La paix soit avec vous !

« Heureux les artisans de paix. » (Mt 5,9) Goûtons-nous cette béatitude, frères et sœurs ? Sommes-nous réellement des artisans de cette paix à laquelle tous les hommes aspirent ? Les nombreuses guerres actuelles nous en rappellent cruellement la valeur inestimable. Elle est si précieuse que c’est le premier souhait que beaucoup formulent en rencontrant une personne : « shalom » en hébreu, « salam » en arabe… et que les évêques formulent à l’assemblée au début d’une célébration : « la paix soit avec vous ». Ce sont les premiers mots que le pape Léon XIV a prononcés après son élection : « Que la paix soit avec vous tous ! C’est la paix du Christ ressuscité, une paix désarmée et désarmante, humble et persévérante. » C’est aussi le premier don que le Seigneur Jésus demande aux 72 d’offrir à ceux vers lesquels ils partent en mission : « Dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : ‘Paix à cette maison.’ » Le chiffre 72, qui représente l’universalité (la terre compta 72 nations issues de Noé), suggère que tous les baptisés sont appelés à être artisans de paix… Mais pour y parvenir, nous devons être en paix en nous-mêmes. « Commence en toi-même l’œuvre de paix, afin que, pacifié, tu puisses apporter la paix aux autres » écrivait saint Ambroise. La paix n’est pas seulement une absence de guerre, elle est une plénitude impossible à obtenir par nos propres forces. La paix avec Dieu, avec son prochain et avec soi-même forme un tout. Voilà pourquoi elle est avant tout un don de Dieu, le 3ème fruit de l’Esprit Saint qui accompagne la charité et la joie. Sans cesse, le Seigneur veut nous l’offrir : « Voici que je dirige vers elle la paix comme un fleuve » dit-il au prophète Isaïe à propos de Jérusalem (1° lect.) « La paix soit avec vous » répète Jésus à ses disciples pleins de peurs et de doutes après sa résurrection. « Paix et miséricorde » souhaite saint Paul aux Galates à qui il écrit (2° lect.) Et nous-mêmes, lors de chaque eucharistie, nous nous donnons la paix du Christ par un geste, à l’invitation du célébrant. Alors, si la paix est un don de Dieu à accueillir et à transmettre, pourquoi ne la goûtons-nous pas toujours, et sommes-nous parfois artisans de guerres ? Parce que la paix ne peut demeurer en nous qu’à certaines conditions, notamment celles que Jésus a énumérées au moment de l’envoi en mission, et qui renvoient aux 3 vertus théologales : la foi, l’espérance et la charité.

 

Pour commencer, la paix s’enracine dans la foi. Le premier ennemi de la paix, c’est la peur. Or la foi est synonyme de confiance, qui s’oppose à toutes les formes de peur. Peur de l’immensité de la tache d’abord : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. » Alors, faisons preuve de confiance, prions « le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. »

Peur de l’adversité ensuite : « Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. » Là encore, ayons confiance : « Voici que je vous ai donné le pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et sur toute la puissance de l’Ennemi : absolument rien ne pourra vous nuire. »

Peur de la pauvreté enfin : le missionnaire doit quitter son confort et ses habitudes, et il peut être tenté de s’assurer contre tous les risques. Or Jésus dit : « Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales ». Il venait de dire à un homme qui désirait le suivre, un peu plus tôt : « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids ; le Fils de l’homme, lui, n’a pas où reposer la tête. » (Lc 9,58) Et il dira un peu plus tard : « Observez les corbeaux : ils ne font ni semailles ni moisson, ils n’ont ni réserves ni greniers, et Dieu les nourrit. Vous valez tellement plus que les oiseaux ! » (Lc 12,24)

 

Ensuite, la paix s’enracine dans l’espérance. La déprime engendrée par l’absence de sens est comme un marécage dans lequel notre âme s’embourbe. Certaines formes de paix ressemblent au repos de la mort. C’est pourquoi les disciples doivent annoncer à tous la Bonne Nouvelle : « Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, guérissez les malades qui s’y trouvent et dites-leur : ‘le règne de Dieu s’est approché de vous’. » Et le règne de Dieu, c’est le Christ lui-même, c’est pourquoi Luc a écrit auparavant : « il les envoya deux par deux, en avant de lui, en toute ville et localité où lui-même allait se rendre. » Notre mission est seulement de préparer la venue du Christ dans les cœurs[i]. C’est seulement lorsqu’il sera revenu que la paix sera établie définitivement. C’est alors que « le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira » (Is 11,6). En envoyant ses disciples « comme des agneaux au milieu des loups », le Christ prépare ce temps eschatologique.

 

Enfin, la paix s’enracine dans la charité. La haine mais aussi le mépris et l’indifférence tuent la paix et génèrent des guerres. Si Jésus envoie ses disciples « deux par deux », ce n’est pas d’abord pour une question d’organisation, c’est avant tout pour qu’ils vivent eux-mêmes ce qu’ils annoncent. « À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » (Jn 13,35) Et ils doivent aimer ceux à qui ils s’adressent : même si ce sont des loups, les disciples doivent demeurer des agneaux, en refusant toute forme de violence. Souvenons-nous de Jacques et de Jean, qui souhaitaient faire tomber le feu du ciel sur le village de Samaritains qui avaient refusé de les accueillir (Lc 9) !

La charité signifie accepter de donner, mais aussi de recevoir : « L’ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison. Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qui vous est présenté. » Accepter la générosité des autres, c’est une manifestation de l’amour fraternel car « Jésus lui-même a dit : ‘Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir’. » (Ac 20,35) N’ayons pas de scrupules ou d’orgueil à demander l’hospitalité ou l’aide des autres.

 

Ainsi, frères et sœurs, la paix est un don que le Seigneur nous fait pour que nous en vivions et pour que nous le communiquions aux autres. Le geste de paix que nous effectuons lors de chaque eucharistie, nous devons le renouveler partout, par nos mains mais surtout avec nos cœurs. C’est pourquoi le Seigneur nous offre la foi, l’espérance et la charité, qui sont autant de conditions pour que la paix en déborde comme un fleuve. Mais attention : nous devons être vigilants car nous sommes confrontés à un ennemi qui cherche à anéantir notre paix, celui qu’on appelle Satan, i.e. l’adversaire. Même si nous croyons l’avoir vaincu, il peut s’immiscer en nous de multiples façons, et en particulier par l’orgueil. Alors que les 72 revinrent tout joyeux, en disant : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom », Jésus leur dit : « Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair… Toutefois, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. » Nos joies doivent parfois être converties. La joie qui vient de l’Esprit Saint (son deuxième fruit, juste après l’amour et avant la paix) est liée non à notre puissance et au bien que nous faisons, mais d’abord à la Puissance de Dieu et au bien qu’Il nous fait en nous sauvant et en nous sanctifiant par pure grâce. L’être précède le faire, la grâce précède le mérite. Alors réjouissons nous d’avoir été choisis par Dieu, accueillons la paix qu’Il dirige vers nous comme un fleuve et soyons des artisans de cette paix !

P. Arnaud

[i] Comment ? En « déblayant » les obstacles, telles que les polémiques qui « polluent » l’esprit de nos contemporains et les braquent contre l’Eglise : les croisades, l’inquisition, les multiples scandales qui ont émaillé l’histoire de l’Eglise… Il faut parfois rétablir la vérité, mais aussi parfois simplement reconnaître nos erreurs et nos péchés, comme le pape saint Jean Paul II l’a fait plusieurs fois, notamment en 2000 en demandant pardon à tous ceux à qui des chrétiens avaient fait du mal au long des siècles