Suivons le vrai Sage

Frères et sœurs, sommes-nous des sages ? La sagesse est un art de vivre qui permet de trouver le bonheur. Elle comporte plusieurs niveaux. Le 1er, simplement humain, se trouve dans toutes les civilisations (par exemple à travers les proverbes, les contes…) Le 2nd, biblique, se trouve d’abord dans l’Ancien Testament, et repose sur deux certitudes. La 1ère : Dieu est le seul Sage, le seul Maître du bonheur. Quant à nous, même si nous pensons être de grands sages, « nos réflexions sont incertaines, et nos pensées, instables » (1° lect.). La 2nde : Dieu ne garde pas le secret du bonheur pour Lui seul, Il nous le communique : « qui aurait connu ta volonté, si tu n’avais pas donné la Sagesse et envoyé d’en haut ton Esprit Saint ? C’est ainsi que les sentiers des habitants de la terre sont devenus droits ; c’est ainsi que les hommes ont appris ce qui te plaît et, par la Sagesse, ont été sauvés » (1° lect.) Le 3ème niveau de la sagesse nous mène plus haut encore, jusqu’au Christ. Il se décompose en 2 nouveaux niveaux. Le 1er rejoint la sagesse humaine : Jésus nous donne aujourd’hui 2 exemples, d’abord celui d’un homme qui veut bâtir une tour, ensuite celui d’un roi qui part en guerre. Dans les 2 cas, s’ils ne se préparent pas bien, ils iront droit à l’échec. Le 2nd niveau, paradoxalement, ressemble à la folie, avec notamment aujourd’hui les conditions pour devenir son disciple. N’est-ce pas d’ailleurs le reproche que la famille même de Jésus lui a fait, un jour : « elle vint pour se saisir de lui, car ils affirmaient : “Il a perdu la tête.” » (Mc 3,21) ? Mais comme l’écrira saint Paul aux Corinthiens : « ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes. » (1 Co 1,25) Pourquoi le Christ est-il le vrai Sage ? Pourquoi devrions-nous le suivre ? C’est ce que nous allons voir maintenant en reprenant chacune de ses 3 demandes.

 

« Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. » Aucun être humain ne peut combler ma soif d’absolu. Je peux aimer de tout mon cœur mes parents, mon conjoint, mes enfants, mes frères et sœurs, mais je ne peux pas les adorer. Eux-mêmes ont été créés par Dieu, et sont appelés à retourner à Dieu. Les adorer, les placer sur un piédestal, répondre à tous leurs caprices, ce serait les aimer mal, en leur faisant porter un poids qu’ils sont incapables de porter. Bien les aimer, c’est les aimer à la lumière de Dieu, en les aidant à accomplir leur vocation, ce à quoi le Seigneur les appelle. L’amour peut être étouffant, par exemple lorsque les parents projettent un avenir pour leur enfant qui est leur rêve et non le sien, ou lorsqu’un couple s’enferme sur lui-même en refusant l’ouverture aux autres.

De même que je peux mal aimer mes proches, je peux mal m’aimer moi-même. Le Christ m’appelle à le préférer à ma propre vie, parce qu’il sait mieux que moi ce dont j’ai besoin et ce qui va me faire grandir. Plutôt que de m’enfermer dans mes projets étriqués, il m’appelle à lui faire confiance, même si je ne saisis pas immédiatement le sens et la portée de ses appels. Mère Térésa aimait sa vie de religieuse enseignante. Cependant, elle a préféré le Christ à sa propre vie, acceptant de tout quitter pour partir dans les rues de Calcutta avec sa Foi pour seule richesse et seule sécurité.

 

« Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher derrière moi ne peut pas être mon disciple. »

La croix fait peur, c’est naturel. Au départ, elle est un instrument de supplice. Mais n’oublions pas que le Seigneur en a fait le signe de son Amour infini, et qu’il ne nous tente jamais au-delà de nos forces ;  avec la tentation, il nous donne le moyen d’en sortir et la force de la supporter (1 Co 10, 13). Lui-même porte nos croix avec nous, comme le souligne l’histoire du poète brésilien Adémar de Barros[i]. L’important est donc, non pas de choisir nous-mêmes nos croix (ce serait du masochisme et de l’orgueil), mais de recevoir celles que la vie nous envoie, confiants en la présence du Seigneur qui les porte avec nous.

Mère Teresa, après avoir commencé sa vie auprès des pauvres de Calcutta, a voulu leur ressembler le plus possible en mangeant très peu. Un jour où elle était partie à jeun, elle s’est sentie mal et s’est évanouie. Elle a compris ensuite que sa décision ne venait pas de Dieu, et elle s’est mise à prendre un solide petit-déjeuner avant de partir dans les rues.

 

« De même, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tous ses biens ne peut pas être mon disciple. »

La troisième exigence du Christ, après le préférer à quiconque et porter ma croix à sa suite, est donc de renoncer à tous mes biens. Là encore, cette demande est libératrice. Comme le dit un proverbe, les biens sont de bons serviteurs, mais de mauvais maîtres. Pourquoi vient-elle seulement en dernier ? Peut-être parce que pour certains, il est plus facile de renoncer à ses liens (affectifs), et peut-être même à sa vie, qu’à ses biens. Ainsi, le jeune homme riche avait sans doute accepté de quitter les siens mais, lorsque Jésus lui a proposé de renoncer à ses biens pour le suivre, il s’est éloigné tout triste… Au contraire, les apôtres ont accepté de quitter leurs filets et tous leurs biens, et ils ont mené une vie extraordinairement passionnante.

Dans sa lettre à Philémon, Paul lui demande de renoncer à un bien à la fois précieux et commun à l’époque : son esclave, Onésime, qu’il a enfanté à la vie divine dans sa prison. Demande très exigeante quand on sait qu’Onésime s’était enfui de chez son maître, avant de faire la connaissance de Paul et de la foi chrétienne… Il est demandé à Philémon, non seulement de lui pardonner, mais même de l’accueillir « non plus comme un esclave, mais, bien mieux qu’un esclave, comme un frère bien-aimé » (2° lect.)!

 

Ainsi, frères et sœurs, le Christ nous appelle à le préférer à quiconque, à porter notre croix en marchant à sa suite, et à renoncer à tous nos biens. Seuls ceux qui acceptent ces exigences sont vraiment ses disciples, et vraiment sages. Mais ceux-là savent qu’ils ne le sont jamais totalement, et que c’est chaque jour qu’ils doivent à nouveau préférer le Christ à leurs proches, à leur propre vie et à tous leurs biens, et prendre les croix qui se présentent sur leur chemin de l’Amour.  Il est naturel de s’attacher, mais nous ne devons jamais devenir esclaves. « Qu’importe que l’oiseau soit retenu par un fil léger ou une corde? Le fil qui le retient a beau être léger, l’oiseau y reste attaché comme à la corde, et, tant qu’il ne l’aura pas rompu, il ne pourra pas voler » (S. Jean de la Croix)… Les disciples sages, que peuvent-ils espérer ? Dans un autre évangile, Jésus déclare aux apôtres que «  personne n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre, sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle. » (Mc 10,29‑30). Même si nous ne quittons pas tous nos biens comme les apôtres, frères et sœurs, soyons des sages, préférons le Christ à TOUT et il nous donnera de goûter un bonheur toujours plus grand. AMEN.

[i] Une nuit, un homme fit un rêve. Il rêva qu’il marchait au bord de la mer en compagnie du Seigneur.  Sur le fond du ciel, il voyait se dérouler les scènes de sa vie. Il remarquait, dans chaque scène, deux traces parallèles de pas dans le sable. L’une était la sienne; l’autre celle du Seigneur. À la dernière scène, il se retourna pour voir ces empreintes sur la grève. Il s’aperçut alors qu’à divers moments de sa vie, il n’y avait qu’une trace de pas. Et que ces moments de marche solitaire correspondaient aux heures les plus tristes et les plus sombres de sa vie. Intrigué, il dit à son compagnon: « Seigneur, tu m’as assuré de toujours marcher à mes côtés si j’acceptais de me joindre à Toi. Mais je m’aperçois qu’aux périodes les plus dures de ma vie, il n’y a plus qu’une empreinte dans le sable. Pourquoi m’as-tu abandonné au moment où j’avais le plus besoin de Toi ? » Le Seigneur se tourne alors vers lui et lui répond: « Mon enfant, mon très cher enfant, tu sais que Je t’aime et que je ne saurais t’abandonner. Il faut que tu comprennes ceci: si tu ne vois qu’une trace de pas aux moments les plus difficiles de ton existence, c’est qu’alors, tout simplement, Je te portais dans mes bras… »