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Homélie – 5ème Dimanche de Carême (année C)
Frères et sœurs,
Dans cet épisode célèbre de la femme adultère, les commentateurs mentionnent toujours que seule la femme est accusée, prête à être lapidée. Celui avec qui elle a été surprise est absent… alors qu’il devrait lui aussi être soumis à cette même sanction. Souvent, on dit alors simplement que c’est une preuve que les scribes et pharisiens veulent seulement piéger Jésus. Mais cela peut nous faire réfléchir sur l’adultère dans la Bible. Certes, l’adultère désigne en premier lieu le fait d’avoir des relations extraconjugales. Mais c’est aussi une image souvent utilisée pour caractériser l’idolâtrie, c’est-à-dire le fait de se détourner du seul vrai Dieu pour adorer ce qui n’est pas lui… et qui sont donc des idoles. Alors aujourd’hui, je voudrai souligner deux risques d’idolâtries dévoilés par les textes, et en proposer un remède commun aux deux.
Tout d’abord, nous courons tous le risque d’idolâtrer le passé, en lui accordant une importance démesurée, soit en le valorisant outre mesure, soit en nous laissant enchaîner par celui-ci. La première lecture nous met en garde contre cette tentation d’idéalisation du passé, parce qu’elle peut rendre incapable de vivre le présent correctement. Isaïe nous dit ainsi : Ne songez plus aux choses d’autrefois. Voici que je fais une chose nouvelle. Il ne s’agit pas de faire table rase du passé – d’ailleurs, Isaïe lui-même rappelle les merveilles que Dieu a accompli pour son peuple – mais de ne pas s’y cantonner. Il s’agit d’être capable de voir la nouveauté de Dieu, à l’œuvre aujourd’hui. Si Saint Paul nous dit oubliant ce qui est en arrière, je vais vers l’avant, je cours vers le but ; ce n’est pas pour nous dire que le passé ne compte pas, mais pour ne pas se laisser ralentir par lui alors que le meilleur est non seulement à venir mais est déjà en parti présent aujourd’hui. Pour le dire avec les mots du pape François : Nous courons le risque de prendre Jésus-Christ seulement comme un bon exemple du passé, comme un souvenir, comme quelqu’un qui nous a sauvés il y a deux mille ans. Cela ne nous servirait à rien, cela nous laisserait identiques, cela ne nous libèrerait pas.
C’est là une première idolâtrie, celle du passé. Elle fonctionne aussi en sens inverse, quand on se laisse écraser par le poids des fautes passées. Dans l’Evangile du jour, c’est bien ainsi qu’il faut comprendre cette adresse de Jésus à la femme adultère : Va, et désormais ne pèche plus. Autrement dit : va de l’avant, continue à avancer, sans reproduire les égarements du passé. Chers catéchumènes, cela doit résonner particulièrement pour vous : par votre baptême la nuit de Pâques, vous commencerez une vie tout à fait nouvelle… Libérés, délivrés, du poids de vos fautes passées.
Mais les textes dénoncent une seconde idolâtrie : celle de la Loi. Elle est à l’œuvre chez ces scribes et ces pharisiens. Ils amènent la femme adultère à Jésus pour le mettre face à un choix cornélien. Soit Jésus confirme la Loi, et annule alors tout son enseignement sur la miséricorde de Dieu. Soit il se prononce contre la Loi – et ainsi, il pourra être condamné. Les scribes et les pharisiens n’ont pas pu envisager que Jésus puisse se sortir de cette impasse autrement. Or, voici qu’il se débrouille pour leur faire découvrir le vrai visage du Dieu de miséricorde. Il retourne la situation, en interrogeant à mots couverts les pharisiens : n’êtes-vous pas ici en train de commettre un adultère vous aussi, puisque vous troquer le Dieu de miséricorde, révélé dans l’Ecriture, pour la Loi ? Ne placez-vous pas la Loi au-dessus de Dieu ? Comment alors pouvez-vous prier sincèrement ce Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère et plein d’amour ?
Reconnaissons-le, nous pouvons toujours avoir cette tendance à idolâtrer la Loi, à fonctionner dans un système d’obligations et d’interdictions qui en oublie l’attachement à la personne même du Christ. A raisonner en « tu dois » et non en « qu’est-ce qu’il est bon que je fasse ? ».
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Entendons alors cette invitation de Jésus à passer de la Loi à la miséricorde. Mais comprenons-nous bien : cela ne veut pas dire taire la vérité. Jésus dit bien à la femme adultère de ne plus pécher, nommant ainsi sa faute passée. Chers catéchumènes, par votre baptême, vous vivrez de cette pleine liberté des enfants de Dieu… Une liberté certes éclairée par les commandements, mais une liberté responsable, avant tout éclairée par l’Esprit. Ne laissez pas l’idolâtrie de la Loi se substituer à elle !
Voici donc deux risques d’idolâtrie : celle du passé et celle de la Loi. Je vous avais promis un remède, le voici : l’eucharistie. La participation à la messe nous sauve de l’idolâtrie du passé en nous remettant dans un juste rapport au temps. En liturgie, on dit qu’elle est un mémorial : non pas un acte qui se réduit à faire mémoire du passé, mais une action qui célèbre passé, présent et avenir. Dieu a agi dans le passé et nous en rappelons ses merveilles, ce qui provoque en nous une action de grâce et ravive notre foi. Dieu agit pleinement aujourd’hui dans le Christ : les mystères du Christ s’accomplissent pour l’Eglise et pour chacun de nous. Et Dieu réalise déjà parmi nous le Royaume des cieux dont nous attendons la venue dans la foi. Cela nous oriente vers le futur. C’est ce que nous vivons à chaque eucharistie.
Mais l’eucharistie nous sauve aussi de l’idolâtrie de la Loi : elle nous recentre sur le Dieu de miséricorde. Tout au long de la messe, nous ne cessons de demander à Dieu de prendre pitié de nous, nous nous reconnaissons pécheurs et demandons son pardon, et nous accueillons le Christ qui se donne pour autant pleinement à nous. Nous célébrons le Dieu d’amour, ce Dieu qui s’est fait homme et qui donne sa vie pour nous sauver, et non le Dieu qui nous condamne. Et non seulement nous le célébrons, mais nous l’accueillons, et nous laissons transformer par lui, pour devenir à notre tour reflet de sa miséricorde.
Que cette eucharistie nous préserve de l’idolâtrie du passé et de celle de la Loi, en nous recentrant sur le seul vrai Dieu !