La foi comme une graine de moutarde

Frères et sœurs, que faisons-nous de notre foi ? Dans quelques minutes, nous serons invités à réciter le credo, qui représente le dépôt de la foi catholique, un ensemble de vérités pour lesquels des hommes ont lutté et même donné leur vie depuis 2000 ans. Ces mots écrits avec le sang de certains, les prononcerons-nous machinalement, ou avec tout notre cœur ? Et surtout, pendant tout le reste de la semaine, allons-nous poser des actes de foi, ou vivre comme des athées, sans que le Christ puisse intervenir dans nos vies ? Certes, la foi ne fonctionne pas sur un mode binaire, comme si on pouvait seulement l’avoir ou ne pas l’avoir. On peut croire un peu, beaucoup, passionnément, à la folie… Mais l’essentiel n’est pas la « quantité » de foi que nous avons, mais ce que nous en faisons. La vraie question est donc : notre foi est-elle vivante, ou morte ? On peut croire avec sa tête, mais sans que ça ne change rien à notre façon de vivre. Comme l’écrit saint Jacques : « la foi, si elle n’est pas mise en œuvre, est bel et bien morte » (2,17)… Si les apôtres demandent à Jésus : « augmente en nous la foi », c’est parce qu’ils ont conscience que la leur est trop petite. Le Seigneur répond en déplaçant leur question : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi ». Pour les Juifs, l’arbre est un symbole de l’homme vivant, alors que la mer renvoie à la mort. Autrement dit : avec votre foi, qu’elle soit petite ou grande, vous pouvez vaincre la mort. Pour donner de la consistance à sa parole, Jésus emploie l’image d’une graine de moutarde. Qu’est-ce qui la caractérise ? Le potentiel de croissance d’abord ; la saveur ensuite ; le pouvoir de guérison enfin.

 

Pour commencer, la graine de moutarde évoque un immense potentiel de croissance. Alors qu’elle est la plus petite des plantes potagères, elle peut devenir un grand arbre…  Toute l’histoire sainte en témoigne : « ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion ce qui est fort ; ce qui est d’origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n’est pas, voilà ce que Dieu a choisi, pour réduire à rien ce qui est ; ainsi aucun être de chair ne pourra s’enorgueillir devant Dieu » (1Co 1,27-29) Abraham était un homme déjà très âgé et stérile lorsqu’il fut appelé à devenir le père des croyants. David était un jeune berger, le plus jeune de la fratrie, lorsqu’il fut choisi par Dieu et qu’il partit combattre le géant Goliath. Marie était une jeune fille adolescente lorsqu’elle fut appelée par l’ange à devenir la mère du Fils de Dieu. A la mort de Jésus, l’Eglise n’était constituée que de quelques disciples, la plupart l’ayant abandonné avant sa Passion, et elle a enfanté depuis des milliards d’enfants. La rencontre de saint François et du sultan à Damiette sembla un échec, mais elle a sans doute permis la présence des Franciscains en Terre Sainte depuis 800 ans…

La foi est une graine qui recèle ainsi d’un immense potentiel de croissance, mais encore faut-il l’arroser, c’est-à-dire poser des actes de foi ! Un muscle qui n’est jamais utilisé s’atrophie rapidement. C’est ainsi que Paul écrit à Timothée, qu’il avait ordonné évêque pour diriger l’Eglise d’Ephèse : « Fils bien-aimé, je te rappelle que tu dois réveiller en toi le don de Dieu que tu as reçu quand je t’ai imposé les mains. Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de raison. » (2° lect.) Alors que la présomption vise des buts trop élevés, le manque de foi empêche de faire ce dont on est capable. Souvenons-nous du roi Acaz, qui refuse de demander un signe au Seigneur alors que le Seigneur Lui-même lui demande de le faire[i].

 

Deuxièmement, la graine de moutarde évoque la saveur. Elle peut relever des aliments fades. Cette saveur est celle de la sagesse (de sapere, goûter en latin). Notre foi donne de la saveur à notre vie. Saint Luc écrit de Jésus enfant qu’il « grandissait en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes » (Lc 2,52). En l’écoutant dans leur synagogue, les habitants de Nazareth s’étonnent : « Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? » (Mc 6,2) Et lorsque les gardes qui doivent l’arrêter refusent de le faire, ils disent à ceux qui les ont envoyés : « Jamais un homme n’a parlé de la sorte ! » (Jn 7,46)… Si Zachée, la Samaritaine ou la femme pécheresse se sont convertis, c’est parce que le Christ a donné de la saveur à leur vie auparavant insipide. Si beaucoup de nos contemporains perdent le goût de la vie, l’actualité nous l’a rappelé plusieurs fois ces dernières semaines, c’est peut-être parce qu’ils n’ont pas pu mettre dans le plat de leur vie les graines de moutardes de la sagesse du Christ.

 

Enfin, la graine de moutarde évoque un pouvoir de guérison. Depuis l’antiquité au moins, on l’utilise dans des cataplasmes qu’on applique sur la poitrine pour soigner les bronchites et autres affections respiratoires. Elle est aussi un excellent dépuratif et, grâce à sa vitamine C, elle donne du tonus et  renforce les défenses immunitaires… Jésus a guéri beaucoup de corps. N’oublions pas que le mot salut a la même racine que le mot santé. L’impératif latin « salve », qui signifie : « porte-toi bien», a donné le mot salut. Mais le Christ veut guérir surtout les âmes. A Lourdes, on assiste chaque année à des guérisons physiques, mais combien de guérisons spirituelles ont lieu ? Notre archevêque a demandé à toutes les paroisses de Paris d’organiser des soirées de guérison – nous le ferons nous-mêmes dans quelques mois – parce qu’il a pris conscience que beaucoup de nos contemporains sont malades dans leur corps ou dans leur âme, et parfois dans les deux…

Une des causes majeures des blessures dont souffrent certains est l’incapacité à pardonner un mal qu’ils ont subi. Or justement, la demande des apôtres à Jésus d’augmenter leur foi surgit juste après qu’il leur a demandé : « Si ton frère a commis un péché, fais-lui de vifs reproches, et, s’il se repent, pardonne-lui. Même si sept fois par jour il commet un péché contre toi, et que sept fois de suite il revienne à toi en disant : “Je me repens”, tu lui pardonneras. » (Lc 17,3-4) Le pardon est une condition sine qua non pour guérir certaines maladies de l’âme. Si je ne peux le donner avec mes seules forces, je le peux avec l’aide de Dieu : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34)

 

Ainsi, frères et sœurs, alors que certaines personnes autour de nous désirent croire mais n’y parviennent pas, rendons grâce au Seigneur qui nous a donné la foi. Mais ne la laissons pas inactive. On a retrouvé dans des tombeaux des graines qui n’avaient pas changé d’état depuis des milliers d’années. Plantons dans la terre la graine de notre foi, c’est-à-dire accomplissons des actes de foi.  Une foi semblable à une graine de moutarde, pleine de force et de sagesse, et capable de guérir. C’est ainsi que nous pourrons réaliser des miracles nous aussi. Ne demandons pas au Seigneur de déraciner un arbre, ça ne servirait à rien et les incendies trop nombreux qui ravagent les forêts nous ont rappelé leur valeur immense. Demandons Lui plutôt des miracles qui permettront de faire grandir son Royaume, en nous-mêmes et autour de nous. Et même si nous accomplissons de grandes choses dans ce but, ne tombons jamais dans l’orgueil. Considérons plutôt que « nous sommes de simples serviteurs et que nous n’avons fait que notre devoir »[ii]. AMEN.

[i] Le Seigneur parla encore ainsi au roi Acaz : « Demande pour toi un signe de la part du Seigneur ton Dieu, au fond du séjour des morts ou sur les sommets, là-haut. » Acaz répondit : « Non, je n’en demanderai pas, je ne mettrai pas le Seigneur à l’épreuve. » (Is 7,10-12)

[ii] La 2ème partie de l’évangile conforte l’image de la graine de moutarde, en nous rappelant que le Seigneur est le Maître de l’univers, sous-entendu le Tout-Puissant en qui nous pouvons avoir confiance. Mais elle la complète en nous invitant à l’humilité, nous qui sommes des serviteurs « quelconques », a/creios en grec, c’est-à-dire « non-nécessaires », au sens où Dieu n’a pas besoin de nous pour faire fonctionner l’univers et pour le sauver. C’est par pure grâce qu’Il nous fait participer à son œuvre de création et de rédemption.

Prenons quelques exemples : Souvenons-nous d’abord de Moïse. Il aurait pu refuser l’appel du Seigneur au buisson ardent, notamment parce qu’il se sentait incapable de bien parler, mais il l’accepta parce qu’il connaissait la puissance de Dieu. Moïse était un homme très humble, l’homme le plus humble que la terre ait porté » (Nb 12,3) mais il savait être audacieux, au point d’aller donner des « ordres » au Pharaon, l’homme le plus puissant de la terre, alors que lui-même n’était qu’un ancien fuyard menacé de mort…

Souvenons-nous ensuite de saint François, que nous avons célébré vendredi. S’il a été audacieux à l’extrême, jusqu’ à renoncer à toute forme de richesse aussi bien pour lui que pour son ordre, c’est parce qu’il était profondément humble, lui qui appelait le Seigneur « mon Dieu et mon Tout » et ses frères les « mineurs », c’est-à-dire les tout-petits.

Enfin, faisons mémoire de deux papes. Jean Vingt-Trois, d’abord, a eu l’audace de convoquer le concile Vatican II parce qu’il était profondément humble. Au début de son pontificat, alors que sa nouvelle charge l’accablait au point de perdre le sommeil, il avait entendu le Seigneur lui demander : « Qui gouverne la barque de l’Eglise : toi ou Moi ? » et il avait retrouvé le sommeil. Quant à Benoît XVI, en renonçant à sa charge, lui qui s’était qualifié dès le premier de son pontificat d’ « humble ouvrier dans la vigne du Seigneur », il a reconnu qu’il était un « serviteur quelconque », qu’un autre pourrait remplacer. Tous ces exemples nous incitent à être audacieux, et à ne pas rejeter trop vite des appels sous prétexte que nous ne nous sentons pas à la hauteur.