N’ayez pas peur
« N’ayez pas peur ». De quoi avons-nous peur, frères et sœurs ? L’exhortation de Jésus à ses disciples n’est pas devenue par hasard le leitmotiv de saint Jean-Paul II. C’est l’une des paroles les plus fréquentes de la Bible. Ici, la peur qu’éprouvent les disciples est tellement grande qu’elle leur fait « pousser des cris ». D’où vient-elle ? Du fait qu’ils voient Jésus venir vers eux sur la mer, tel un fantôme. Cette vision est d’autant plus surprenante qu’elle survient vers la fin d’une nuit où ils se sont probablement sentis abandonnés par leur Maître, alors que leur barque était à une bonne distance de la terre, battue par les vagues car le vent leur était contraire. Ce sentiment d’abandon a dû être d’autant plus dur à supporter qu’il est survenu juste après la multiplication des pains, où les disciples ont dû se sentir « au septième ciel », tant Jésus a manifesté sa puissance divine. La « chute » a été brutale… C’est précisément dans ces circonstances que Jésus manifeste à nouveau sa puissance : il est non seulement le Créateur, mais aussi le Rédempteur, qui nous sauve de la mort et des forces du mal, qui sont ici symbolisées par la mer déchaînée et par la nuit. Dans les icônes orientales, on voit le Ressuscité debout sur les portes de l’enfer qui tend la main à Adam et Eve pour les en sortir, comme il va tendre la main à Pierre. Le Christ veut nous sauver, mais pas sans nous : il nous demande la foi, qui nous permet de passer de la peur à l’adoration, du sentiment d’être abandonné par Dieu à la certitude de sa présence : « vraiment, tu es le Fils de Dieu ! » disent les disciples à Jésus en se prosternant devant lui, après qu’il soit monté dans la barque avec Pierre, qui symbolisent pour leur part l’Église et le Pape. Pierre a été sauvé, alors que sa foi était fragile. Cet évènement signifie que nous mêmes, nous pouvons être sauvés, à condition que nous ayons la foi, même petite. Nous pouvons être sauvés des forces du mal, qui parfois nous assaillent comme la mer déchaînée, et même de la mort : un jour, nous parviendrons avec le Christ sur l’autre rive, celle du Paradis, où nous vivrons dans une lumière sans fin. Et ce jour viendra bientôt, car nous sommes « vers la fin de la nuit »… Comment vivre notre foi de manière à être sauvés ? L’évangile nous propose 3 étapes. Premièrement, nous devons nous « jeter à l’eau », c’est-à-dire accepter de prendre des risques. Deuxièmement, nous devons persévérer. Troisièmement, nous devons saisir les mains tendues, c’est-à-dire accueillir les grâces que le Seigneur nous offre.
Avoir la foi signifie d’abord se « jeter à l’eau », c’est-à-dire accepter de prendre des risques. L’homme a peur de l’inconnu, comme l’enfant a peur du noir. Le père des croyants, Abraham, a accepté de quitter son pays (dans la Mésopotamie riche et prospère) et sa parenté pour un pays inconnu, avec pour seule assurance la promesse reçue de Dieu (Gn 12[i]) Le prophète Elie a accepté de quitter sa ville de Tishbé en Galaad « s’établir près du torrent de Kérith, qui se jette dans le Jourdain. Les corbeaux lui apportaient du pain et de la viande, matin et soir, et le prophète buvait au torrent » (1R 17,5-6) Ensuite, c’est à une veuve de Sarepta qu’il a demandé de faire un grand acte de foi, lui demandant en pleine période de famine de lui apporter de l’eau et une petite galette : « N’aie pas peur, va, cuis-moi une petite galette et apporte-la moi ; ensuite tu en feras pour toi et ton fils. Car ainsi parle le Seigneur, Dieu d’Israël : Jarre de farine point ne s’épuisera, vase d’huile point ne se videra, jusqu’au jour où le Seigneur donnera la pluie pour arroser la terre. La femme alla faire ce qu’Élie lui avait demandé, et pendant longtemps, le prophète, elle-même et son fils eurent à manger. » (1R 17,13-15) Plus tard, Elie a eu encore assez de foi pour défier les 450 prophètes de Baal et les 400 prophètes d’Ashera, dans une ordalie célèbre où Dieu, à son appel, a manifesté sa puissance (1R 18).
Après s’être jeté à l’eau, il faut persévérer dans la confiance. Pierre a commencé à « s’enfoncer » dans la peur, au propre et au figuré, parce que « voyant la force du vent » il a cessé de regarder son Maître. De même, Elie, après avoir eu assez de foi pour défier les faux prophètes sur le mont Carmel, a commencé à sombrer dans la peur en apprenant que la reine Jézabel le recherchait pour le mettre à mort. Il s’enfonça tellement qu’il en vint à demander à Dieu la mort en disant : « Maintenant, Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie : je ne vaux pas mieux que mes pères. » (1R 19,4) Le Seigneur Jésus a mis en garde ses disciples contre le découragement, d’abord dans la parabole du semeur, où il évoque « celui qui a reçu la semence sur un sol pierreux, c’est celui qui entend la Parole et la reçoit aussitôt avec joie ; mais il n’a pas de racines en lui, il est l’homme d’un moment : quand vient la détresse ou la persécution à cause de la Parole, il trébuche aussitôt. » (Mt 13,20-21) Annonçant à ses disciples les persécutions à venir, il a dit également : « C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie. » (Lc 21,19) Saint Paul a toujours gardé sa confiance en Dieu, notamment envers ses frères juifs envers lesquels il éprouvait « une grande tristesse, une douleur incessante » (2° lect.), sûr qu’ils seraient sauvés eux aussi[ii].
Et si nous sommes tentés de ne pas persévérer dans notre foi et de sombrer dans le découragement comme Elie ? Le Seigneur nous révèle que lui-même ne nous abandonnera pas. A Elie, comme à Pierre, il a tendu une main secourable par l’intermédiaire d’un ange. Deux fois, il lui a donné une mystérieuse « galette cuite sur des pierres brûlantes » (1R 19,6), dans laquelle on peut reconnaître une figure de l’eucharistie. « Fortifié par cette nourriture, Elie marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu » (1R 19,8) où il a rencontré le Seigneur dans « le murmure d’une brise légère » (1° lect.) Quand on sait à quel point ce genre de rencontre est rare dans l’Ancien Testament (seul Moïse a eu également le privilège de voir Dieu de dos – Ex 33), on peut sans peine ajouter que ce fut pour lui un moment d’adoration semblable à celui que les disciples ont vécu plus tard devant Jésus remonté dans la barque : ils se prosternèrent devant lui, et ils lui dirent : « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! » Notons que si le Seigneur est venu en aide à Elie et Pierre, ceux-ci n’ont pas été inactifs, le premier acceptant d’obéir à l’ange et de repartir vers l’Horeb (alors qu’il aurait pu rester prostré dans sa « dépression ») et le second criant vers Jésus pour être sauvé.
Ainsi, frères et sœurs, n’ayons pas peur, quelles que soient les tempêtes qui nous assaillent. Elles ont été nombreuses depuis 2000 ans mais aucune n’a pu faire chavirer la barque de l’Eglise. Jetons-nous à l’eau pour rejoindre le Christ là où il est, c’est-à-dire au milieu des tempêtes. Pendant le confinement, il était bien-sûr dans nos églises, mais il était aussi dans les hôpitaux, comme il est toujours présent auprès de ceux qui subissent la guerre, la faim, la misère (c’est pourquoi nous irons au Liban en mai prochain, si la situation le permet, afin d’être auprès de ceux qui souffrent). Persévérons dans nos actes de foi et de solidarité, notamment dans cette crise sanitaire qui n’est pas terminée, continuons d’agir avec prudence et responsabilité, sans sombrer dans la peur. Enfin, si nous sommes tentés de « sombrer » à certains moments, soyons prêts à saisir la main que le Christ nous tendra. En particulier, nourrissons-nous comme Elie du pain de Dieu, celui de l’eucharistie, qui nous rendra assez forts pour continuer notre marche vers non pas l’Horeb, mais le Royaume où nous pourrons rencontrer Dieu face à face. AMEN.
P. Arnaud
[i] « Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront ; celui qui te maudira, je le réprouverai. En toi seront bénies toutes les familles de la terre. » (v. 2-3)
[ii] « Une partie d’Israël s’est endurcie jusqu’à ce que soit entrée la totalité des païens, et ainsi tout Israël sera sauvé. […] Car les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance. » (Rm 11,25.29)