La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle

Frères et sœurs, que faisons-nous de la vigne du Seigneur ? La saison des vendanges a commencé il y a quelques semaines. La vigne demande à ses propriétaires beaucoup de soins pendant toute l’année : avant d’obtenir du bon vin, il faut retourner la terre, retirer les pierres, choisir un plant de qualité, planter, protéger par une clôture, bâtir une tour de garde, creuser un pressoir… Puis, au moment favorable, il faut vendanger : s’il est trop tôt, le raisin sera amer ; s’il est trop tard, il sera pourri. Mais si le moment est bien choisi, on obtient un vin de qualité, avec lequel on peut célébrer des temps de joie avec ceux qu’on aime… La vigne est une image de ce que le Seigneur nous a donné, d’abord la Création, ensuite la Rédemption à travers sa Parole. D’abord, Il a créé le monde en six jours, et Il nous a demandé de continuer son œuvre (Il n’est pas un Maître « paternaliste »). Mais après le premier péché, qui était notre première tentative de nous approprier son héritage, Il ne nous a pas condamnés, Il nous a envoyés d’abord ses serviteurs les prophètes. Mais tous, ils ont été rejetés. A juste titre, Il pouvait dire par le prophète Isaïe : « Pouvais-je faire pour ma vigne plus que je n’ai fait ? J’attendais de beaux raisins, pourquoi en a-t-elle donné de mauvais ? Eh bien, je vais vous apprendre ce que je ferai de ma vigne : enlever sa clôture pour qu’elle soit dévorée par les animaux… » (1° lect.) Le Seigneur a « puni » son peuple (songeons en particulier à l’exil) non par vengeance mais pour le rendre humble et le préparer à accueillir son Fils[i], qu’Il a finalement envoyé. Mais lui-même a été tué « en dehors de la vigne » (comme Jésus en dehors de la Ville), avec ces paroles qui reflètent bien la folie des hommes : « Voici l’héritier : venez ! tuons-le, nous aurons son héritage ». Les hommes ont été fous de méchanceté, alors que Dieu avait été fou d’Amour[ii]. Mais cet Amour est aussi tout-puissant, et « la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre angulaire[iii]. » L’héritier est toujours vivant, et il nous appelle sans cesse à nous convertir pour produire de bons fruits à remettre à notre Maître, qui est d’abord notre Père. Quels sont ces fruits ? Le premier provient de la Création, et le second de la Rédemption qui s’accomplit à travers sa Parole. Demandons-nous maintenant si nous produisons bien ces deux fruits.

 

Pour commencer, que faisons-nous de la Création ? Elle est le premier don que nous recevons de Dieu, mais elle est aussi une responsabilité. A la fin du sixième jour, Il nous a invités à nous associer à son œuvre créatrice : « remplissez la terre et soumettez-la.» (Gn 1,28) Cette invitation, qu’on trouve dans le premier chapitre de la Genèse, est explicitée dans le deuxième : d’abord, il est écrit que « le Seigneur Dieu prit l’homme et le conduisit dans le jardin de l’Éden pour qu’il le travaille et le garde. » (Gn 2,15). Notre première responsabilité est donc de travailler et garder la terre.

Malheureusement, l’homme a cédé à la tentation de prendre la place du Créateur : « vous serez comme des dieux» (Gn 3,5). Il a voulu s’approprier non seulement les fruits de la vigne (par une surconsommation phénoménale), mais aussi l’héritage, c’est-à-dire la vigne tout entière (en niant l’existence du Créateur et en voulant le devenir lui-même : cf la PMA et tous les efforts eugénistes). Comme les catastrophes naturelles nous le rappellent sans cesse (notamment les inondations dans le Sud ces derniers jours), il a progressivement détruit son environnement mais de plus en plus, il menace son humanité même. L’homme, créé le 6ème jour, est intimement uni à la création. Dans Laudato Si, le pape François évoque souvent « l’écologie intégrale », qui englobe notre humanité.

La beauté de notre terre est le premier signe de l’existence de Dieu, nous ne pouvons pas laisser ternir ce signe[iv]. Dans son célèbre cantique, saint François d’Assise, dont nous célébrons la fête aujourd’hui, loue les créatures comme ses frères et ses sœurs : le soleil, la lune, le vent, l’eau… Il respectait tellement chaque créature qu’il prêchait même aux oiseaux ! Mais il prenait aussi soin des pauvres, en qui il reconnaissait la présence du Seigneur lui-même  (cf Mt 25,31-46). Nous devons prendre soin les uns des autres, des corps mais aussi des âmes (cf Mt 18,15 s.)[v].

Prendre soin de la vigne, c’est prendre soin de la nature, de mon frère ou de ma sœur en humanité, mais aussi de moi-même. Dans son dernier discours, Jésus a dit : « Moi, je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi, mais qui ne porte pas de fruit, mon Père l’enlève ; tout sarment qui porte du fruit, il le purifie en le taillant, pour qu’il en porte davantage » (Jn 15,1-2). Le péché détruit l’homme, la grâce le « répare ». Quel est ce fruit que nous sommes appelés à porter ? St Paul nous répond : « le fruit de l’Esprit est amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi.» (Ga 5,22‑23) Se convertir, c’est se laisser tailler par le Seigneur pour produire ces fruits savoureux. Parmi eux, en ces temps d’inquiétude multiforme, la paix est particulièrement précieuse : « ne soyez inquiets de rien, mais, en toute circonstance, priez et suppliez, tout en rendant grâce, pour faire connaître à Dieu vos demandes. Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut concevoir, gardera vos cœurs et vos pensées dans le Christ Jésus » (2° lect.).

 

En second lieu, que faisons-nous de la Parole de Dieu ? En tant que croyants, juifs ou chrétiens, nous devons également en prendre soin. Le Christ a dit à ses disciples : « A qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage. » (Lc 12,48) Tout comme nous pouvons ne pas prendre bien soin de la création et refuser d’en remettre les fruits au Fils de Dieu présent dans les pauvres, nous pouvons ne pas prendre bien soin de l’Évangile et refuser de le partager avec ceux qui sont pauvres de Dieu. Ne pas prendre bien soin de l’Évangile, c’est le laisser en friche dans nos intelligences et nos cœurs (la parabole du semeur, que nous avons réentendue cet été, nous a rappelés que la Parole de Dieu peut ne pas porter de fruit, si elle n’est pas accueillie par un cœur attentif (cf Mt 13,1-23).

Mais pour remettre au Seigneur les fruits de la vigne, il ne suffit pas d’accueillir en nous la Parole et de lui en rendre grâce, il faut aussi la partager avec les autres. Jésus a dit à ses disciples : «vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement. » (Mt 10,8) Et avant de retourner vers son Père, il les a envoyés: « Allez dans le monde entier. Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création. » (Mc 16,15) Cultivons-nous l’esprit missionnaire ? Saisissons-nous les occasions qui nous sont offertes pour partager notre Foi avec ceux que nous rencontrons ?

 

Ainsi, frères et sœurs, admirons la générosité de Dieu (qui nous a donné la Création et sa Parole), sa patience, sa pédagogie… Il nous appelle à prendre soin de sa vigne et à lui en remettre les fruits, en prenant soin aussi  bien de notre Terre que de sa Parole. Notre société consumériste et déchristianisée tend à détruire son environnement et à vivre sans Dieu. Mais ne perdons pas l’Espérance : « la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre angulaire. » Rien ne peut contrecarrer le dessein de Dieu. La vente de Joseph par ses frères a permis le salut de leur peuple affamé (Gn 39-45). Le triple reniement de Pierre a préparé sa triple confession de foi (Jn 21).  Alors, avec tous les hommes de bonne volonté, faisons fructifier la Création. Et avec nos frères Juifs, faisons fructifier la Parole de Dieu. C’est ainsi que sur la pierre angulaire, nous bâtirons l’Eglise, la Cité sainte.

P. Arnaud

[i] « La vigne que tu as prise à l’Égypte, tu la replantes en chassant des nations. Elle étendait ses sarments jusqu’à la mer, et ses rejets, jusqu’au Fleuve. Pourquoi as-tu percé sa clôture ? Tous les passants y grappillent en chemin ; le sanglier des forêts la ravage et les bêtes des champs la broutent. Dieu de l’univers, reviens ! Du haut des cieux, regarde et vois : visite cette vigne, protège-la, celle qu’a plantée ta main puissante » (ps).

[ii] Certes, la parabole de Jésus s’adressait aux chefs des prêtres et aux pharisiens, et à travers eux avant tout au peuple juif ; c’est à lui que les premiers serviteurs, les prophètes, avaient été envoyés. Cependant, elle nous concerne également, car s’il est vrai que certains parmi ce peuple ont mis à mort le Fils de Dieu en le menant en dehors de la ville (comme le fils de la parabole qui est jeté hors de la vigne), d’autres parmi les chrétiens n’ont pas été en reste pour le recrucifier à leur manière depuis 2000 ans. N’est-ce pas notre cas, lorsque nous péchons ? Aussi, posons-nous aujourd’hui deux questions : d’abord, que faisons-nous de la création ? ensuite, que faisons-nous de la Bonne Nouvelle ?

[iii] Cet extrait du psaume 118 (v.22) est la parole de l’Ancien Testament la plus répandue dans le Nouveau. Les auteurs de celui-ci ont relu ces versets dans un sens christologique (en plus des passages parallèles à celui de Matthieu : Mc 12,10-11 et Lc 20,17, ce texte est cité en Ac 411 et 1P 2,4)

[iv] « Depuis la création du monde, les hommes, avec leur intelligence, peuvent voir, à travers les œuvres de Dieu, ce qui est invisible : sa puissance éternelle et sa divinité. » (Rm 1,20-21)

[v] « Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul… » (23° dim TO)