Ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux
Frères et sœurs, sommes-nous de bons prophètes ? Par notre baptême, nous sommes devenus prêtres, prophètes et rois. Le prophète, étymologiquement, est celui qui porte aux hommes la Parole de Dieu. Cette Parole peut concerner parfois l’avenir, c’est ce que le langage courant a retenu, mais elle concerne aussi et surtout le présent. Dans la synagogue de Capharnaüm, Jésus accomplit sa mission de prophète en proclamant : cette parole que vous venez d’entendre (du prophète Isaïe), « c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit » (Lc 4,21)! La mission du prophète est vitale pour les hommes puisqu’elle leur permet d’être éclairés sur la situation qu’ils vivent, soit pour les encourager lorsqu’ils sont dans la détresse, soit pour les appeler à la conversion lorsqu’ils sont dans la corruption. Parce qu’elle est vitale, cette mission est aussi difficile. Le prophète doit en effet faire face à deux adversaires : d’une part les ennemis de l’extérieur, qui refusent le message du Seigneur ; d’autre part les ennemis de l’intérieur, que nous pouvons appeler avec saint Paul les « échardes dans la chair ». Observons de plus près ces deux adversaires, et voyons comment les vaincre.
Pour commencer, le prophète peut rencontrer des ennemis autour de lui. Saint Jean les regroupe sous le terme « le monde ». Jésus dit notamment : « le monde a de la haine contre moi parce que je témoigne que ses œuvres sont mauvaises. » (Jn 7,7) La vérité dérange parfois car elle oblige à se remettre en question. C’est ce qu’ont éprouvé tous les prophètes de l’ancienne Alliance qui ont été persécutés[i]. Parmi eux, souvenons-nous de Jérémie, qui a été descendu dans une citerne. Aujourd’hui, c’est son contemporain Ézékiel qui est mis en avant[ii]. Dans le contexte troublé de l’exil à Babylone, Ezékiel doit assumer la double mission d’un prophète : appeler à la conversion, et susciter l’espérance (1° lect.). Ces deux objectifs sont difficiles, car le peuple n’est pas prêt à l’écouter. C’est un « peuple de rebelles » qui s’est « révolté » contre Dieu : « Jusqu’à ce jour, eux et leurs pères se sont soulevés contre moi, et les fils ont le visage dur, et le cœur obstiné »[iii].
L’épreuve du refus est d’autant plus forte lorsque ceux à qui on s’adresse sont des proches. C’est ce qu’a connu Jésus à Nazareth, la ville où il avait grandi. Le jour du sabbat, chaque Juif adulte (c’est-à-dire ayant fait sa bar-mitsvah) avait le droit de lire l’Écriture et de la commenter. Ce qui étonne les nombreux auditeurs, c’est la sagesse qui émane de ses paroles, et la puissance qui ressort des « grands miracles » qu’il a accomplis dans la région avoisinante. Et l’étonnement fait place non à l’admiration et à la joie, mais au mépris : « ils étaient profondément choqués à cause de lui. » Pourquoi ce rejet ? Parce qu’ils connaissent Jésus de façon trop humaine[iv], et qu’ils refusent d’élargir leur vision pour accéder à la réalité. Jésus, lui aussi, s’étonne « de leur manque de foi », qui l’empêche d’accomplir aucun miracle. Mais au lieu de passer de l’étonnement au mépris comme ses concitoyens, il choisit de faire le bien, en guérissant quelques malades.
En plus du monde, qui représente les ennemis de l’extérieur, les mystiques ont toujours évoqué 2 autres adversaires, que le prophète doit affronter également : le diable et la chair (au sens des tendances en nous qui s’opposent au Saint-Esprit). Les deux peuvent parfois être entremêlés. Dans sa lettre aux Corinthiens (2° lect.), Paul évoque ainsi une mystérieuse « écharde » dans sa chair, « un envoyé de Satan qui est là pour me gifler, pour m’empêcher de me surestimer. » Cette écharde a fait couler beaucoup d’encre, mais impossible de savoir ce qu’elle signifie[v]. Ce qui est sûr, c’est qu’elle gênait Paul dans sa mission.
Que faire, en tant que prophètes, face aux ennemis de l’extérieur et de l’intérieur ? Face aux premiers, d’abord, nous devons discerner s’il nous faut les affronter ou les éviter. Dans certains cas, nous devons faire preuve de courage. Comme le dit le Seigneur à Ezékiel : « qu’ils écoutent ou qu’ils s’y refusent, – car c’est une engeance de rebelles, – ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux. » Et Paul écrira aussi à Timothée : « proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal. » (2 Tm 4,2)[vi] Dans ces situations, nous pouvons faire confiance à cette Parole, qui est « vivante, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants. » (He 4,12) Souvenons-nous de Jonas, qui ne voulait pas accomplir sa mission auprès des Ninivites : il ne lui a fallu qu’un seul jour pour que la Parole de Dieu transforme des cœurs qui semblaient totalement endurcis et rebelles.
Dans d’autres cas cependant, il vaut mieux partir, comme Jésus le demande à ses disciples : « si les gens refusent de vous accueillir, sortez de la ville en secouant la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage.» (Lc 9,5) Secouer la poussière de ses pieds signifie laisser aux habitants leurs idoles, qui ne sont que poussière, et c’est aussi un appel à la pénitence. L’histoire démontre que les résistances rencontrées par les chrétiens ont permis à la Parole de Dieu de se répandre. Devant le rejet des Nazaréens, Jésus part pour enseigner dans « les villages d’alentour ». Au moment de la grande persécution qui suivit la lapidation d’Etienne, les disciples « se dispersèrent dans les campagnes de Judée et de Samarie, à l’exception des Apôtres. […] Ceux qui s’étaient dispersés allèrent répandre partout la Bonne Nouvelle de la Parole » (Ac 8,1.4) et c’est ainsi que furent bientôt évangélisées la Samarie puis la région d’Antioche de Syrie. Lors de la Terreur qui suivit la révolution française, puis à nouveau après la loi de séparation de l’Église et de l’État en 1905, beaucoup de congrégations religieuses durent s’exiler de France et c’est ainsi qu’elle s’implantèrent dans de nouvelles régions du monde.
Que faire contre les « échardes », i.e. les ennemis de l’intérieur ? Pour commencer, nous devons chercher à enlever ces échardes bien sûr. Et si nous n’y parvenons pas, nous devons prier le Seigneur pour qu’Il nous en délivre, comme l’a fait Paul « par trois fois ». Et si le Seigneur ne nous exauce pas ? L’apôtre nous invite à une double attitude : l’humilité d’abord car il reconnaît que l’envoyé de Satan qui le « gifle » l’empêche ainsi de se « surestimer ». L’abandon ensuite : après avoir entendu le Seigneur lui déclarer « ma grâce te suffit : ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse », Paul réagit en mettant sa fierté dans ses faiblesses et en acceptant « de grand cœur pour le Christ les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les situations angoissantes. » Et il conclut : « lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort. »[vii] Nos faiblesses peuvent en effet devenir des forces. C’est vrai sur les plans aussi bien physique que psychologique. Un aveugle peut développer son ouïe de façon étonnante. Un colérique peut devenir extrêmement doux, comme François de Sales qui lutta « doucement » mais fermement contre cette fâcheuse tendance et finit par la maîtriser si bien qu’il est surnommé « le saint de la douceur »[viii].
Ainsi, frères et sœurs, notre mission de prophètes est difficile car nous rencontrons des adversaires à l’extérieur et en nous-mêmes. Mais le Seigneur nous appelle à ne pas les craindre et à persévérer dans notre mission, en laissant agir la puissance de sa Parole dans nos faiblesses. Notre monde, qui manque de repères et où la vérité et la justice sont tellement bafouées, a plus que jamais besoin de prophètes. Cet été, mettons-nous à l’écoute de la Parole de Dieu, mettons-la en pratique et témoignons-en autour de nous, afin qu’elle transforme le monde et d’abord nous-mêmes !
P. Arnaud
[i] « Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux ! C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés. » (Mt 5,12)
[ii] Prêtre à Jérusalem sous le roi Joachim, il est emmené en captivité à Babylone en 597, avec la première vague de déportés. 10 ans plus tard, après la destruction de la ville sainte, une deuxième vague les rejoindra.
[iii] Cette expression est la même utilisée dans le livre de l’Exode pour décrire le pharaon : « son cœur s’endurcit et il ne les écouta pas. » (Ex 7,13) C’est dire la difficulté de la mission.
[iv] « D’où cela lui vient-il ? […] N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ?»
[v] Quelle était cette écharde pour Paul ? « Les exégètes et historiens ont tout imaginé : tentations continuelles, adversaires tenaces, maladies chroniques (telles que des problèmes d’yeux, la malaria, des migraines ou des crises d’épilepsie), un problème d’élocution (cf. Moïse qui était bègue et a dû demander à Dieu d’être secondé par Aaron) etc. Le mot écharde employé en grec (σκόλοψ= skolops) par Paul est unique dans toute la Bible (c’est un hapax). Impossible donc de le comparer à d’autres usages bibliques pour deviner ce que cela pourrait bien être. En fait nous ne savons pas ce à quoi Paul fait allusion. Lui-même ne veut pas le dire explicitement aux corinthiens. Peut-être en a-t-il honte ? Peut-être cela est-il connu des communautés chrétiennes ? » (http://lhomeliedudimanche.unblog.fr)
[vi] « Proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal, fais des reproches, encourage, mais avec une grande patience et avec le souci d’instruire. » (2 Tm 4,2)
[vii] « Notre nature est ainsi faite : il faut que nous entrions, tôt ou tard, dans le monde de la faiblesse. Fragiles nous naissons ; fragiles nous mourons. Il serait vain de vouloir atténuer cette réalité éminemment humaine. Il existe une fragilité originelle dont on ne guérit pas. Jusqu’au bout, nous vivons avec elle. Du haut de mes 90 ans, j’en fais l’expérience quotidienne. Je peux témoigner qu’il arrive un âge où l’on se sent de plus en plus diminué. Mais je vais te faire une confidence : ce temps n’est pas plus triste qu’un autre, car c’est celui de la rencontre. Nous comprenons que nous avons besoin des autres. Nous découvrons la valeur et la beauté de leur présence. Le véritable miracle, à tout âge, c’est d’accepter ce que l’on est. La guérison, c’est d’être pleinement soi, aujourd’hui. Je prie pour que tu puisses reconnaître tous ces petits miracles du quotidien, qui donnent à nos fragilités leur poids de bonheur. » Jean Vanier dans une tribune parue dans Panorama, en mai 2018.
[viii] Quel a été le secret de sa victoire ? – Tout simplement sa volonté d’imiter Jésus, son Maître et Seigneur, « doux et humble de cœur ».
« Il est mieux de la repousser vitement que de vouloir marchander avec elle ; car pour peu qu’on lui donne de loisir, elle se rend maîtresse de la place et fait comme le serpent, qui tire aisément tout son corps où il peut mettre la tête. Mais comment la repousserai-je, me direz-vous ? Il faut, qu’au premier ressentiment que vous en aurez, vous ramassiez promptement vos forces, non point brusquement ni impétueusement, mais doucement et néanmoins sérieusement; […] aussi il arrive maintes fois que voulant avec impétuosité réprimer notre colère, nous excitons plus de trouble en notre cœur qu’elle n’avait pas fait, et le cœur étant ainsi troublé ne peut plus être maître de soi-même. »
Et si la colère m’emporte ?
« […] Il faut invoquer le secours de Dieu quand nous nous voyons agités de colère, à l’imitation des Apôtres tourmentés du vent et de l’orage sur les eaux; car il commandera à nos passions qu’elles cessent, et la tranquillité se fera grande. Mais toujours je vous avertis que la prière qui se fait contre la colère présente et pressante doit être pratiquée doucement, tranquillement, et non point violemment; ce qu’il faut observer en tous les remèdes qu’on use contre ce mal. Avec cela, dès que vous vous apercevrez avoir fait quelque acte de colère, réparez la faute par un acte de douceur, exercé promptement à l’endroit de la même personne contre laquelle vous vous serez irritée. »
Avoir de la douceur en réserve et la pratiquer en toutes occasions…
« Au surplus, lorsque vous êtes en tranquillité et sans aucun sujet de colère, faites grande provision de douceur et débonnaireté, disant toutes vos paroles et faisant toutes vos actions petites et grandes en la plus douce façon qu’il vous sera possible […] Aussi ne faut-il pas seulement avoir la parole douce à l’endroit du prochain, mais encore toute la poitrine, c’est-à-dire tout l’intérieur de notre âme. Et ne faut pas seulement avoir la suavité de la conversation civile avec les étrangers, mais aussi la douceur entre les domestiques et proches voisins : en quoi manquent grandement ceux qui en rue semblent des anges, et en la maison, des diables. » (http://www.visitation-tarascon.com)