Préparons le chemin du Seigneur !

Frères et sœurs, vivons-nous dans l’Espérance ? En ce temps troublés à la fois pour l’Eglise et pour la société, nous pourrions être tentés de baisser la tête, accablés par le désespoir. Mais le Seigneur nous invite au contraire à nous redresser et relever la tête, car notre rédemption approche (év. dimanche dernier). Les signes apocalyptiques que Jésus a annoncés, ils ont toujours existé. Déjà avant sa venue, Israël a traversé des épreuves très lourdes, mais le Seigneur ne l’a jamais abandonné. Au temps de l’exil en particulier, alors que le peuple est loin de Jérusalem, sans roi et sans Temple, les prophètes Isaïe puis Baruch annoncent l’intervention prochaine du Seigneur : « Dieu a décidé que les hautes montagnes et les collines éternelles seraient abaissées, et que les vallées seraient comblées » (1° lect .), et c’est bien ce qui est arrivé avec le roi perse Cyrus. Des siècles plus tard, un 3ème prophète reprend la même promesse : Jean Baptiste, parce que Dieu est intervenu dans sa vie (la parole de Dieu lui fut adressée dans le désert[i]), appelle à l’Espérance les Israélites qui souffrent de la domination romaine : « Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; les passages tortueux deviendront droits … et tout être vivant verra le salut de Dieu. » La promesse de Dieu ne concerne pas seulement Israël, mais tous les hommes et même toutes les créatures car tous sont confrontés aux difficultés de la vie. L’évocation de la date (l’an quinze du règne de l’empereur Tibère) et des autres autorités de l’époque (Ponce Pilate, Hérode…) signifie que Dieu intervient dans notre histoire. Il l’a fait il y a 2000 ans, II le refera à la fin des temps, et Il le fait chaque jour. Mais pour que nous puissions accueillir le salut qu’Il vient à chaque fois nous offrir, nous devons nous convertir. C’est pourquoi  Jean proclamait « un baptême de conversion pour le pardon des péchés, comme il est écrit dans le livre des oracles d’Isaïe, le prophète : Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers ». Le baptême de Jean ne produit pas la rencontre avec le Seigneur et le salut, mais il y prépare. Nous-mêmes ne devons pas recevoir le baptême de Jean, mais nous devons sans cesse reconnaître nos péchés afin de rencontrer celui qui vient à nous dans l’Esprit, le Christ sauveur. Que produit cette rencontre ? Cherchons à interpréter les paroles des prophètes sur un plan spirituel, comme 3 invitations à l’Espérance.

 

« Tout ravin sera comblé ». Les ravins, ce sont toutes nos misères, pas seulement matérielles, mais aussi physiques, psychologiques et spirituelles. Elles peuvent nous pousser à désespérer. Selon saint Thomas d’Aquin, c’est le plus grave de tous les péchés. En effet, d’une part, il ne s’oppose pas à une vertu seulement humaine, mais théologale, comme l’infidélité s’oppose à la foi et la haine s’oppose à l’amour. D’autre part, « le désespoir est plus périlleux, car c’est par l’espérance que nous nous détournons du mal et que nous commençons à rechercher le bien. C’est pourquoi, lorsque l’espérance a disparu, les hommes, sans aucun frein, se laissent aller aux vices et abandonnent tout effort vertueux […] Et Saint Isidore déclare: ‘’Commettre un crime c’est la mort de l’âme; mais désespérer, c’est descendre en enfer’’ » (II-II, q.20, art.3).

Un exemple très parlant de désespoir est celui de Judas. Judas n’a pas commis un péché plus grave que Pierre. Le premier a trahi, le second a renié. Mais alors que Pierre a cru en la miséricorde de Dieu et a su accueillir son pardon, Judas a mis fin à son existence. Pierre s’est relevé de sa chute, alors que Judas est resté à terre. Sainte Thérèse d’Avila écrivait très justement : « La sainteté, ce n’est pas de ne jamais tomber, mais de toujours se relever ». Plus on est saint, plus on est humble, et plus vite on se relève, car on ne s’appuie pas d’abord sur ses propres forces, mais sur celles du Seigneur.

 

« Toute montagne et toute colline seront abaissées ». Les montagnes et les collines symbolisent nos présomptions. A l’autre extrême du désespoir, l’orgueil tue en nous l’Espérance. Il est de deux sortes, qui se réfèrent toutes deux à un objectif qui nous dépasse : la première nous fait croire que nous pouvons atteindre cet objectif par nos propres forces seulement ; la seconde nous fait croire que Dieu va nous donner d’atteindre l’objectif parce que nous le méritons. Dans les deux cas, l’orgueil et la présomption sont liés à un manque d’humilité et de crainte de Dieu.

Dans les évangiles, ils sont illustrés par les Pharisiens, qui croient qu’ils se sauvent eux-mêmes par leur observation minutieuse de tous les commandements de la Loi. Dans la parabole du Pharisien et du Publicain, Jésus déclare que c’est le second qui repart justifié du temple, parce qu’il a prié avec humilité, contrairement au premier.

 

« Les passages tortueux deviendront droits, les routes déformées seront aplanies ». Les passages tortueux et les routes déformées représentent nos vices, qui tuent eux aussi l’Espérance. Les sept péchés capitaux sont en fait des vices, c’est-à-dire des habitudes mauvaises dont découlent les péchés (le mot capital vient de caput, tête en latin). En plus de l’orgueil qu’on vient d’évoquer, on distingue  l’acédie (ou paresse spirituelle), la gourmandise, la luxure, l’avarice, la colère et l’envie. Marie Madeleine a été libérée de sept démons (Lc 8,2), qui représentent sans doute ces sept péchés capitaux. Ils vont souvent ensemble, car ils se développent dès lors que l’on s’éloigne de Dieu, comme de mauvaises herbes lorsqu’on s’éloigne de la lumière.

Nos contemporains, bien que beaucoup aient rejeté l’Eglise, ont soif de justice. Les multiples « affaires » qui éclatent le manifestent. Il y a peu, on préférait ne pas voir ce qui était immoral, obéissant à la loi de l’omerta, et la plupart des victimes n’osaient même pas s’exprimer. Aujourd’hui, grâce au courage des « prophètes » qui ont osé crier contre les injustices, au prix parfois non de leur tête comme Jean Baptiste, mais de leur réputation ou de leur carrière, on fait la vérité sur le mal. Continuons dans ce sens, mais sans devenir des chasseurs de sorcières.

 

Ainsi, frères et sœurs, le Seigneur nous invite aujourd’hui à plus d’Espérance. Pour cela, nous devons nous convertir, c’est-à-dire préparer sa route dans nos cœurs. Il est venu, il reviendra, il vient sans cesse, mais sommes-nous prêts à l’accueillir, et même à aller à sa rencontre, comme Zachée qui est « vite » descendu de son arbre et a reçu Jésus chez lui « avec joie » (Lc 19,1-10)? Cette semaine, allons recevoir le sacrement de réconciliation. Et pour que ce sacrement porte du fruit, préparons-le avec un bon examen de conscience, à la lumière des paroles du prophète Isaïe. Quand ai-je désespéré et baissé les bras à la vue de mes misères et de celles des autres ? Quand ai-je fait preuve d’orgueil, me fiant à mes propres forces seulement ou croyant mériter le secours de Dieu ? Quand ai-je commis un des autres péchés capitaux ? Cet examen de conscience ne doit pas m’accabler, mais au contraire me préparer à renaître. Ce temps de l’Avent n’est pas destiné seulement à faire mémoire de la naissance du Sauveur il y a 2000 ans, ce que nous ferons uniquement le 25 décembre, mais aussi et surtout à le faire naître en nous chaque jour un peu plus. Plus nous creuserons en nous le désir de Dieu, plus Il pourra nous combler. Aussi, prions le Saint Esprit, dont Jean Baptiste a annoncé la venue après son appel à la conversion. Devant la tentation du désespoir, qu’il renouvelle en nous le don de force. Devant la tentation de l’orgueil, qu’il renouvelle en nous le don de crainte. Devant la tentation des 6 autres péchés capitaux, qu’il renouvelle en nous ses 6 autres dons. Alors, nous pourrons accueillir dignement celui qui vient sans cesse pour nous sauver. AMEN.

P. Arnaud

[i] Notons le contraste entre Jean, fils de Zacharie, un simple prêtre, et tous les grands de ce monde qui ont été cités juste avant.