Vous êtes le sel de la terre et la lumière du monde

« Quel est le sens de ma vie ? » Tous, frères et sœurs, il nous est arrivé de nous poser cette question. Le Christ nous invite aujourd’hui à répondre : nous sommes « le sel de la terre et la lumière du monde ». Notons d’emblée que nous sommes passés du « je » au « nous », car notre vie ne peut trouver son sens si nous sommes centrés sur nous-mêmes. C’est tous ensemble, les chrétiens, que nous sommes appelés à remplir une mission, et cette mission est pour le monde. Ce n’est pas un hasard si ce texte suit immédiatement les béatitudes: si nous acceptons cette mission, nous en sommes heureux ; sinon, nous risquons fort d’être malheureux, comme beaucoup dans notre société. Tant de personnes sont déprimées, dépressives[i]. De fait, la vie est parfois insipide, ou lourde à porter. Une partie du monde est corrompue, gangrenée par le mal. Et il est parfois difficile de comprendre le sens des évènements, et de savoir se diriger. Pourtant, il y a une bonne nouvelle : le Fils de Dieu s’est fait homme pour nous apporter le salut. Grâce à lui, le monde peut être beau. Grâce à lui, la vie peut être merveilleuse. Grâce à lui, nous pouvons nous diriger vers le bonheur. Et c’est à nous, ses disciples, d’en témoigner auprès de nos frères les hommes. Nous sommes « le sel de la terre et la lumière du monde ». L’emploi des articles définis signifie que nous avons une responsabilité et une mission que personne d’autre ne peut remplir à notre place… Remarquons que ni le sel ni la lumière n’ont d’utilité s’ils restent seuls. Manger du sel seul, ou regarder la lumière en face, est très désagréable. Aussi bien le sel que la lumière sont des révélateurs : le 1er révèle la saveur des aliments, et le 2nd la beauté du monde. C’est pourquoi nous devons rester humbles : trop de sel étouffe le goût, trop de lumière éblouit et aveugle. Les deux images se complètent cependant : alors que le sel disparaît totalement, la lumière reste visible. Cela signifie que parfois, il faut rester caché – « quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite » (Mt 6,3) – et que parfois, il faut accepter de se montrer pour témoigner – « voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux » (év.).  A quoi sert le sel ? Premièrement, il sert  à anéantir les microbes qui peuvent corrompre la nourriture ou infecter les plaies. Lorsque le réfrigérateur n’existait pas, c’est le sel qui permettait de conserver les aliments[ii]. Chez les Juifs, lorsqu’on présentait des offrandes à Dieu, on les salait pour les purifier de toutes souillures[iii] et pour signifier l’alliance inaltérable entre Dieu et son peuple[iv]. Deuxièmement, le sel donne de la saveur aux aliments. Quant à la lumière, c’est elle qui nous permet de nous diriger dans l’obscurité. Méditons sur ces trois fonctions du sel et de la lumière, en voyant  comment les ont remplies Jésus d’abord, et ses disciples ensuite.

 

D’abord, le sel empêche la corruption. Jésus a combattu contre le mal. D’abord, il a repoussé Satan au désert, et il a chassé beaucoup de démons. Ensuite, il a aussi lutté contre le péché. En particulier, il a dénoncé le plus caché et le plus grave de tous, l’orgueil. C’est pourquoi il a eu des paroles très dures contre les chefs du peuple juif[v].

Jean Baptiste, lui aussi, a dénoncé le mal. C’est parce qu’il reprochait ouvertement à Hérode d’avoir épousé la femme de son frère qu’il a été arrêté puis exécuté. D’autres saints ont joué ce rôle de pourfendeurs du mal, aussi bien dans le monde que dans l’Église elle-même. Sainte Catherine de Sienne envoya des lettres « incendiaires » au pape pour lui reprocher ses mauvais agissements. Jean-Paul II dénonça les « structures de péché ». Et le Pape François ne cesse de dénoncer le mal, aussi bien parmi les chrétiens que dans le monde[vi].

 

Deuxièmement, le sel donne de la saveur. Jésus en a donné à certains dont la vie était insipide. Ce fut sans doute le cas avec Zachée, le chef des collecteurs d’impôts, qui descendit de son arbre et reçut Jésus « avec joie » (Lc 19,6) après avoir entendu son appel. Inversement, le jeune homme riche n’eut pas la force de le suivre, et il s’en alla « tout triste » (Mc 10,22). On dit parfois des paroles de quelqu’un qu’elles sont « pleines de sel ». Ce fut éminemment le cas de Jésus, à tel point que « le peuple tout entier était suspendu à ses lèvres. » (Lc 19,48)

Les paroles du Christ et des saints sont savoureuses, car pleines de sagesse. N’oublions pas que le mot « sagesse » vient du latin « sapientia », du verbe « sapere » qui signifie « goûter ». Il n’empêche que, paradoxalement, le cœur du message chrétien est bien différent de la sagesse des philosophes, comme Paul le rappelle aux Corinthiens : « quand je suis venu chez vous, je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu avec le prestige du langage humain ou de la sagesse. Parmi vous, je n’ai rien voulu connaître d’autre que Jésus Christ, ce Messie crucifié » (2° lect.).

 

La lumière, quant à elle, nous éclaire dans l’obscurité. Jésus a non seulement guéri des personnes aveugles physiquement, mais il a voulu aussi nous guérir de la cécité spirituelle. Il dit aux Pharisiens, qui lui reprochaient d’avoir guéri l’aveugle-né : « Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : ‘Nous voyons !’ votre péché demeure. » (Jn 9,41) [vii]

Saint François d’Assise, à la fin de sa vie, était devenu quasiment aveugle. Pourtant, il continua jusqu’au bout d’apporter à ses disciples la lumière de sa Foi. C’est peu de temps avant sa mort qu’il composa le Cantique des créatures, dans lequel il bénit Dieu pour frère feu, sœur eau et même pour sa sœur la mort. A travers l’épreuve de sa cécité physique, il apprit à voir mieux encore la présence du Seigneur dans toutes ses créatures. « Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu ! » (Mt 5,8)

 

Ainsi, frères et sœurs, même si la vie nous semble parfois mauvaise, insipide et ténébreuse, ou plutôt parce qu’elle nous semble ainsi, le Christ nous appelle à être le sel de la terre et la lumière du monde. Autrement dit, il nous appelle à lutter contre le mal, à donner des couleurs et de la saveur à la vie, et à aider ceux qui sont perdus à trouver le chemin de la Vérité et du bonheur. Comment y parvenir ? Le prophète Isaïe nous répond : « partage ton pain avec celui qui a faim, recueille chez toi le malheureux sans abri, couvre celui que tu verras sans vêtement, ne te dérobe pas à ton semblable » (1° lect.) Si nous agissons ainsi, alors « notre lumière jaillira comme l’aurore […] notre lumière se lèvera dans les ténèbres et notre obscurité sera comme la lumière de midi. » Oui, aimer Dieu de toutes nos forces, et notre prochain comme nous-mêmes, est la meilleure façon d’être le sel de la terre et la lumière du monde. C’est par amour de Dieu et de nos contemporains que l’Eglise dénonce l’avortement, la contraception, le mariage homosexuel, la procréation médicalement assistée, la gestation pour autrui, et bien d’autres choses encore. Elle ne se contente d’ailleurs pas de dénoncer, elle aide aussi les victimes de tous ces fléaux[viii]. Cette semaine, jouons notre rôle de sel de la terre et de lumière du monde. Alors, le monde deviendra plus beau, nous aurons beaucoup de joie à partager, et notre vie aura un sens ! AMEN.

[i] En France, 200.000 personnes tentent de se suicider chaque année, et environ 10.000 y parviennent (25 par jour, plus que le nombre de décès sur la route). En Belgique et aux Pays-Bas, depuis que l’euthanasie a été légalisée, des dizaines de milliers de personnes ont demandé le suicide assisté, ne supportant plus de vivre.

[ii] Il était tellement précieux que l’on payait un impôt sur le sel, la gabelle. Sous l’Ancien Régime, il fut utilisé comme monnaie d’échange et il possédait même une fonction de salaire, dont on retrouve le sens étymologique dans salarium en latin qui signifiait « ration de sel » puis, par extension, le salaire.

[iii] « Tu saleras toute oblation que tu offriras et tu ne manqueras pas de mettre sur ton oblation le sel de l’alliance de ton Dieu; à toute offrande tu joindras une offrande de sel à ton Dieu » (Lv 2,13)

[iv] « Ne savez-vous pas que Yahvé, le Dieu d’Israël, a donné pour toujours à David la royauté sur Israël ? C’est une alliance infrangible [mot à mot: “une alliance de sel”] pour lui et pour ses fils. » (2 Ch 13,5).

[v] « Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous ressemblez à des tombeaux blanchis à la chaux : à l’extérieur ils ont une belle apparence, mais l’intérieur est rempli d’ossements et de toutes sortes de choses impures. » (Mt 23,27)

[vi] En osant s’en prendre au capitalisme ultra libéral dans sa 1° exhortation apostolique, il s’est notamment attiré le mécontentement des ultras conservateurs américains.

[vii] Mais certains ont accepté de se laisser guérir et éclairer par lui. C’est le cas des disciples, comme Simon-Pierre qui dit à Jésus, au moment où beaucoup cessent de le suivre : « Seigneur, vers qui pourrions-nous aller ? Tu as les paroles de la vie éternelle. » (Jn 6,68)

[viii] Sait-on assez, par exemple, que la plupart des associations qui viennent en aide aux femmes qui ont avorté, ou qui sont tentées de le faire, sont animées par des chrétiens ? Se souvient-on que l’Eglise ne s’est pas contentée de dénoncer les horreurs de la seconde guerre mondiale, mais que c’est grâce à des chrétiens – Robert Schumann, Jean Monnet et Konrad Adenauer – que l’Europe a pu être reconstruite et la haine entre Français et Allemands se transformer en une amitié durable ?