Soyons fous !

Frères et sœurs, sommes-nous des sages ? La sagesse est un art de vivre qui permet de trouver le bonheur. Elle comporte plusieurs niveaux. Le premier, simplement humain, se trouve dans toutes les civilisations (par exemple à travers les proverbes, les contes…) Le deuxième, biblique, se trouve d’abord dans l’Ancien Testament, et repose sur deux certitudes. La première : Dieu est le seul Sage, le seul Maître du bonheur. Quant à nous, même si nous pensons être de grands sages, « nos réflexions sont incertaines, et nos pensées, instables » (1° lect.). La seconde : Dieu ne garde pas le secret du bonheur pour Lui seul, Il nous le communique : « qui aurait connu ta volonté, si tu n’avais pas donné la Sagesse et envoyé d’en haut ton Esprit Saint ? » (1° lect.) Le troisième niveau de la sagesse nous mène plus haut encore, jusqu’au Christ. C’est ici que nous parvenons à un paradoxe : la sagesse de Dieu semble une folie aux yeux des hommes, alors qu’en réalité « ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes » (1Co 1,25). N’est-ce pas d’ailleurs le reproche que la famille même de Jésus lui a fait, un jour : « elle vint pour se saisir de lui, car ils affirmaient : “Il a perdu la tête.” » (Mc 3,21) ? Lorsqu’on apprend les conditions que le Christ nous enseigne aujourd’hui pour devenir ses disciples, on peut effectivement considérer qu’il faut être fou pour les accepter, tant elles sont radicales et exigeantes : le préférer à tous ses proches et à sa propre vie, porter sa croix, et renoncer à tous nos biens. Les avons-nous acceptées nous-mêmes ? Le Christ nous avertit : la vraie folie, ce serait de vouloir être son disciple sans avoir accepté toutes ces conditions, ce serait aussi fou que de vouloir bâtir une tour sans avoir d’abord calculé la dépense et vérifié que nous possédons assez, ou de partir en guerre contre un ennemi sans avoir assez de soldats. Alors, avant de décider pour nous-mêmes s’il est sage d’être de véritables disciples du Christ, méditons sur chacune des conditions qu’il a posées.

 

« Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. » Aucun être humain ne peut combler notre soif d’absolu. Nous pouvons aimer de tout notre cœur nos parents, notre conjoint, nos enfants, nos frères et sœurs, mais nous ne pouvons pas les adorer. Eux-mêmes ont été créés par Dieu, et sont appelés à retourner à Dieu. Les adorer, les placer sur un piédestal, répondre à tous leurs caprices, ce serait les aimer mal, en leur faisant porter un poids qu’ils sont incapables de porter. Bien les aimer, c’est les aimer à la lumière de Dieu, en les aidant à accomplir leur vocation, ce à quoi le Seigneur les appelle. L’amour peut être étouffant, par exemple lorsque les parents projettent un avenir pour leur enfant qui est leur rêve et non le sien, ou lorsqu’un couple s’enferme sur lui-même en refusant l’ouverture aux autres.

De même que nous pouvons mal aimer mes proches, nous pouvons mal nous aimer nous-mêmes. Le Christ nous appelle à le préférer à notre propre vie, parce qu’il sait mieux que nous ce dont nous avons besoin et ce qui va nous faire grandir. Plutôt que de nous enfermer dans nos projets étriqués, il nous appelle à lui faire confiance, même si nous ne saisissons pas immédiatement le sens et la portée de ses appels. Mère Térésa (que nous fêterons demain) aimait sa vie de religieuse enseignante. Cependant, elle a préféré le Christ à sa propre vie, acceptant de tout quitter pour partir dans les rues de Calcutta avec sa Foi pour seule richesse et seule sécurité.

 

« Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher derrière moi ne peut pas être mon disciple. »

La croix fait peur, c’est naturel. Au départ, elle est un instrument de supplice. Mais n’oublions pas que le Seigneur en a fait le signe de son Amour infini, et qu’il ne nous tente jamais au-delà de nos forces ;  avec la tentation, il nous donne le moyen d’en sortir et la force de la supporter (1 Co 10,13). Lui-même porte nos croix avec nous. L’important est donc, non pas de choisir nous-mêmes nos croix (ce serait du masochisme et de l’orgueil), mais de recevoir celles que la vie nous envoie, confiants en la présence du Seigneur qui les porte avec nous.

Mère Teresa, après avoir commencé sa vie auprès des pauvres de Calcutta, a voulu leur ressembler le plus possible en mangeant très peu. Un jour où elle était partie à jeun, elle s’est sentie mal et s’est évanouie. Elle a compris ensuite que sa décision ne venait pas de Dieu, et elle s’est mise à prendre un solide petit-déjeuner avant de partir dans les rues.

 

« De même, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tous ses biens ne peut pas être mon disciple. »

La troisième exigence du Christ, après le préférer à quiconque et porter ma croix à sa suite, est donc de renoncer à tous nos biens. Là encore, cette demande est libératrice. Comme le dit un proverbe, les biens sont de bons serviteurs, mais de mauvais maîtres. Pourquoi vient-elle seulement en dernier ? Peut-être parce que pour certains, il est plus facile de renoncer à ses liens (affectifs), et peut-être même à sa vie, qu’à ses biens. Ainsi, le jeune homme riche avait sans doute accepté de quitter les siens mais, lorsque Jésus lui a proposé de renoncer à ses biens pour le suivre, il s’est éloigné tout triste… Au contraire, les apôtres ont accepté de quitter leurs filets et tous leurs biens, et ils ont mené une vie extraordinairement passionnante.

Dans sa lettre à Philémon, Paul lui demande de renoncer à un bien à la fois précieux et commun à l’époque : son esclave, Onésime, qu’il a enfanté à la vie divine dans sa prison. Demande très exigeante quand on sait qu’Onésime s’était enfui de chez son maître, avant de faire la connaissance de Paul et de la foi chrétienne… Il est demandé à Philémon, non seulement de lui pardonner, mais même de l’accueillir « non plus comme un esclave, mais, bien mieux qu’un esclave, comme un frère bien-aimé » (2° lect.)!

 

Ainsi, frères et sœurs, le Christ nous appelle à le préférer à quiconque, à porter notre croix en marchant à sa suite, et à renoncer à tous nos biens. Seuls ceux qui acceptent ces exigences sont vraiment ses disciples, et vraiment sages. Mais ceux-là savent qu’ils ne le sont jamais totalement, et que c’est chaque jour qu’ils doivent à nouveau préférer le Christ à leurs proches, à leur propre vie et à tous leurs biens, et prendre les croix qui se présentent sur leur chemin de l’Amour.  Il est naturel de s’attacher, mais nous ne devons jamais devenir esclaves. « Qu’importe que l’oiseau soit retenu par un fil léger ou une corde? Le fil qui le retient a beau être léger, l’oiseau y reste attaché comme à la corde, et, tant qu’il ne l’aura pas rompu, il ne pourra pas voler » (S. Jean de la Croix)… Les disciples sages, que peuvent-ils espérer ? Dans un autre évangile, Jésus déclare aux apôtres que «  personne n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre, sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle. » (Mc 10,29‑30). Même si nous ne quittons pas tous nos biens comme les apôtres, frères et sœurs, soyons des sages, préférons le Christ à TOUT et il nous donnera de goûter un bonheur toujours plus grand. AMEN.

P. Arnaud