L’or, l’encens et la myrrhe

Frères et sœurs, que sommes-nous prêts à offrir à l’Enfant Jésus ? Aujourd’hui nos frères et sœurs orthodoxes s’offrent des cadeaux, comme nous l’avons fait le 25 décembre, et le comble serait d’oublier celui dont nous célébrons l’anniversaire. Les mages lui ont offert de l’or, de l’encens et de la myrrhe, trois bien très précieux (qui soulignent que contrairement aux bergers, même s’ils n’étaient pas rois, ils étaient riches) mais surtout symboliques : ils renvoient respectivement au roi, au prêtre et au prophète. Autrement dit, les mages ont su reconnaître dans le petit enfant de moins de 2 ans sous leurs yeux le Roi de l’univers, le Grand Prêtre du Seigneur et son Prophète. Mais pour le Christ, la royauté, le sacerdoce et la prophétie n’ont pas le même sens que pour le monde. Essayons de le comprendre afin de le vivre nous-mêmes puisque nous sommes devenus, par l’onction de notre baptême, rois, prêtres et prophètes.

 

Pour commencer, Jésus est le Roi de l’univers. C’est justement pour cette raison qu’il fait peur à Hérode, qui va décider de faire massacrer tous les enfants de moins de 2 ans (approximativement la durée du voyage des mages depuis l’apparition de l’étoile qui les a guidés)[i]. Jésus lui-même expliquera plus tard le sens de sa royauté : « Les chefs des nations les commandent en maîtres, et les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi : celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur, et celui qui veut être parmi vous le premier sera votre esclave. Ainsi, le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. » (Mt 20,25-28) Hérode avait une armée de soldats, ceux qui ont massacré les saints innocents, mais Jésus n’aura que des disciples. Son seul pouvoir sera celui de la vérité. Ainsi, lorsque Pilate l’interrogera : « Alors, tu es roi ? », Jésus répondra : « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. » (Jn 18,37) Quel contraste avec les grands de ce monde qui, aujourd’hui comme hier, font sentir leur pouvoir et usent du mensonge pour l’asseoir !

Les mages ont désobéi à Hérode parce qu’ils avaient compris qu’il leur mentait. Ils ont donc pris un risque pour leur vie en repartant par un autre chemin. Et nous-mêmes, serions-nous prêts à désobéir aux grands de ce monde pour être fidèles à notre Seigneur, comme le furent les martyrs du Mexique qui moururent en criant : « Vive le Christ-Roi » ? Et que faisons-nous de notre propre pouvoir ? Rendons-nous toujours témoignage à la vérité ? Cherchons-nous sans cesse à servir les autres ? La coutume de tirer au sort les rois, au moment du partage de la galette, nous rappelle ce que Jésus dit à Pilate : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en haut. » (Jn 19,11) A Athènes, berceau de la démocratie, la plupart des dirigeants étaient tirés au sort chaque année.

 

Deuxièmement, Jésus est le Grand Prêtre de Dieu. C’est l’auteur de l’épître aux Hébreux qui l’a mis le mieux en lumière. Il « n’a pas besoin, comme les autres grands prêtres, d’offrir chaque jour des sacrifices, d’abord pour ses péchés personnels, puis pour ceux du peuple ; cela, il l’a fait une fois pour toutes en s’offrant lui-même » (Héb 5-7). Quel contraste avec les grands prêtres de son époque, comme Hanne et Caïphe, qui méprisaient le peuple et cherchaient avant tout le pouvoir et l’argent ! Les évangiles manifestent clairement que l’un des motifs majeurs de la condamnation de Jésus fut son geste contre les marchands du Temple. Il menaça ainsi l’ordre établi qui permettait à la classe sacerdotale (les saducéens) de collecter des sommes immenses (on ne pouvait offrir des sacrifices qu’à Jérusalem et beaucoup y montaient de tout l’empire pour les grandes fêtes, si bien que la population de la ville passait d’environ 50.000 à plus de 100.000 selon les historiens).

Aujourd’hui, nous ne pouvons pas offrir des sacrifices d’animaux mais nous pouvons faire de notre cœur une « caverne de bandits » (Lc 19,46), enfermés dans nos préoccupations matérielles, au lieu d’en faire un « temple de l’Esprit » (1Co 6,19). Intercédons-nous chaque jour pour nos frères et sœurs de la terre, en particulier ceux qui souffrent ? Savons-nous lui offrir nos propres souffrances, à l’image de Jésus qui « bien qu’il soit le Fils, apprit par ses souffrances l’obéissance » (Héb 5,8) ? Serions-nous prêts à offrir notre vie pour rendre gloire à Dieu ?

 

Enfin, Jésus est le Grand Prophète : non seulement il annonce la Parole de Dieu, comme tous les prophètes avant lui, mais il est cette Parole, le Verbe fait chair (Jn 1,14). La myrrhe renvoie aux prophètes parce qu’elle était utilisée pour embaumer les défunts, et que tous ont été persécutés. Or, le Verbe « est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu » (Jn 1,11). Dès que Jésus commencera à annoncer la Bonne nouvelle, il sera en butte à l’hostilité de ses contemporains, à commencer par ses concitoyens de Nazareth qui voudront le jeter en bas de la colline (Lc 4,29). Ses ennemis les plus farouches seront les scribes et les pharisiens. A cette époque, il n’y avait plus de prophète et ce sont eux qui détenaient la clé des Ecritures. Jésus leur dira plus tard : « Quel malheur pour vous, docteurs de la Loi, parce que vous avez enlevé la clé de la connaissance ; vous-mêmes n’êtes pas entrés, et ceux qui voulaient entrer, vous les en avez empêchés. » (Lc 11,52) Mais dès maintenant, alors qu’il n’est qu’un enfant, il n’est pas accueilli par les scribes qui connaissaient si bien les Ecritures qu’ils furent capables de prédire la naissance du Christ à Bethléem, mais qui ne se déplacèrent même pas.

Et nous, savons-nous témoigner de la Parole de Dieu « à temps et à contretemps » (2Tm 4,2) ? Serions-nous prêts à mourir pour elle, comme les prophètes de l’Ancien et du Nouveau Testament ? Ou préférons-nous parfois nous taire pour ne pas faire de vagues, lorsque nous sentons que notre foi n’est pas politiquement correcte ? Nous ne devons pas avoir peur : en avertissant ses disciples des persécutions qui les attendaient, Jésus leur a dit aussi : « Quand on vous livrera, ne vous tourmentez pas pour savoir ce que vous direz ni comment vous le direz : ce que vous aurez à dire vous sera donné à cette heure-là. Car ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous. » (Mt 10,19-20) Et Jésus avait déclaré dans son sermon sur la montagne, comme ultime béatitude : « Heureux serez-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux ! C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés. » (Mt 5,11-12) Ne ratons pas les occasions de goûter le bonheur que le Christ nous promet !

 

Ainsi, les mages ont su reconnaître en l’Enfant-Jésus le Roi, le Prêtre et le Prophète qui allait offrir sa vie pour nous. C’est pourquoi les icônes orientales représentent toujours ses langes à la manière d’un linceul, et la crèche à la manière d’un tombeau. Ce don si grand du Fils de Dieu, voilà la bonne nouvelle dont nous devons témoigner : Dieu nous aime tant qu’Il nous a donné son Fils, celui-ci nous aime tant qu’il nous a donné sa vie. Notre témoignage, portons-le jusqu’aux extrémités de la terre, comme l’ont fait les mages. C’est avec eux que la prophétie d’Isaïe a commencé de s’accomplir : « Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore… Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi, vers toi viendront les richesses des nations » (1° lect.) Pour que s’accomplisse totalement le mystère que « toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile » (2° lect.), repartons par un autre chemin, c’est-à-dire convertissons-nous pleinement pour être fidèles à notre vocation de rois, de prêtres, et de prophètes. C’est ainsi que nous serons prêts à offrir chaque jour notre vie à celui qui nous a offert la sienne et que nous aussi nous éprouverons une très grande joie.

P. Arnaud

[i] « Pourquoi as-tu peur, Hérode, en apprenant la naissance du Roi ? Il ne vient pas pour te détrôner, mais pour triompher du diable. Et comme tu ne comprends pas cela, tu es inquiet et tu entres en fureur ; et afin de perdre le seul enfant que tu recherches, tu es assez cruel pour en faire mourir un si grand nombre » (homélie de s. Quodvultdeus).