Vivons dans la Lumière de l’Amour

Frères et sœurs, vivons-nous dans la lumière ? Nous venons d’entendre que  « l’obscurité se fit dans tout le pays jusqu’à la neuvième heure. » Saint Marc, qui était au jardin des oliviers et qui a reçu les confidences de Pierre,  est l’évangéliste qui dépeint la Passion avec le plus de noirceur. L’obscurité qui enveloppe la Palestine, au moment où le Christ est en agonie, n’est pas seulement celle du ciel. Elle est aussi celle des cœurs. Oui, vraiment, ce moment de l’histoire humaine est sombre. Le Fils de Dieu a d’abord sué « comme des gouttes de sang » à Gethsémani, tant son angoisse était grande devant sa souffrance et sa mort à venir. Il est maintenant en train de mourir, crucifié comme un malfaiteur. Comment les foules, qui l’ont acclamé avec leurs rameaux comme le Messie lors de son arrivée à Jérusalem, ont-elles pu vociférer « crucifie-le, crucifie-le » quelques jours plus tard ? Comment Judas, qui a été choisi par Jésus et a été son compagnon pendant trois ans, a-t-il pu le trahir ? Comment Pierre, qui a été désigné par Jésus comme le chef des disciples, a-t-il pu le renier 3 fois ? Comment Pilate et Hérode, représentants de la justice, ont-ils pu l’abandonner à l’injustice ? Comment les chefs du peuple, qui devaient le guider vers le Messie, ont-ils pu être aussi aveugles ? Comment les soldats, qui devaient maintenir l’ordre, ont-ils pu maltraiter aussi cruellement un homme sans défense ? Autant de questions qui restent sans réponses… ou plutôt, que l’on ne peut expliquer que par le mystère du mal. Après avoir été vaincu par Jésus dans le désert, au début de son ministère, le démon s’était éloigné de lui « jusqu’au moment fixé »[i]. Ce moment, nous y sommes parvenus, c’est celui de la Passion. Le démon est entré en Judas, et il agit à travers tous les personnages cités, sans que leur responsabilité soit réduite à néant pour autant. Au désert, le diable avait incité Jésus à échapper à la souffrance et à réaliser des prodiges. Ici encore, il l’incite dans le même sens. C’est d’abord Pierre lui-même qui se sert de son épée pour le défendre. C’est ensuite Hérode qui espère le voir réaliser un miracle. Puis ce sont les chefs des prêtres, les soldats, et même l’un des autres condamnés, qui se moquent de lui en le défiant de se sauver lui-même au moment où il est sur la croix… Tous coopèrent à l’obscurcissement de la terre.

 

Dans cette obscurité, pourtant, la lumière commence déjà à poindre. Elle jaillit d’abord du cœur du Christ. Face à la haine et à l’injustice, comment réagit-il ? D’abord, après le troisième reniement de Pierre, il avait posé son regard sur lui, on peut imaginer avec quel amour et quelle tendresse. Pierre avait alors pleuré amèrement, première étape de sa conversion. Ensuite, sur la croix, Jésus prononce 7 paroles. Les 4 premières témoignent de son amour infini à notre égard : un amour qui pardonne : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font »[ii] ; un amour qui accueille : « En vérité, je te le dis aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis »[iii]  dit Jésus au malfaiteur repenti crucifié à côté de lui; un amour qui donne : « Femme, voici ton fils »[iv] dit Jésus à sa mère, qui devient ainsi notre mère, et quel plus beau cadeau aurait-il pu nous faire ? Un amour qui supplie enfin : « J’ai soif »[v]. Cette parole manifeste à la fois la souffrance physique de Jésus (la crucifixion entraînait l’asphyxie progressive) mais aussi sa souffrance spirituelle. C’est cette parole que Mère Teresa entendit au plus profond de son cœur et qui la poussa à partir dans les rues de Calcutta pour soulager les pauvres en qui elle voyait Jésus lui-même. Les 3 autres paroles témoignent de l’amour infini de Jésus à l’égard de son Père : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »[vi] suggère d’abord la profondeur de la solitude et de la souffrance de Jésus[vii], mais c’est aussi la reprise d’un psaume qui exprime une confiance inaltérable, dont témoignent les 2 paroles suivantes : « Tout est achevé » et « Père, entre tes mains je remets mon esprit »[viii].

 

Cette fois, nous sommes face au mystère de l’Amour, beaucoup plus profond et puissant que celui du Mal. Le rideau du Sanctuaire qui se déchire en deux, depuis le haut jusqu’en bas, signifie que désormais, l’accès à Dieu ne se fera plus seulement dans le Temple, mais dans le cœur de n’importe quel croyant. Face à la lumière qui émane du Christ, plusieurs se laissent illuminer à leur tour. D’abord, l’un des condamnés se convertit : saisi par la « crainte de Dieu », il reconnaît humblement qu’il a ce qu’il mérite ; surtout, il espère dans la miséricorde de Dieu, plus grande que ses fautes : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne. »[ix] Ce malfaiteur devient le premier canonisé. Face à lui, un autre homme se convertit, le centurion romain : voyant comment Jésus avait expiré, il déclare : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ! » Un autre rayon de lumière vient de Joseph d’Arimathie. Homme influent, membre du Conseil qui attendait le règne de Dieu, il a « l’audace d’aller chez Pilate pour demander le corps de Jésus » avant de le descendre de la croix, de l’envelopper dans un linceul et de le mettre dans un sépulcre taillé dans le roc. Enfin, les femmes qui accompagnaient Jésus depuis la Galilée ont elles-aussi eu la force de suivre Joseph jusqu’au tombeau, avec l’intention d’y retourner ensuite pour l’embaumer comme il le méritait. Ainsi, alors que l’obscurité enveloppe le pays, des rayons de lumière annoncent déjà l’aurore de la résurrection.

 

Et nous-mêmes, frères et sœurs, vivons-nous dans la pleine lumière de la résurrection ? Ne nous arrive-t-il pas de préférer les ténèbres de notre égoïsme et de nos penchants mauvais ? A chaque fois que nous péchons, nous crucifions à nouveau le Christ et nous rendons le monde plus sombre. Mais l’amour de Dieu pour nous est infini ; il sait que, parfois, nous ne savons pas ce que nous faisons. Alors, convertissons-nous pleinement. Pleurons notre péché comme saint Pierre, reconnaissons notre injustice comme le bon larron, frappons-nous la poitrine comme les foules, ayons du courage comme Joseph d’Arimathie et le cœur plein d’amour comme les saintes femmes. Et surtout, émerveillons-nous devant le Christ comme le centurion. Pour ce militaire, que la tradition identifie à saint Longin, le centurion qui perça le côté du Christ et qui mourut plus tard martyr en Cappadoce, c’est parce que Jésus est allé jusqu’au bout de son amour, jusqu’à la mort sur la croix qu’il se révèle vraiment comme Fils de Dieu.

Pendant cette semaine, nous le suivrons dans sa Passion. A travers elle, nous pourrons entrevoir son amour et sa souffrance. Au moment où il sera abandonné par ses proches, souvenons-nous de ceux qui souffrent de la solitude, notamment ceux et celles à qui on interdit de voir leurs enfants ou petits-enfants. Au moment où il portera sa croix, souvenons-nous de ceux qui ploient sous les difficultés actuelles, qu’elles soient économiques, sociales, psychologiques, spirituelles… Au moment où on lui ôtera ses vêtements, souvenons-nous de ceux qui sont dans la misère. Au moment où il sera sur la croix, souvenons-nous de ceux qui ont du mal à respirer dans les hôpitaux, étouffés par le virus. L’Esprit nous découvrira beaucoup d’autres rapprochements entre ce qui s’est passé il y a 2000 ans et la situation d’aujourd’hui. Certes, nous savons qu’au bout de ce parcours, le Christ est ressuscité, et nous le fêterons avec une joie immense dans 8 jours. Mais en attendant, « pleurons avec ceux qui pleurent » (Rm 12,15) afin que le Seigneur vienne sécher nos larmes à tous. Prions les uns pour les autres, et particulièrement pour nos 5 catéchumènes qui seront baptisés à Pâques. Sainte Semaine, dans la lumière du Christ !

P. Arnaud

 

[i] (Lc 4,13)

[ii] (Lc 23,34)

[iii] (Lc 23,43)

[iv] (Jn 19,25)

[v] (Jn 19,28)

[vi] (Mc 15,34 & Mt 27,46)

[vii] Un sentiment que Thérèse a éprouvée elle-aussi à la fin de sa vie.

[viii] (Lc 23,46)

[ix] (Lc 23,42)