (ou démon) présent dans la synagogue est le premier à reconnaître l’identité de Jésus : « Je sais qui tu es : tu es le Saint de Dieu » (i.e. l’exact opposé de l’impur). L’expression ne laisse aucun doute : dans l’Ancien Testament, elle est réservée à Dieu seul. Le démon a non seulement compris l’identité de Jésus, mais il pressent aussi sa mission : « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ?» Oui, le Fils de Dieu s’est incarné pour nous libérer du mal et d’abord de ceux qui en sont les premiers responsables, Satan et son armée. Jésus répond à la question du démon en l’interpellant vivement : « Silence ! Sors de cet homme. » Littéralement, « sois muselé », comme un chien qui aboie. Si l’esprit mauvais lui obéit, c’est parce qu’il est « l’homme fort » capable de ligoter Satan pour délivrer les hommes[ii].

Nous aussi, nous devons lutter contre le mal. Cette lutte commence par nous-même (c’est le combat spirituel) mais nous devons aussi nous entraider. Parfois, cette entraide passe par une parole de consolation pour ceux qui souffrent de désespérance. Mais elle passe aussi par le rappel de la Loi divine, celle que Moïse a transmise après sa descente du Sinaï. S’il y a avant tout des interdits dans les 10 commandements (seuls 2 sont formulés « positivement »), c’est parce qu’ils constituent des barrières pour nous empêcher de tomber dans le précipice du péché… Le rappel de la Loi est parfois lié à des circonstances très concrètes, c’est ce qu’on appelle le devoir de correction fraternelle: « Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul… » (Mt 18,15) Dans certains cas, l’entraide peut passer par l’expulsion du démon, ce qu’on appelle un exorcisme. Ce rejet du diable n’implique pas toujours une possession – cf Jésus à Pierre : « Arrière Satan » ! (Mt 16,23).

 

Ainsi, frères et sœurs, le Seigneur nous appelle à exercer une réelle autorité sur ceux qui nous sont confiés d’une façon ou d’une autre, non pour les dominer, mais pour les aider à grandir. Car nous n’aurons jamais fini de grandir : « en vivant dans la vérité de l’amour, nous grandirons pour nous élever en tout jusqu’à celui qui est la Tête, le Christ » (Ep 4,15). Pour que nous puissions exercer notre autorité sur les autres, nous devons nous-mêmes être soumis à Celui qui a autorité sur nous, le Seigneur lui-même. Pourquoi saint Paul propose-t-il aux Corinthiens le célibat (2° lect.) ? Parce que « celui qui n’est pas marié a le souci des affaires du Seigneur, il cherche comment plaire au Seigneur » ? Il ne dévalorise pas le mariage, mais il nous appelle à être « attachés au Seigneur sans partage ». Que l’on soit marié ou non, la Parole de Dieu doit avoir la première place dans nos vies, car elle nous unifie, et nous rend plus disponibles à notre prochain, d’abord à notre conjoint si nous sommes mariés. L’essentiel est d’avoir avant tout le « souci » du Seigneur (le mot revient 5 fois en quelques lignes)[iii]. Cette semaine, pourquoi ne pas lire l’évangile de saint Marc d’une traite ? Et pourquoi ne pas prendre chaque jour un temps de prière pour méditer sur la Parole de Dieu ? C’est ainsi que nous pourrons grandir, et que nous aurons plus d’autorité pour aider les autres à faire de même.

P. Arnaud

[i] A notre époque, on dirait peut-être que l’homme qui est tourmenté par cet esprit mauvais est simplement malade, schizophrénique. L’un n’empêche pas l’autre : les démons se servent parfois de nos faiblesses pour nous faire souffrir.

[ii] Jésus le dira plus tard dans une parabole qu’on retrouve dans les 3 évangiles synoptiques : « comment peut-on entrer dans la maison de l’homme fort et piller ses biens, sans avoir d’abord ligoté cet homme fort ? Alors seulement on pillera sa maison. » (Mt 12,29)

[iii] Commentaire de M.N. Thabut : Pendant des siècles, la méditation des phrases de la Genèse « Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul » (Gn 2, 18) et « Soyez féconds et prolifiques » (Gn 1,28) avait conduit à considérer que le seul état de vie normal pour le croyant était le mariage ; à tel point que les eunuques ne pouvaient ni être prêtres (Lv 21, 20), ni même entrer dans l’assemblée du Seigneur (Dt 23, 2). Et la stérilité était ressentie comme une honte et une malédiction : « Dieu a enfin enlevé mon opprobre », s’écrie Rachel en mettant au monde son premier fils (Gn 30, 23). Après l’Exil à Babylone, ce mépris pour les célibataires et les eunuques s’était estompé dans les textes bibliques. On en a la preuve dans un texte du prophète Isaïe après l’Exil à Babylone : on avait ouvert les portes des synagogues aux eunuques s’ils désiraient vraiment s’agréger à la communauté des croyants. (cf Is 56, 3-5 et Sg 3, 14). Mais l’opinion populaire est restée longtemps réticente au choix délibéré pour le célibat.